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https://iclfi.org/pubs/lb/236/trotsky

Nous publions ci-après quelques fragments des écrits de Trotsky contre le Front populaire des années 1930. À l’époque, le Parti communiste français regroupait, en dépit de sa stalinisation, l’essentiel de l’avant-garde prolétarienne qui cherchait à émuler la révolution d’Octobre, et la base ouvrière du PS/SFIO penchait à gauche. À travers l’alliance avec les radicaux bourgeois, le rôle du Front populaire a été alors de neutraliser la montée révolutionnaire du prolétariat dont l’apogée a été Juin 36. De nos jours, les deux partis historiques des travailleurs, profondément discrédités, ne sont que l’ombre à peine discernable de ce qu’ils étaient, et sur toutes les questions clés ils se placent à droite de la France insoumise, un parti bourgeois populiste de gauche. C’est précisément à cause du discrédit des sociaux-démocrates du PCF et du PS que LFI joue le rôle central dans le maintien du mouvement ouvrier en état d’impuissance.

Dans les années 1930 le prolétariat français faisait face à un mouvement fasciste croissant qui cherchait à détruire les organisations du mouvement ouvrier. Semant la paralysie et la démoralisation, le Front populaire pava la voie à Vichy. Aujourd’hui, le prolétariat ayant subi une série de défaites qui a culminé avec l’échec des mobilisations contre la réforme des retraites l’an dernier, la bourgeoisie n’a pas besoin de bandes fascistes, et le Rassemblement national s’est consolidé en tant que parti bourgeois parlementaire raciste et anti-ouvrier. Le Nouveau Front populaire (NFP) cherche à se justifier comme « rempart » contre la montée de la réaction, mais son rôle est toujours le même : paralyser la classe ouvrière en l’enchaînant à la bourgeoisie. Tant qu’il n’y aura pas un pôle ouvrier contre la réaction, le NFP continuera ainsi à paver la voie au RN vers l’Élysée.

Hier comme aujourd’hui, la tâche des révolutionnaires est d’œuvrer à la rupture du front populaire, comme insistait Trotsky, pour faire avancer l’indépendance de classe prolétarienne face à la bourgeoisie. LO, NPA-R et RP ont lamentablement failli à cette tâche centrale en refusant d’appeler, au deuxième tour des législatives en juillet, à l’abstention vis-à-vis de l’aile gauche populiste du front populaire, et/ou du PCF.

« L’heure de la décision approche… Sur la situation en France » (1938)

Le Front populaire est une coalition de partis. Toute coalition, c’est-à-dire toute alliance politique durable a, nécessairement comme programme d’action, le programme du plus mesuré des partis coalisés. Le Front populaire signifiait dès le début que socialistes et communistes plaçaient leur activité politique sous le contrôle des radicaux. Les radicaux français représentent le flanc gauche de la bourgeoisie impérialiste. Sur le drapeau du parti radical sont inscrits « patriotisme » et « démocratie ». Le patriotisme signifie la défense de l’empire colonial de la France ; la « démocratie » ne signifie rien de réel, mais sert seulement à enchaîner au char de l’impérialisme les classes petites-bourgeoises.

« La France à un tournant » (1936)

Le Front populaire, nous dit-on non sans indignation, n’est nullement un cartel, mais un mouvement de masse. Les définitions pompeuses ne manquent pas, certes, mais elles ne changent rien aux choses. Le but du Cartel a toujours été de freiner le mouvement de masse en l’orientant vers la collaboration de classe. Le Front populaire a exactement le même but. […]

Un principe élémentaire de la stratégie marxiste est que l’alliance du prolétariat avec les petites gens des villes et des campagnes doit se réaliser uniquement dans la lutte irréductible contre la représentation parlementaire traditionnelle de la petite-bourgeoisie. Pour gagner le paysan à l’ouvrier, il faut le détacher du politicien radical qui l’asservit au capital financier. Contrairement à cela, le Front populaire, complot de la bureaucratie ouvrière avec les pires exploiteurs politiques des classes moyennes, est tout simplement capable de tuer la foi des masses dans les méthodes révolutionnaires et de les jeter dans les bras de la contre-révolution fasciste. […]

[Le Front populaire] représente un conglomérat d’organisations hétérogènes, une alliance durable de classes différentes liées pour toute une période – et quelle période ! – par une politique et un programme communs – une politique de parade, de déclamation et de poudre aux yeux. À la première épreuve sérieuse, le Front populaire se brisera et toutes ses parties constitutives en sortiront avec de profondes lézardes. La politique du Front populaire est une politique de trahison. […]

Il est impossible de ne pas s’indigner quand on lit les déclarations de chefs vantards qui prétendent que le Front populaire a « sauvé » la France du fascisme ; en réalité, cela veut tout simplement dire que nos héros affolés se sont épargné par leurs encouragements mutuels une frayeur plus grande encore. Pour combien de temps ?

« Le R.S.A.P. et la IVe Internationale » (1936)

La question des questions est à présent celle du Front populaire. Les centristes de gauche cherchent à présenter cette question comme purement tactique ou même comme une manœuvre technique, de manière à pouvoir continuer en pratique à mener leurs petites affaires. En réalité, à notre époque, le Front populaire est la question principale de la stratégie de classe prolétarienne. Il fournit aussi le meilleur critère pour la différence entre bolchevisme et menchevisme, car on oublie souvent que le plus grand exemple historique de front populaire, c’est la révolution de février 1917. De février à octobre, les mencheviks et les social-­révolutionnaires, qui constituent un bon parallèle avec les « communistes » et les social-démocrates, ont été en alliance étroite et en coalition permanente avec le parti bourgeois des « cadets », avec lequel ils ont formé une série de gouvernements de coalition. Sous le signe du Front populaire, se trouvait toute la masse du peuple, y compris les soviets d’ouvriers, de paysans et de soldats. Bien sûr, les bolcheviks participaient aux soviets. Mais ils ne faisaient pas la moindre concession au Front populaire. Ils exigeaient la rupture de ce Front populaire, la destruction de l’alliance avec les cadets, et la création d’un véritable gouvernement ouvrier et paysan.