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1er août – Les derniers feux de la révolte kanak, qui a éclaté en mai dernier, semblent s’éteindre peu à peu dans l’indifférence générale en métropole. La répression de l’État colonial a fait au moins huit morts parmi les Kanak, dont Rock Wamytan, homonyme et parent d’un des principaux dirigeants du FLNKS, tué par un sniper du GIGN. Des centaines de militants ont été arrêtés, y compris sept dirigeants indépendantistes qui ont été déportés en France, à 17 000 kilomètres de chez eux. Tout comme il faut, en France, poursuivre la bataille pour défendre les jeunes des quartiers emprisonnés suite à la révolte de l’été 2023, il faut défendre tous les militants kanak détenus et exiger leur libération immédiate et leur amnistie ! Nous exigeons aussi le retrait de l’armée, de la gendarmerie et de la police françaises de Kanaky !

Ce soulèvement a mis au grand jour la faillite de la gauche française. Pendant que Mélenchon chante les louanges des chefs coloniaux d’hier (Mitterrand, Rocard), le programme du Nouveau Front populaire prône un « destin commun » pour la France et Kanaky, c’est-à-dire la continuation de l’asservissement colonial de Kanaky pour la plus grande gloire de la France. Les chefs syndicaux n’en parlent même pas, tout occupés qu’ils sont à exiger un gouvernement du minable NFP.

Entre-temps, l’économie de l’île s’est effondrée, dans un contexte de crise chronique du nickel qui représente plus de 20 % de l’emploi dans le privé. L’usine de nickel KNS dans le Nord a annoncé sa fermeture et le licenciement de ses 1 200 travailleurs ; le tourisme est à l’arrêt ; des milliers de travailleurs se retrouvent au chômage ; l’insécurité règne à Nouméa. Les petits patrons et même une partie des travailleurs se tournent vers l’impérialisme français pour les tirer d’affaire, mais celui-ci est incapable de relancer l’économie d’aucune manière significative.

Les ravages causés à l’économie du pays par la spéculation internationale sur le nickel et la faillite induite de toute la filière en Kanaky vont avoir un effet plus profond et durable que les dégradations commises lors du soulèvement des jeunes à Nouméa, même si les impérialistes s’empressent de faire porter le chapeau au soulèvement kanak pour le profond déclin économique de l’archipel.

Pendant trente ans, la bourgeoisie française avait passé un accord avec les nationalistes kanak pour développer la filière du nickel. Aujourd’hui, cette bourgeoisie en plein déclin, et faisant face à une situation internationale de plus en plus défavorable, n’a plus les moyens de maintenir une telle politique. Aujourd’hui, des mines plus prometteuses sont mises en exploitation ailleurs dans le monde, y compris par la famille Duval qui s’est enrichie sur le nickel de Kanaky. C’est cela la véritable cause matérielle de la crise politique actuelle, remettant en cause tout le système de la domination française de ces 35 dernières années.

Estimant donc que le cadre de l’entente avec les nationalistes établi par les accords de Nouméa était arrivé à sa fin, Macron a systématiquement cherché à donner un rôle accru à l’aile extrémiste des colons, promouvant au poste de secrétaire d’État chargée de la Citoyenneté Sonia Backès, qui plaide pour la séparation des provinces afin de renvoyer les Kanak rétifs dans les réserves, comme autrefois, et redonner son nom à « Nouméa la blanche ». Certaines figures politiques de l’impérialisme français, telles Édouard Philippe, Jospin ou encore Mélenchon avaient mis en garde Macron qu’il allait droit dans le mur en s’appuyant sur l’extrême droite loyaliste ; ils appellent en revanche à de nouvelles négociations pour maintenir la souveraineté française avec l’accord des dirigeants kanak.

De Matignon à Nouméa : Assez d’accords coloniaux !

Depuis le début de la révolte, dans laquelle la jeunesse kanak a joué le rôle central, les chefs nationalistes n’ont cessé de pratiquer un jeu d’équilibre entre leur base d’un côté et la puissance coloniale de l’autre. Sans jamais répudier la révolte qui les a dépassés, ils ont cherché à la maintenir sous leur contrôle en dénonçant les saccages et appelant au « deuil » (y compris pour les gendarmes tués), à l’apaisement et à faire confiance aux institutions de l’oppresseur. Pour eux, il s’agit de montrer à l’impérialisme français que la colonie sera ingouvernable et un gouffre financier s’il ne partage pas le pouvoir avec eux. Étant donné qu’une grande partie de la population kanak dans les zones tribales est maintenue aux marges de l’économie capitaliste de toute façon, ils invoquent les dégradations non pour montrer au peuple la nécessité urgente de réorganiser complètement l’économie en l’affranchissant de la tutelle impérialiste, mais simplement pour faire pression sur Paris pour arriver à de nouveaux accords.

Les dirigeants nationalistes sont prêts à accepter l’immigration française, du moment qu’ils conservent une majorité dans les exécutifs locaux pour gérer les miettes que leur envoie Paris ou tout au moins que sont maintenues les subventions à la filière du nickel. Ils ont montré dans les faits que leur but n’est pas l’indépendance mais la pérennisation des accords de Nouméa, avec les sinécures gouvernementales qui vont avec.

Il est évident que l’impérialisme français ne va jamais partir de Kanaky de son propre gré. Au-delà de ses richesses naturelles, l’archipel, qui avait été une énorme base militaire américaine lors de la guerre du Pacifique pendant la Deuxième Guerre mondiale, offre à la France une position stratégique. La France a été exclue par l’AUKUS (accord militaire Australie, Royaume Uni, États-Unis) du premier cercle contre la Chine, ce qui fait de Kanaky la seule carte qu’elle puisse mettre dans la balance lorsque les choses vont commencer à chauffer entre les États-Unis et la Chine.

Le soi-disant « processus de décolonisation », initié par les accords de Matignon en 1988 puis poursuivi par les accords de Nouméa une décennie plus tard, n’a eu pour but que de démobiliser la lutte pour l’indépendance et repousser tout référendum d’autodétermination aux calendes grecques, submergeant entre-temps le peuple kanak par le peuplement.

Dans les années 1970, suite à l’indépendance de l’Indochine puis de l’Algérie et à Mai 68, le mouvement nationaliste kanak s’est radicalisé, processus qui est arrivé à son apogée dans les années 1980 quand le peuple kanak s’est révolté de façon prolongée. En 1985, en tournée en Kanaky, le président François Mitterrand déclarait sans aucune ambiguïté : « La France entend maintenir son rôle et sa présence stratégique dans cette partie du monde. J’ai demandé au Premier ministre [Laurent Fabius] de prendre toute mesure à cet effet. » Il a fallu encore trois ans à l’État français pour mater par le fer et par le sang la révolte indépendantiste, notamment avec le massacre d’Ouvéa en 1988 où 19 militants kanak furent tués par la gendarmerie nationale.

À la suite de ce massacre, Jean-Marie Tjibaou signa les accords de Matignon qui ne signifiaient rien d’autre que d’accepter la domination française pendant dix ans, après lesquels on verrait. La signature de ces accords par Tjibaou était une trahison de la lutte pour l’indépendance kanak socialiste. Comme l’a dit à l’occasion Léopold Jorédié, un opposant aux accords qui a néanmoins fini par les accepter lui aussi : « l’esclave avait accepté de serrer la main de son maître pour réconcilier les Français ».

Dix ans plus tard, les accords de Nouméa, sous un gouvernement PS-PC (Mélenchon à l’époque était sénateur PS) repoussaient une nouvelle fois, de vingt ans, la tenue d’un référendum d’autodétermination. La réalité c’est que l’État français n’a jamais eu la moindre intention de « décoloniser » Kanaky. Toutes ces quarante dernières années, tout ce qu’il a fait a été de continuer à piller le pays et opprimer les Mélanésiens, de chercher à corrompre les dirigeants en leur fournissant des petites sinécures en échange de la démobilisation du peuple opprimé, tout en rendant les Kanak minoritaires dans leur propre pays.

Pendant des décennies les dirigeants indépendantistes kanak ont essayé de négocier et temporiser, et on voit le résultat. Après 150 ans de lutte, ces 40 ans de compromis qui ont sauvé la souveraineté française sur Kanaky ont montré qu’aucun compromis ne résoudra l’oppression des Kanak !

Il faut une direction communiste kanak !

Il faut chasser les impérialistes de l’archipel ! Pour cela, il faut une direction capable de mobiliser le peuple kanak tout entier et qui cherche à mobiliser aussi la classe ouvrière française en rupture avec les traîtres chauvins qui la dirigent en métropole. Dans la lutte pour l’indépendance, il faut revendiquer l’expropriation sans compensation et sous contrôle ouvrier de toute la filière minière en Kanaky, ainsi que la nationalisation de la terre et sa redistribution radicale par des comités paysans. Il faudrait chercher à mobiliser les travailleurs et la population caldoche appauvrie derrière de telles revendications en leur montrant que leur propre libération de l’exploitation et de la misère dépend de la libération nationale kanak.

Surtout, pour polariser les Caldoches et les « métros » et enfoncer un coin entre eux d’un côté et le pouvoir colonial de l’autre, il faut que la classe ouvrière en France soit mobilisée pour l’indépendance. L’impérialisme français en pleine décadence est en train de détruire économiquement Kanaky, et en même temps il ne cesse de s’attaquer aux acquis des travailleurs en France, s’appuyant notamment sur la division de la classe ouvrière sur des lignes raciales, nationales et religieuses particulièrement dans le contexte actuel de montée de la réaction. Pour commencer à organiser l’offensive prolétarienne nécessaire contre l’impérialisme décadent, il faut montrer aux travailleurs que la libération des colonies françaises, à commencer par Kanaky, est dans leur propre intérêt matériel.

LO doit choisir son camp

En faisant campagne, de façon critique, pour LO lors des européennes de juin dernier, nous avons mis en avant comme questions clés pour combattre la droite et les mélenchonistes la nécessité de défendre les jeunes des quartiers ainsi que l’indépendance de Kanaky. Parce que LO a une grosse contradiction. Par rapport aux quartiers en France, elle a dénoncé la « violence aveugle », le « manque de conscience », la « misère morale » des jeunes, et elle a refusé de les défendre, capitulant ainsi devant les « valeurs de la République ». Mais elle considère à juste titre que la révolte tout aussi anarchique des jeunes en Kanaky est justifiée. Comment expliquer une telle contradiction ? C’est qu’en tant que libéral on peut critiquer le colonialisme, d’autant plus que la politique ultrarépressive de Macron est à courte vue du point de vue des intérêts de l’impérialisme français, alors que la question des quartiers touche au cœur du républicanisme français face à la « cinquième colonne islamiste ».

LO a néanmoins refusé de faire de l’indépendance de Kanaky un sujet de sa campagne électorale. Pourquoi ? Parce que, de son propre point de vue, prendre ouvertement et sans aucune ambiguïté le camp de l’indépendance serait une capitulation devant le « nationalisme bourgeois » ! Ainsi, LO se limite à déclarer qu’« il revient bien aux Kanaks dont la Nouvelle Calédonie est la terre et le pays, de décider de leur avenir ! » (16 mai) D’accord, sauf que, interrogée le 20 mai par Europe 1 si elle serait pour « l’indépendance totale », même au risque que la Chine « avale » la « Nouvelle-Calédonie », Nathalie Arthaud était interloquée qu’on puisse la soupçonner d’une telle position : « Non ! Je n’ai pas dit qu’il faut rendre la Nouvelle-Calédonie aux Kanak ! Pas du tout, j’ai dit que c’est aux Kanak de décider de leur avenir », a-t-elle répondu (interview disponible sur le site de LO). Dans Lutte de classe (juillet-août), LO développe ses arguments en faisant voir que l’indépendance sous le capitalisme maintiendrait la « Nouvelle-Calédonie » (elle refuse le mot « Ka-na-ky ») sous le joug de l’impérialisme. C’est pour cela que Trotsky nous a appris que, dans les colonies, la lutte pour l’indépendance est le levier fondamental de la lutte pour le socialisme, alors que LO oppose ces deux luttes. Loin d’essayer de jouer un rôle dans la lutte contre « notre propre » puissance coloniale, LO se contente de déclarations alambiquées acceptables pour un libéral quelconque (et pour les droitiers chauvins d’Europe 1).

En dépit de ses déclarations abstraites pour « l’internationalisme prolétarien », LO finit par s’accommoder au statu quo impérialiste ; elle est incapable de se battre contre la droite et elle laisse le champ libre aux dirigeants nationalistes petits-bourgeois, alors que toute la question pour les communistes en Kanaky est de se battre pour leur arracher la direction de la lutte pour l’indépendance kanak socialiste. Et de même elle ne peut pas contrer les prétentions frauduleuses d’un Mélenchon à se déclarer l’ami des Kanak.

Révolution permanente (RP) a été beaucoup plus critique que LO vis-à-vis de la politique des nationalistes (notamment à propos de leur condamnation de la révolte) et même vis-à-vis de Mélenchon. Le problème, c’est que tout cela ne porte pas à conséquence à ses yeux car elle refuse systématiquement de chercher à les remplacer par une direction communiste. Notamment en France, la solidarité avec la lutte du peuple kanak n’a aucune valeur si elle ne s’accompagne pas d’une lutte pour chasser les dirigeants qui font obstacle à la mobilisation de la classe ouvrière contre l’impérialisme français en Kanaky, en Ukraine et en Palestine. RP a même lamentablement fini par appeler à voter pour LFI au deuxième tour des dernières législatives (voir notre article de première page).