https://iclfi.org/pubs/lb/236/nfp
17 août – Nous publions ci-dessous, légèrement revue pour publication, la présentation de notre camarade Alexis Henri lors d’un meeting de la Ligue trotskyste le 11 juillet, ainsi que les trois tracts que nous avons publiés pendant la campagne électorale des législatives ; ils montrent comment à chaque étape nous avons lutté pour une voie ouvrière indépendante face à la montée de la réaction. Depuis, avec leur majorité relative, les composantes hétéroclites du Nouveau Front populaire (NFP) ont passé des semaines à jouer un pitoyable feuilleton pour arriver à proposer au chef de l’État un Premier ministre (une certaine Lucie Castets, technocrate diplômée de l’ENA). Balayant toute prétention démocratique, Macron a immédiatement rejeté sans ménagement cette proposition et maintenu son gouvernement « démissionnaire ».
Grâce au NFP, qui avec sa politique de désistements n’a réussi qu’à sauver Macron de la débâcle totale, la macronie continuera à gouverner au moins jusqu’à ce qu’elle arrive à former un gouvernement « d’unité nationale » soi-disant contre le RN, en réalité contre Mélenchon. C’est pourtant bien ce dernier qui a permis un tel résultat en faisant usage de toute son autorité parmi une couche des travailleurs, de la jeunesse antiraciste et de la minorité musulmane pour mobiliser ces électeurs derrière la politique usée et discréditée du front républicain.
Par ailleurs, LFI a présenté à la nouvelle Assemblée un texte abrogeant la réforme des retraites, qui sera la balle de ping-pong parlementaire pendant des mois sans fin, peut-être jusqu’aux nouvelles élections. Il est absurde de penser aujourd’hui qu’on va obtenir la retraite à 62 ans grâce à un parlement encore plus réactionnaire que le précédent, et alors que des mois de lutte avec des millions de travailleurs dans la rue l’année dernière contre la réforme de Macron s’étaient soldés par la défaite. De plus, la simple abrogation de la loi sur les retraites signifierait que continuerait de s’appliquer la loi Touraine adoptée sous le gouvernement Hollande qui porte peu à peu à 43 annuités la durée de cotisation pour une retraite complète.
Du fait de son propre programme républicain-impérialiste de défense des intérêts des capitalistes français sur toutes les questions clés posées aujourd’hui – retraites, quartiers, Palestine, Ukraine, Kanaky – et de sa volonté déjà démontrée de se plier au détesté Macron sous prétexte de faire barrage au Rassemblement national, le NFP et notamment LFI continueront en réalité à paver la voie du RN vers l’Élysée.
La seule voie pour faire avancer les intérêts des travailleurs et des opprimés passe par une rupture nette avec les mélenchonistes qui constituent l’épine dorsale du NFP. Aujourd’hui, la LTF est seule à se battre de façon conséquente pour la construction d’un pôle prolétarien face à la réaction. Comme le texte ci-dessous l’explique en détail, Lutte ouvrière, le NPA-R et Révolution permanente ont fait des campagnes indépendantes de témoignage lors du premier tour des législatives, pour ensuite soutenir l’aile gauche du NFP lors du deuxième. Cette capitulation prend un caractère d’autant plus ubuesque que ces mêmes organisations avaient publié d’innombrables articles expliquant comment le front républicain démoralise la classe ouvrière et renforce la droite. Malgré cela, elles ont été incapables de résister à la pression et elles ont sombré dans la fange du front populaire. Depuis les élections, les trois organisations cherchent cyniquement à escamoter autant que possible le fait qu’elles ont voté pour le NFP.
Notre isolement actuel reflète l’état désastreux de la gauche en France et du mouvement ouvrier plus largement. Néanmoins, nous restons déterminés à intensifier la lutte pour que la classe ouvrière rompe avec le républicanisme de gauche, parce que c’est seulement ainsi que nous arriverons à vaincre l’extrême droite et organiser l’offensive contre l’impérialisme français décadent.
Ce meeting a lieu à un moment crucial de l’histoire de ce pays. Nous sommes devant un champ de ruines, avec l’extrême droite qui a fait un nouveau pas de géant vers le pouvoir. Pourtant le NPA-R a proclamé « un petit moment de bonheur » dans son éditorial du 8 juillet. Révolution permanente (RP) s’est précipitée dès dimanche soir pour déclarer « nous ne pouvons que nous réjouir de l’énorme revers pour le parti de Le Pen et Bardella ». Nous réjouir d’un « énorme revers », vraiment ? RP confirme ainsi qu’elle souhaitait la victoire du front populaire. En réalité, le deuxième tour confirme la tendance des scrutins précédents même si la trajectoire a été légèrement ralentie en surface par le front républicain. Les réactionnaires racistes du RN ont augmenté de plus de 60 % leur nombre de députés en l’espace de deux ans : ils sont passés de 8 députés en 2017 à 89 en 2022 et 143 aujourd’hui. En voilà un drôle de revers, enfin, pas drôle du tout.
Et si l’on regarde en termes de voix, le succès du RN est encore plus manifeste. Il a rassemblé au deuxième tour dix millions de voix, soit trois millions de plus que le front populaire d’un côté, et que les macronistes de l’autre ; il est à 37 % des suffrages exprimés, soit plus qu’aux européennes et plus qu’au premier tour, contre 26 % pour le front populaire et autant pour les macronistes. Si le bloc d’extrême droite arrive troisième en sièges et non premier devant le front populaire et les macronistes, c’est uniquement dû au caractère antidémocratique du système électoral français basé sur le scrutin majoritaire à deux tours.
Le front républicain ne va que renforcer à très court terme le discours du RN qui prétend être la seule véritable opposition à Macron, le seul parti soi-disant vraiment antisystème contre lequel tous les autres se sont ligués pour préserver le statu quo, le seul qu’on n’ait pas encore essayé et qui ne va pas vous trahir ; si le mouvement ouvrier ne se ressaisit pas et ne lutte pas pour unifier les travailleurs contre la campagne antimusulmans et pour confronter la bourgeoisie pour la faire plier, le pouvoir risque de plus en plus de tomber très bientôt dans les mains du RN, peut-être dès l’année prochaine. Le fait que l’extrême gauche a refusé de s’opposer au front républicain, à la seule et unique exception de nous-mêmes, c’est cela qui constitue un « énorme revers » – mais pour la classe ouvrière. Elle va se retrouver enchaînée à de faux espoirs que le front populaire mettra en œuvre au moins une partie de ses promesses.
La seule manière de faire mentir cette prédiction-catastrophe, c’est que la gauche se réclamant du marxisme fasse en urgence un bilan sans concession de son échec complet dans ces élections car, en soutenant, même en partie, le front populaire, elle n’a pas contribué à la formation d’une nouvelle direction mais elle l’a au contraire entravée et a contribué à paralyser la classe ouvrière, à la démoraliser et au final à en jeter une partie dans les bras du RN.
Grâce au front républicain les résultats électoraux masquent la déconfiture politique du centre libéral représenté par Macron. Ainsi les macronistes ont perdu les cinq circonscriptions qu’ils détenaient dans les Bouches-du-Rhône ; tous les 16 sièges dans ce département, c’est-à-dire le grand Marseille, sont maintenant soit au RN, soit au front populaire. Comme le dit l’éditorial de L’Humanité ce matin, je cite, « la mobilisation autour du Nouveau Front populaire (NFP) a sauvé les macronistes du naufrage auquel les promettait l’inconséquence de leurs chefs. […] c’est à nouveau la gauche qui a sauvé l’honneur et la République. » Le macronisme était une caricature du triomphalisme libéral de l’ordre postsoviétique dominé par les États-Unis. Le déclin de celui-ci se traduit, dans un pays comme la France, par un déclin encore plus profond du fait que les Américains pressurent de plus en plus leurs alliés impérialistes, notamment au travers des sanctions contre la Russie et de l’imposition du gaz de schiste américain. C’est cela le contexte matériel dont la chute du libéralisme macroniste n’est qu’un pâle reflet dans la sphère du parlementarisme.
Selon toutes les apparences on s’achemine vers une coalition explicite ou implicite (sous forme de « gouvernement technique ») entre les macronistes et le front populaire en excluant tout ou partie des mélenchonistes. Nous avions mis en garde contre cela dans notre tract appelant à l’abstention au deuxième tour, y compris en faisant référence à l’expérience italienne où un gouvernement d’union nationale a été l’antichambre immédiate du gouvernement d’extrême droite de Meloni. La mobilisation de la gauche et, criminellement, de l’extrême gauche, pour le front républicain aura seulement abouti à prolonger l’agonie de l’ordre libéral macroniste tout en portant un énorme coup au moral des travailleurs et des opprimés, ce qui facilitera énormément la tâche à Le Pen/Bardella quand ils arriveront au pouvoir.
Cela dit, même si le front populaire avait obtenu une majorité absolue cela n’aurait rien changé à cette spirale infernale vers l’abîme dans laquelle s’enfonce le pays. Pour mettre en œuvre même seulement ses réformes minimales, le front populaire aurait dû lancer une confrontation sans pitié avec une bourgeoisie française qui est acculée par son propre déclin à plonger les masses ici dans une misère croissante. Il est évident que non seulement les Hollande et Tondelier se seraient refusés à une telle confrontation, mais le PCF et LFI également. Cela n’a pas empêché le NPA-R et RP d’appeler à voter pour eux, alors même que Roussel déclarait à la télévision qu’il était prêt à gouverner avec les macronistes au nom de l’unité républicaine contre le RN.
Le républicain Mélenchon a commencé à être lâché sur la droite par une partie de ses propres cadres (Ruffin était déjà parti en pleine campagne électorale, Clémentine Autain l’a suivi le soir des élections) et il se retrouve isolé de l’essentiel du front populaire qui est d’ores et déjà passé à la recherche en coulisses d’une combinazione avec les macronistes. Mais Mélenchon lui-même demeure totalement écartelé entre ses propres professions de foi républicaine, ses propres appels au front républicain allant jusqu’aux ex-petits camarades de Ciotti, et la sympathie qu’il a activement suscitée par quelques bonnes paroles dans les quartiers et dans le mouvement propalestinien. C’est pourquoi, même l’élection d’un grand nombre de mélenchonistes convaincus et dotés d’une épine dorsale plus solide que celle d’opportunistes à la Ruffin ou Clémentine Autain, n’aurait rien changé à l’affaire.
Le rôle de l’extrême gauche n’était pas de servir de béquille à cette aile gauche du front populaire, comme elle l’a fait, mais de commencer à construire un pôle ouvrier anti-RN qui soit clairement opposé au front populaire et notamment pour amener les travailleurs à rompre avec sa composante de gauche mélenchoniste. C’est ce que nous avons mis en avant pendant toute la campagne en nous adressant tout particulièrement à l’extrême gauche. Nous avons publié trois tracts dans l’intervalle de 4 semaines qui a séparé les élections européennes du deuxième tour des législatives afin d’être un facteur pour influencer dans la mesure de nos forces le cours des choses en montrant la voie à suivre à l’avant-garde du mouvement ouvrier.
Maintenant ce sont la classe ouvrière et les minorités qui vont payer très cher non seulement le refus de l’extrême gauche de se rallier à nos appels, mais sa trahison ouverte. Qui va croire ce genre de gens qui ont abordé l’élection du premier tour en faisant croire qu’ils étaient une alternative au front populaire, puis ont appelé à voter pour lui ou, pour LO, ont dit qu’on n’avait pas à se gêner pour le faire et qui, une fois le mal fait, se sont mis à faire des proclamations grandiloquentes de radicalité anti-front populaire ?
Nous ne nous réjouissons pas du discrédit de ces organisations, car leur capitulation devant le front républicain a rendu plus difficile la cristallisation d’une opposition ouvrière au front populaire. Tout ce qu’elles ont obtenu jusqu’à présent, c’est de renforcer l’hégémonie de LFI sur le mouvement ouvrier, et celle-ci va encore se renforcer au fur et à mesure que va se fracturer le front populaire entre les insoumis mélenchonistes, exclus de l’arc républicain, et les autres qui se seront ralliés aux macronistes.
Nous sommes peut-être isolés à l’heure actuelle mais nous avons confiance que la justesse de notre programme commencera bientôt à apparaître à des couches grandissantes de l’avant-garde. Les organisations de gauche vont être secouées par des crises car il y aura des militants qui demanderont des comptes à leur direction pour la ligne désastreuse qu’elle a adoptée. Ces crises doivent être utilisées pour faire avancer un processus de scissions et de fusions derrière le programme révolutionnaire dans la perspective de reforger la IVe Internationale.
Les résultats des élections
Une leçon des élections qui est passée sous silence par la gauche, c’est que des secteurs croissants de la bourgeoisie s’accommodent peu à peu de l’idée de placer le RN au pouvoir. D’où la crise de LR, même si son nombre de sièges n’a pas bougé parce que la gauche lui a sauvé la mise avec son front républicain. Le passage de Ciotti au RN n’est pas qu’une anecdote personnelle, il reflète le glissement à droite des secteurs conservateurs de la bourgeoisie. À Rambouillet dans les Yvelines Aurore Bergé avait à peine plus de voix au premier tour que le total des deux listes d’extrême droite. À Saint-Tropez le député RN a été largement réélu dès le premier tour.
Le Monde peut faire tous les discours hypocrites et politiquement corrects qu’il veut, la bourgeoisie et la petite bourgeoisie aisée ainsi que les retraités, c’est-à-dire la base de masse des électeurs macronistes, sont rassurés que la démagogie de Le Pen d’il y a quelques années sur l’UE, ou encore de l’année dernière sur les retraites, n’était qu’une autre forme des mensonges que distille la bourgeoisie pour faire passer ses propres intérêts de classe contre les travailleurs et les minorités.
À force de propagande gouvernementale et dans la presse capitaliste sur la criminalité des immigrés et le « on n’est plus chez nous », relayés à gauche par l’union nationale antiterroriste et la défense de la laïcité républicaine contre les musulmans, les macronistes avaient travaillé depuis des années à reprendre et légitimer les axes de propagande du RN pour diviser la classe ouvrière. Ils ont franchi un nouveau seuil en diabolisant Mélenchon tout en intégrant le RN dans l’« arc républicain » à propos de Gaza, sous couvert de soi-disant « lutte contre l’antisémitisme » ; et tout cela avec l’assentiment à peine embarrassé du PS et du PCF. Ce sont tous ces gouvernements libéraux, « progressistes » à la Macron ou Hollande, qui ont pavé la voie à Le Pen.
L’expérience Meloni a été rassurante pour la bourgeoisie française, et elle l’a été également sur un autre point : Meloni continue d’ouvrir les frontières dans la mesure où la bourgeoisie a besoin de travailleurs immigrés ; simplement ils ont encore moins de droits qu’avant et sont donc encore plus taillables et corvéables à merci, ce qui divise encore plus la classe ouvrière et l’affaiblit. Ce n’est plus qu’une question de temps pour que la bourgeoisie française mette le RN au pouvoir.
Les analyses disponibles des élections sont encore très partielles, mais en ce qui concerne le premier tour, et je ne pense pas que ce soit qualitativement différent pour le deuxième, le regain de participation par rapport aux législatives précédentes a surtout profité au RN et aux macronistes, ce qui montre l’ampleur de la défiance dans la classe ouvrière vis-à-vis du front populaire. La remobilisation du deuxième tour ne traduit aucune confiance dans le front populaire, mais simplement la peur du RN. Les mélenchonistes ont surtout réussi à mobiliser la petite-bourgeoisie urbaine libérale et les quartiers en agitant la peur justifiée du RN ; ils ont été réélus dans ces circonscriptions avec une marge encore plus confortable qu’il y a deux ans. Ailleurs, le mélenchonisme a souvent reculé, écrasé par l’arc républicain allant des Républicains de Sarkozy et Larcher au PCF et à François Ruffin. Le front populaire a reculé en fait en pourcentage de voix lors du premier tour dans plusieurs anciennes régions industrielles comme la Seine-Maritime, le Nord-Pas-de-Calais et la Lorraine, où le RN se renforce.
Malgré la légère progression relative de la gauche par rapport à il y a deux ans (environ un quart de sièges de plus) et la déconfiture macroniste, les insoumis et le PCF perdent des sièges. Roussel, l’homme qui fustigeait les récipiendaires d’allocations et la révolte des quartiers, a perdu dès le premier tour au profit du RN une circonscription qui revenait au PCF depuis 1962. Le regain de mobilisation pour le front populaire a essentiellement servi à son aile droite (PS et Verts) et à sauver des sièges pour les macronistes et même les Républicains. Merci Mélenchon pour ce résultat.
Le taux de participation électorale des ouvriers est remonté à 54 % au premier tour (contre 66 % pour l’ensemble des inscrits), mais 57 % des ouvriers qui ont voté l’ont fait pour le RN. Autrement dit, trois ouvriers sur dix dans le pays se sont déplacés aux urnes au premier tour pour aller voter RN, et cette proportion est probablement du même ordre pour le deuxième tour. Malheureusement, en l’absence d’un pôle ouvrier anti-RN qui soit opposé au NFP, cette opposition sourde au front populaire n’a pu s’exprimer, pour l’essentiel, que dans le vote réactionnaire pour le RN. Grosso modo il y a un ouvrier sur deux qui vote, et parmi les votants il y a environ deux ouvriers qui votent RN pour chaque ouvrier qui vote NFP. La moitié de la classe ouvrière est passive ou dégoûtée, se détournant des urnes, et dans l’autre moitié ce sont les réactionnaires qui drainent l’essentiel de la rage contre le système libéral qui lamine si cruellement les travailleurs depuis 30 ans.
La légère progression de LO en voix lors du premier tour est essentiellement due au regain général de participation. En pourcentage, la progression de LO a été infinitésimale, passant de 1,04 % à 1,14 %, malgré l’absence de concurrence d’autres groupes se réclamant du trotskysme dans la plupart des circonscriptions. Là où le NPA-R s’est présenté, il fait en général environ la moitié de LO. C’est un échec complet pour l’extrême gauche.
RP proclame comme une grande victoire ses 3,7 % à Saint-Denis, mais c’est un score très faible quand on pense que toute l’organisation nationale de RP a concentré ses forces sur cette seule circonscription en bénéficiant de la célébrité médiatique d’Anasse Kazib. Ses vantardises mesquines sur le fait que RP a dépassé le score de LO dans la circonscription ne servent qu’à faire ressortir le fait que ces deux groupes se faisaient mutuellement concurrence, alors que les travailleurs ne voyaient pas et ne pouvaient pas voir de différence politique significative entre ces deux organisations.
Pourquoi le vote pour le NFP n’est pas un rempart contre le RN
Tôt ou tard le prochain gouvernement de front républicain, quelle que soit sa composition exacte, va tomber et le seul parti qui n’aura pas été compromis, le RN, en ressortira considérablement renforcé et gagnera, selon le type d’élection, soit Matignon avec une majorité absolue, soit directement l’Élysée. Dans tous les cas, le NFP, avec son front républicain, aura pavé la voie au RN, exactement comme nous en avions fait la mise en garde.
J’étais au rassemblement du front populaire place de la République il y a aujourd’hui une semaine, et beaucoup de gens refusaient notre tract du fait de notre refus de voter pour le front populaire. Il y avait là le NPA-Poutou, la Gauche révolutionnaire et le mal-nommé nouveau « Parti communiste révolutionnaire » (PCR, grantiste) qui faisaient campagne pour le front populaire. Les militants du PCR étaient interloqués à l’idée qu’on puisse ne pas voter pour le front populaire.
Il est clair que parmi les présents ceux qui soutenaient le PS, le PCF ou les Verts étaient en minorité. Les gens qui étaient là se préparaient à voter pour le front populaire en se bouchant le nez.
Le seul parti de gauche qui trouvait grâce auprès de la majeure partie des gens avec qui j’ai discuté était LFI. En réalité, sans l’autorité politique que les mélenchonistes donnaient au front républicain par leur simple participation, il n’y aurait pas eu du tout de front républicain. Personne n’aurait écouté les appels à voter Hollande, Borne ou Darmanin. Vous avez peut-être lu la semaine dernière l’article de L’Humanité sur la circonscription d’Élisabeth Borne, qui a été réélue grâce au désistement d’un insoumis ; la très républicaine Humanité ne trouvait à interviewer pratiquement que des gens qui soit votaient RN, soit qui voulaient s’abstenir.
L’argument de beaucoup de gens place de la République était l’urgence absolue. Évidemment cela fait 40 ans que l’on nous parle de l’urgence et que soi-disant on réglera ses comptes après, mais c’est un argument qui avait plus de poids que jamais.
Effectivement, il était tout à fait possible que, sans front républicain, le RN parvienne à une majorité absolue, et il l’aurait peut-être bien obtenue si ne s’était pas constitué un front républicain suffisamment solide. Qu’est-ce que les travailleurs auraient alors gagné à un refus du mouvement ouvrier de s’aligner sur le front républicain, par rapport à la situation où nous sommes aujourd’hui ? Pour que les travailleurs rompent avec leur direction il faut déjà qu’une alternative crédible politiquement se présente en montrant concrètement qu’il y a une voie hors du front populaire. Si cela avait été le cas, une certaine proportion de travailleurs ne se sentirait pas liée aux traîtres qui aujourd’hui vont nous gouverner, et cela aurait jeté des bases objectives pour construire un pôle ouvrier anti-RN opposé au front populaire.
La classe ouvrière aurait été en bien meilleure position pour se défendre qu’aujourd’hui où ce sont ses propres dirigeants, pour qui elle a voté (quand elle n’a pas voté pour l’extrême droite ouvertement anti-ouvrière et raciste), qui se préparent à porter au pouvoir le gouvernement qui va mener les attaques contre elle. Les syndicats, dont on aurait pu imaginer qu’ils pourraient se dresser pour mobiliser les travailleurs en cas de gouvernement RN, vont au contraire maintenant plaider la modération auprès de leur base en argumentant qu’il faut éviter la chute du front républicain de peur de l’arrivée du RN. Déjà LFI dans son ensemble avait refusé depuis deux ans de voter les motions de censure contre les gouvernements précédents en argumentant qu’il ne fallait pas mêler ses voix au RN.
Dans le nouveau contexte ce n’est pas eux qui vont prendre sur eux de faire chuter le gouvernement d’Attal ou de son prochain clone à Matignon. Soit les dirigeants ouvriers réformistes font chuter le gouvernement et accélèrent l’arrivée au pouvoir du RN, soit ils le maintiennent artificiellement en vie en avalant toutes les couleuvres que leur fera avaler Macron. Autrement dit ils devront accepter des attaques qui vont terriblement démoraliser les travailleurs, ce qui va là aussi accélérer l’arrivée au pouvoir du RN comme l’a montré la défaite des retraites. Soit le RN gagne soit les travailleurs perdent, voilà l’alternative mortifère dans laquelle nous enferment les mélenchonistes et autres propagandistes du front populaire en l’absence d’un pôle ouvrier anti-RN.
Comme il n’y aura pas de gouvernement stable issu de cette élection, les six mois ou un an, ou au maximum trois ans, qui auront été « gagnés » n’auront servi qu’à désorganiser encore plus l’avant-garde ouvrière en l’enchaînant à la bourgeoisie au travers de ce gouvernement qu’elle aura contribué à mettre en place et en la démoralisant. Plus longtemps ce gouvernement tiendra, pires seront les dégâts, voyez ce que cinq ans de gouvernement Hollande ont fait au mouvement ouvrier dans ce pays.
Tout ce que le vote pour le front populaire, et particulièrement pour LFI, aura obtenu, c’est de servir de marchepied à une partie des dirigeants de ces formations pour aller à la mangeoire macroniste gouvernementale ou au moins parlementaire. Les insoumis insoumis à Mélenchon et les bureaucrates vont ainsi se compromettre encore plus alors que vont se renforcer les illusions dans les mélenchonistes qui auront été exclus de ce cirque obscène. Le passage d’une partie des mélenchonistes dans le camp de Faure, Glucksmann et Macron ne sera pas un triste épilogue inattendu et contre nature, il faut que les travailleurs comprennent que c’est à cela que sert une formation bourgeoise populiste comme LFI : à fournir une issue parlementaire libérale à la bourgeoisie même quand une telle issue paraît impossible. Et de l’autre côté les travailleurs auront davantage d’illusions dans les insoumis restés avec Mélenchon, ce qui là aussi paralysera leurs luttes.
D’un côté comme de l’autre, la classe ouvrière va être encore plus affaiblie et l’inévitable victoire prochaine du RN va se faire dans des conditions bien pires pour les travailleurs et les minorités. Donc le soi-disant temps gagné jusqu’à la victoire totale du RN, c’est du temps qui va couler contre nous. Il faut se rendre à l’évidence : ce n’est pas par des moyens parlementaires que l’on va empêcher Le Pen d’accéder au pouvoir ; il faut pour cela construire une opposition ouvrière au front populaire qui est en train de lui paver la voie.
Un programme contre le RN
Pour enrayer l’ascension du RN il faut un programme de revendications et une direction capable de diriger les travailleurs dans la lutte pour les arracher à la bourgeoisie. Nous avons consacré une bonne partie de notre dernier tract, pour le deuxième tour des élections, à esquisser dans ses grandes lignes ce que pourrait être un tel programme. Nous avons cherché à montrer qu’à chaque étape les mélenchonistes vont constituer un frein à la lutte pour ces revendications, comme ils l’ont été dans la lutte pour les retraites, dans la défense des jeunes des quartiers après la révolte d’il y a un an et dans le mouvement pour la libération nationale du peuple palestinien. On peut ajouter aussi à la liste la lutte pour la libération nationale et socialiste du peuple kanak où les mélenchonistes cherchent à sauver les accords coloniaux de Matignon et Nouméa pour que l’impérialisme français garde un pied dans le Pacifique.
Je vous invite à étudier attentivement ce tract. Je n’ai pas suffisamment de temps ce soir pour reprendre l’ensemble des points que nous avons mis en avant pour un tel programme. Je vais simplement prendre un exemple ou deux qui, ce n’est pas un hasard, font revenir à la question de l’unité de la classe ouvrière contre la division raciale et ethnique qui ne fait que s’approfondir et qui la paralyse. C’est une question centrale, et il suffit de réfléchir une seconde aux dernières élections pour s’en convaincre.
Nous avons un article dans notre journal [Le Bolchévik n° 235] sur la grève des enseignants, notamment dans le 9-3. Cette grève et son échec sont un concentré des problèmes du mouvement ouvrier. La clé pour l’unité de celui-ci c’est de mobiliser sa propre base pour lutter contre la discrimination raciale. S’il ne prend pas ce problème à bras-le-corps, toutes les déclarations d’opposition aux campagnes racistes du gouvernement se limitent à des prêches moralistes qui ne font rien pour endiguer la montée du RN car pour cela il faut montrer aux travailleurs blancs qu’il est dans leur propre intérêt matériel de lutter contre cette discrimination. C’est vrai en général et cela se vérifie tout particulièrement pour les travailleurs de l’éducation.
Un article du Monde la semaine dernière indiquait que le score du RN parmi les enseignants est passé de 13 % en 2012 à 20 % cette année. C’est le résultat sur le long terme des campagnes de la gauche pour la laïcité républicaine et l’exclusion des femmes portant un foulard, une abaya ou un autre signe d’adhésion à l’islam.
Ce qui est allé de pair avec cette unité républicaine antimusulmans avec les gouvernements qui se sont succédé, c’est une dégradation terrible des salaires et des conditions de travail de l’ensemble du personnel de l’éducation. Et la qualité de l’enseignement a reculé non seulement pour les élèves musulmans, mais pour tous les enfants. Une société qui désinvestit dans l’éducation c’est un indice indiscutable de déclin et de pourrissement. Pour sauver ses profits immédiats et rester dans la course par rapport à ses rivaux, la bourgeoisie française forme des générations nouvelles à l’ignorance, en sabrant dans ses investissements qui se traduiraient par davantage d’emplois qualifiés.
Mais les bureaucrates syndicaux SUD éducation, FERC-CGT et FSU, avec pour caution de gauche des militants de RP et de LO, ont canalisé la lutte vers des revendications économiques étroites limitées à un plan de financement d’urgence de l’éducation dans le 9-3. Or une éducation décente, cela exige des conditions de logement décentes, cela exige des cantines scolaires, des crèches et garderies gratuites et de qualité. Cela exige de lutter contre la discrimination raciale dans l’accès au logement, qui conduit à la dégradation des logements de l’ensemble de la classe ouvrière et des pauvres.
La lutte pour tout cela, qui inclut dès l’abord la nécessité d’exproprier les propriétaires fonciers qui accaparent les logements dont a besoin le peuple, exige une direction prête à en découdre avec la bourgeoisie. Aujourd’hui les organismes de HLM et les promoteurs ont pratiquement stoppé la construction de logements neufs car au vu des taux d’intérêt leur propre taux de profit sur ces opérations serait insuffisant. Ainsi, cette revendication élémentaire d’un logement décent pour tous conduit directement à la nécessité d’exproprier les banques.
On voit à la rage avec laquelle la bourgeoisie a accueilli la revendication sous-minimale du front populaire de rendre progressivement gratuites les cantines et les fournitures scolaires à quel point la bourgeoisie ne va rien lâcher sans qu’elle y soit contrainte et forcée. C’est pourquoi il faut une direction qui comprenne que la bourgeoisie est incapable de satisfaire les besoins les plus indispensables de la classe ouvrière et que pour lui arracher quoi que ce soit il faut être prêt à tout lui prendre. Autrement dit, une direction opposée au front populaire et luttant pour chasser les bureaucrates syndicaux traîtres.
Voici un cas éclairant. L’aile gauche des mélenchonistes a présenté contre les mélenchonistes de droite dans le vingtième arrondissement de Paris Céline Verzeletti, une des principales figures de l’aile gauche de la direction de la CGT. Or elle est elle-même ex-dirigeante d’un « syndicat » de matons. Cela montre combien les mélenchonistes sont écartelés entre leurs discours de gauche en faveur des quartiers et leur républicanisme. Comment vont-ils lutter sérieusement pour défendre les jeunes des quartiers en faisant la promotion des garde-chiourmes de ces mêmes jeunes dans les prisons de la République ? De même, comment vont-ils défendre les musulmans opprimés et traités en masse de djihadistes en puissance tout en défendant encore aujourd’hui la loi raciste interdisant le foulard islamique dans les écoles ?
Il fallait s’adresser à toutes ces questions pour mobiliser la population du 9-3 derrière les profs en grève, et cela exigeait de rompre avec les chefs syndicaux de SUD et de la CGT, qui sabotaient ouvertement la grève, et avec les mélenchonistes. C’est ce que RP, impliquée dans la grève, a refusé de faire. J’étais à un rassemblement pour défendre un prof au tribunal il y a deux semaines. Les bureaucrates de SUD faisaient des heures sup pour promouvoir le front populaire. RP était là aussi, mais nous étions les seuls à lutter pour un pôle d’opposition au front populaire.
De même, une grève est appelée à Aéroports de Paris la semaine prochaine. La précédente grève de mai dernier, d’une journée également, n’avait guère perturbé le trafic parce que pour cela il aurait fallu non seulement refuser de rester par avance dans le cadre d’une journée d’action de 24 heures mais chercher à mobiliser les dizaines de milliers d’ouvriers, pour l’essentiel originaires des quartiers du 9-3, travaillant pour des sous-traitants sur la plate-forme aéroportuaire. Cela exigeait de lutter pour l’intégration de tous les sous-traitants à ADP, pour les pleins droits de citoyenneté pour tous, en particulier de refuser la discrimination contre les musulmans au travers des habilitations de sécurité dans le cadre de la guerre raciste « contre le terrorisme », pour des logements et des réseaux de transports de qualité dans le 9-3, etc. Les bureaucrates refusent de même évoquer toutes ces questions, et ils sabotent ainsi leurs propres appels à la grève. En résultat les syndicats sur les aéroports ne sont plus que l’ombre de ce qu’ils étaient il y a vingt ans.
Nous avons lancé dans notre journal un appel à la gauche marxiste sur la question des JO. Evidemment l’implantation de LO et plus encore du NPA-R et de RP est faible dans les syndicats, mais elle n’est pas nulle. Nous avons dit que les Jeux sont un point de vulnérabilité pour le gouvernement macroniste, et que c’est le moment de frapper. Pas de démocratie, pas de Jeux. C’est le moment d’exiger l’amnistie immédiate des jeunes des quartiers. Évidemment c’est une revendication qui ne figure pas au programme du front populaire alors qu’il faudrait organiser la lutte maintenant, à un moment où la bourgeoisie craint doublement pour son image internationale avec les Jeux dans Paris et où la presse internationale est doublement présente. Il suffirait d’une ou deux grèves déterminées pour mettre un maximum de pression sur le gouvernement.
C’est là une perspective opposée à celle des mélenchonistes et du reste du front populaire. Ils vont passer les semaines qui viennent à des intrigues de couloir au Palais-Bourbon pour savoir laquelle de leurs revendications, déjà minables en soi, ils vont lâcher chaque jour pour essayer de trouver un accord de coulisse avec les macronistes. C’est pourquoi on ne peut faire avancer les intérêts des travailleurs, profiter de l’affaiblissement de la bourgeoisie et de son gouvernement, que si l’on rompt avec les mélenchonistes et les bureaucrates syndicaux, que si on lutte pour forger une direction opposée à tous ces gens.
Alors RP et le NPA-R nous font maintenant de grandes déclarations sur les luttes. RP introduit son premier article de commentaire sur le deuxième tour en écrivant que, face à l’extrême droite, « seules les luttes du monde du travail, de la jeunesse et des quartiers populaires permettront d’arracher nos revendications et de la faire reculer durablement ». Malheureusement, loin d’en tirer les conclusions qui s’imposent en termes de direction, RP se contente de chercher à pousser à gauche les directions syndicales existantes, qui viennent de passer quatre semaines à faire campagne pour le front populaire. RP concluait son article en écrivant que « les directions du mouvement ouvrier, à commencer par la CGT, doivent se mettre à la tête de ce travail, en cessant de se subordonner à la gauche institutionnelle ». Il faudrait d’un seul coup que les Céline Verzeletti voient la lumière ? Allons donc. Et d’autant moins que RP a validé l’idée qu’on pouvait voter pour les mélenchonistes et le PCF. En faisant cela RP a fait obstacle à ce que les militants syndicaux de gauche rompent avec le front populaire et commencent à lutter sérieusement pour les revendications des travailleurs.
La faillite de l’extrême gauche dans ces élections
J’en reviens donc encore une fois à la capitulation de l’extrême gauche lors du deuxième tour. Il était de son devoir d’expliquer la nécessité de s’opposer au front populaire avant le premier tour et pendant toute la semaine de la campagne électorale jusqu’au second tour. Au lieu de cela, LO et RP ont fait des campagnes minables de premier tour où la première renonçait explicitement à l’idée que ses listes puissent être un facteur dans la recomposition de la gauche, et RP annonçait publiquement qu’elle ne faisait pas campagne contre le front populaire.
Certes, il semble que le NPA-R ait été nettement plus conséquent pour essayer de forger un bloc ouvrier anti-RN qui soit opposé au front populaire. Mais ensuite, entre les deux tours, son appel à voter LFI-PCF voire, au cas par cas, d’autres candidats de gauche, n’en est que plus désastreux. Pour les militants du NPA-R c’est une école de cynisme de prêcher pendant trois semaines que, je cite la lettre du NPA-R à LO du 12 juin, « l’important pour nous, est de montrer que nous sommes opposés au Front populaire » pour ensuite, lorsque la pression pour le front populaire monte encore de deux crans entre les deux tours, dire en substance que l’important pour le NPA-R est de montrer qu’il n’est pas opposé au front populaire et même qu’il appelle à voter pour certaines de ses composantes. Le NPA-R évoquait même la possibilité de voter pour d’autres partis que LFI-PCF, autrement dit le PS de Hollande-Faure et les Verts, au cas par cas.
De même Révolution permanente. Entre les deux tours, elle a renié toute indépendance face aux appareils de la gauche en appelant à voter pour les insoumis et le PCF, ce qui fait obstacle à la construction d’une opposition révolutionnaire à ces traîtres. Nous nous étions doutés publiquement dans notre tract du 1er juillet que RP allait le faire, au vu de sa campagne non oppositionnelle face au front populaire. Et donc RP a fini par déclarer le 3 juillet : « les coordonnées locales et le contexte de deuxième tour peuvent justifier un vote critique pour leurs candidats », c’est-à-dire ceux de LFI et du PCF.
De refuser tout vote pour Hollande et son Parti socialiste, c’était facile vu le dégoût que ce parti continue de susciter au vu de ses crimes au gouvernement contre les travailleurs avec la loi El Khomri, l’état d’urgence pendant un an et demi, le projet de loi sur la déchéance de nationalité, etc., etc. La vraie question c’était de s’opposer aux insoumis, l’aile gauche du front populaire. C’est là que résident les illusions du peuple, ce sont ces illusions qui ont permis le succès relatif du front populaire. Une véritable opposition au front populaire, cela exige de lutter contre l’influence du mélenchonisme justement sur les questions qui lui ont donné son autorité politique parmi les travailleurs, celles qui justement hérissent la bourgeoisie : sa défense platonique des quartiers et de la Palestine. Il fallait montrer que cette autorité était usurpée car les mélenchonistes, du fait de leur républicanisme, ne peuvent rien faire de concret pour violer ces lignes rouges de la bourgeoisie et n’ont effectivement rien fait de concret. Le refus de l’extrême gauche de mener cette lutte contre le mélenchonisme ne peut conduire qu’à la démoralisation d’un côté, vu l’absence d’alternative, et au renforcement de l’emprise du populisme bourgeois mélenchoniste de l’autre.
RP a ensuite déclaré le soir du deuxième tour :
Encore de belles paroles sur l’indépendance face aux « appareils de la gauche » et sur « une véritable politique révolutionnaire ». Mais RP venait justement d’échouer lamentablement précisément dans cette voie.
LO s’est placée quelques millimètres à gauche du NPA-R et de RP. Ils n’ont pas déclaré comme RP qu’il serait « justifié » de voter LFI-PCF, mais néanmoins qu’il ne fallait pas éprouver la moindre gêne à le faire. Je cite : « Les électeurs de Lutte ouvrière peuvent vouloir voter pour un candidat du Nouveau Front populaire contre le RN. Si c’est le cas, ils peuvent le faire sans en être gênés. »
Autrement dit, puisqu’on a voté LO au premier tour contre le front populaire, ce n’est pas grave si on le soutient au deuxième. Vous avez voté au premier tour pour le camp des travailleurs, eh bien le camp des travailleurs est levé à la fermeture des bureaux de vote le 30 juin, après quoi vous pouvez aller voter pour le camp de la bourgeoisie. Car c’est bien ainsi que LO avait expliqué la nature du front populaire pendant la campagne, et à juste titre. LO sait parfaitement que voter pour le NFP, c’est s’enchaîner à la bourgeoisie au travers de sa caste politique, comme elle l’a dit elle-même, que c’est livrer les travailleurs à la bourgeoisie tout en disant « je vous aurai prévenus ». Dans la mythologie chrétienne, cette attitude est celle de Ponce Pilate qui abandonne Jésus aux juifs pour qu’ils le tuent en s’en lavant symboliquement les mains.
C’est tout le contraire du rôle d’un parti d’avant-garde, qui est de ramer contre le courant au moment où il y a une campagne forcenée pour enchaîner les travailleurs au front républicain et donc à la bourgeoisie en agitant l’épouvantail du RN. Là LO a sombré corps et âme dans le marais puant du front populaire. Pour LO c’est vraiment une attitude profondément ancrée ; ils se vantent d’être au plus près du pouls des ouvriers, et qu’il faut s’adapter à la conscience des ouvriers. Oui les ouvriers opprimés, maintenus dans l’ignorance, trahis cent fois par leurs directions, votent pour les réactionnaires du RN ou les soi-disant progressistes hypocrites du front populaire, mais LO en tire prétexte pour capituler elle-même devant le front populaire. C’est une attitude pleine de lâcheté, et aussi de mépris petit-bourgeois, disons-le carrément, pour la classe ouvrière. L’argument de LO revient à dire que les éléments avancés de la classe, ceux qui votent LO, n’étaient pas capables de comprendre et de suivre des directives révolutionnaires ni même simplement des consignes électorales claires d’indépendance de classe.
C’est d’autant plus regrettable que les électeurs de LO n’ont certes pas été des millions, mais ils étaient tout de même plus de 350 000. C’est notamment parmi eux que vont se trouver les premiers cadres du parti ouvrier révolutionnaire de masse que tant LO que nous-mêmes appelons à construire. Mais la première chose à faire pour cela, c’est d’appeler précisément ces électeurs à surtout résister aux sirènes du front populaire. Au lieu de relever leur niveau LO s’est cachée derrière la partie la moins avancée de ses électeurs pour les laisser voter pour le front populaire si bon leur semblait.
La période qui vient ne peut être vue comme un répit que si la gauche marxiste renonce à sa politique désastreuse pendant cette campagne électorale et s’attelle dès aujourd’hui à lutter pour un pôle ouvrier opposé au front populaire. Si elle ne le fait pas en urgence, dans les plus brefs délais, chaque seconde de ce nouveau front populaire va contribuer à de nouvelles défaites et à une démoralisation encore plus profonde de la classe ouvrière, autrement dit, elle va accélérer la progression du RN vers l’Élysée. Nous n’avons guère de raisons d’être optimistes concernant l’extrême gauche mais nous n’allons pas rester des spectateurs passifs qui commentent simplement, les bras croisés, la nécessité de la révolution socialiste un jour, comme le fait LO. Nous n’allons pas non plus lancer des slogans vides à la « Urgence révolution » comme le NPA-R. L’heure est au bilan des défaites qui viennent de se dérouler depuis les retraites, la révolte des quartiers, le mouvement pour la Palestine et maintenant cette nouvelle progression du RN. L’heure est à la rupture avec le front populaire, condition pour que la classe ouvrière lutte pour ses propres intérêts de classe immédiats et avance vers la révolution. C’est la perspective que nous proposons. Je vous remercie.