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https://iclfi.org/pubs/lb/240/spark

Nous reproduisons ci-après la traduction d’un document de William W. du 30 juin dernier. Spark est affiliée politiquement à Lutte ouvrière, et la Spartacist League/U.S. est notre section états-unienne.

J’ai démissionné de Spark en avril 2025, en raison de sérieux désaccords politiques, après y avoir milité loyalement pendant plus de sept ans à Chicago. Ces désaccords se sont développés au fil des ans. Au départ, ils semblaient mineurs et je pouvais les attribuer à des malentendus ou à des erreurs de la direction locale. Mais j’ai réalisé par la suite que c’était plus grave. J’avais par exemple des objections à certains contenus du journal de Spark, en particulier lorsqu’il ne dénonçait pas politiquement le rôle des politiciens libéraux du Parti démocrate et des bureaucrates syndicaux. J’ai remarqué l’année dernière que mes divergences étaient similaires à celles exprimées par la Spartacist League/LCI. Après avoir démissionné de Spark, j’étais donc impatient d’en savoir plus sur la SL et ses idées sur l’avenir du mouvement trotskyste. Après plusieurs discussions, j’ai décidé d’adhérer à la SL. Je vais essayer de résumer les questions qui m’y ont conduit.

Politique électorale

Comme Spark est politiquement affiliée à Lutte ouvrière (LO), nous avons discuté la participation de LO aux élections anticipées en France de l’été 2024. Je me suis opposé à la décision de LO de promouvoir l’acceptabilité du vote pour le Nouveau Front populaire (NFP) au second tour. LO avait présenté ses propres candidats au premier tour. Mais, défaits au premier tour, ils ont dit à leurs partisans qu’ils pouvaient voter pour le NFP contre le candidat de droite « sans en être gênés ». J’étais choqué, sachant avec quelle ténacité, dans les années 1930, Trotsky avait combattu le front populaire, qui a conduit à des trahisons causes de défaites et de tragédies pour la classe ouvrière en Espagne, en France, en Chine (1927) et ailleurs. Et Trotsky est allé au-delà de ces trahisons spécifiques : il tirait un trait d’égalité entre le front populaire et le menchévisme lui-même. Il disait que c’était précisément cette politique de collaboration de classe que lui et Lénine avaient combattue et vaincue au sein du Parti bolchévique entre avril et octobre 1917. Il a décrit cette lutte dans son célèbre ouvrage Leçons d’Octobre.

J’ai appris ensuite que Spark avait une approche similaire concernant son attitude à l’égard des élections présidentielles américaines de 2024. Spark a organisé des campagnes du Working Class Party (WCP) dans le Michigan, en Californie et dans l’Illinois et elle a appelé à juste titre à voter pour le WCP en opposition aux deux partis capitalistes lors de ces élections. Mais elle n’a pas eu la même approche là où le WCP n’avait pas de candidat, en particulier dans la campagne présidentielle. Certains d’entre nous à Chicago étaient pour que Spark donne un soutien critique à une liste ouvrière à la présidentielle, opposée aux partis capitalistes. La plus importante de ces listes était celle du Parti pour le socialisme et la libération. Mais Spark a rejeté cette approche et a finalement choisi de s’abstenir de soutenir officiellement une liste présidentielle.

Ils ont toutefois donné quelques orientations à leurs membres et sympathisants. Il y a eu avant les élections une réunion nationale du Working Class Party avec la participation de nombreux militants du WCP non membres de Spark ; l’un des dirigeants nationaux les plus anciens et les plus influents de Spark y a suggéré que, puisque le WCP ne se présentait pas à l’élection présidentielle, les partisans du WCP pouvaient voter pour la démocrate Kamala Harris. J’étais choqué d’entendre cela ; et lorsque j’ai demandé comment cela avait pu arriver, les dirigeants nationaux de Spark ont avancé diverses excuses. L’un d’eux a déclaré : « Le camarade est âgé et subit des pressions de son entourage. » Il s’agit clairement d’une violation des principes marxistes fondamentaux, que la direction nationale de Spark n’a jamais rejetée ni tenté de clarifier. Lors des discussions préalables à la conférence, j’ai souligné que, pour les marxistes révolutionnaires, voter est une action sérieuse, une déclaration de soutien politique. Et il est tout à fait contraire aux principes de soutenir politiquement un candidat ou un gouvernement capitaliste. Comme la direction nationale de Spark était incapable de traiter ce problème, je n’ai pu qu’en conclure que, selon ses dirigeants, il est acceptable que ses militants ou ses partisans votent pour des partis capitalistes si le Working Class Party ne se présente pas aux élections en question. C’est l’un des principaux facteurs qui m’ont poussé à démissionner.

La lutte contre l’oppression raciale et nationale

Deuxièmement, je suis en désaccord avec Spark sur la question nationale. Soit Spark n’est pas d’accord avec une grande partie des écrits de Lénine sur le droit des nations à l’autodétermination, soit elle pense que cette question n’est plus d’actualité. Spark s’oppose à l’oppression raciale mais son programme là-dessus est purement idéaliste : s’unir et lutter pour le socialisme. Elle appelle abstraitement à l’unité de classe, mais ne dit rien sur comment réaliser cette unité. Il ne suffit pas de se contenter d’expliquer que tous les travailleurs ont des intérêts communs. Cela revient à négliger ou minimiser le rôle crucial de la lutte contre l’oppression raciale et nationale. Ce que Spark ne dit pas, c’est que tous les travailleurs ont un intérêt matériel direct à lutter contre l’oppression raciale et nationale. Cela signifie lutter pour la libération des noirs aux États-Unis et pour en finir avec la domination impérialiste dans le monde. L’unité de la classe ouvrière doit reposer sur l’opposition de toute la classe à toutes les formes d’oppression raciale et nationale, et sur le soutien aux luttes des opprimés contre leur oppression.

Exemple : la position de Spark sur la guerre menée par Israël et les États-Unis contre le peuple palestinien. Spark et LO s’opposent au génocide à Gaza et à l’oppression des Palestiniens par Israël mais elles s’opposent également à la lutte que mènent concrètement les Palestiniens contre l’affreuse oppression nationale qui est leur réalité quotidienne. Du coup Spark s’oppose à la libération nationale et à l’autodétermination des Palestiniens. Même s’ils appellent à la défaite d’Israël dans la guerre actuelle, ils ne soutiennent pas la lutte de libération des Palestiniens. Résultat, ils ont dissuadé leurs militants à Chicago de participer aux manifestations contre l’aide américaine à Israël et en faveur de la libération palestinienne.

Ils le justifient en affirmant que tout nationalisme est réactionnaire, y compris le nationalisme de ceux qui luttent contre l’oppression nationale. Du coup ils restent spectateurs, proclamant de façon abstraite qu’il faut l’unité. Ce sont des proclamations vides car la condition essentielle pour l’unité entre travailleurs palestiniens et israéliens, c’est le rejet du sionisme et de l’oppression nationale. Les marxistes doivent prendre part aux luttes des opprimés sur la base de l’entièreté de notre programme en cherchant à relier ces luttes à la classe ouvrière et au renversement du capitalisme et de l’impérialisme. Cela signifie lutter politiquement contre le Hamas et tous les dirigeants nationalistes bourgeois afin de dénoncer leur rôle réactionnaire, mais en même temps soutenir un front unique anti-impérialiste comprenant ces forces bourgeoises pour défendre militairement la population. Il faut une stratégie révolutionnaire propageant également la lutte dans la population israélienne, en particulier sa classe ouvrière, car un puissant mouvement ouvrier révolutionnaire à l’intérieur d’Israël est essentiel pour vaincre l’État sioniste.

La lutte des classes

Je n’étais pas d’accord que Spark n’intervienne pas dans le syndicat des enseignants de Chicago (CTU), en particulier dans le contexte des récentes négociations contractuelles, qui ont duré un an. Comme un sympathisant de Spark siégeait à la Maison des délégués du syndicat, ils étaient bien placés pour prendre une position ferme. Mais Spark s’est mise à la remorque de la direction social-démocrate du syndicat, sans remettre en cause de manière tranchante sa stratégie de collaboration de classe, qui reposait entièrement sur le maire démocrate et d’autres politiciens du Parti démocrate. Les dirigeants du CTU ont passé l’essentiel de leur temps à faire du lobbying et des négociations politiques, ce qui n’a donné que des résultats insignifiants par rapport aux besoins réels de leurs membres et des élèves. Et ce qu’ont promis Brandon Johnson et la présidente du CTU, Stacy Davis Gates, n’est qu’une chimère : la « transformation » de l’éducation publique grâce à leur coopération et à leur leadership.

Il faut dire la vérité à la classe ouvrière et aux enseignants de Chicago : la transformation des écoles de Chicago ne se fera pas sans une lutte de classe majeure mobilisant la classe ouvrière noire et latino-américaine et menée par elle : c’est elle qui souffre le plus du système scolaire public actuel, marqué par la ségrégation raciale et l’austérité budgétaire. Et il faut mener cette lutte non seulement indépendamment de la classe capitaliste et des gouvernements démocrates ou républicains à sa solde mais contre eux. Tout au long des discussions que j’avais régulièrement avec ce sympathisant sur les réunions de délégués du CTU, il ne m’a jamais fait part d’un seul cas où il se serait prononcé contre la politique de collaboration de classe de la direction, ni même contre une motion pour soutenir la candidature du démocrate Brandon Johnson à la mairie, ou bien où il aurait proposé une stratégie révolutionnaire. Malgré mon insistance, je n’ai jamais entendu personne dans la direction de Spark lui dire de le faire.

De façon générale, Spark évite de participer à la lutte de classe et s’isole des luttes politiques et des débats importants dans le mouvement ouvrier et la gauche. Cela apparaît clairement dans le « Rapport national » adopté lors de sa conférence d’avril 2025 (Class Struggle no  123). D’abord il décrit l’attaque tous azimuts de la bourgeoisie dirigeante contre la classe ouvrière et ses alliés par Trump et Musk : suppressions massives d’emplois et de services, expulsions, répression et déni des droits démocratiques. Il souligne ensuite à juste titre que la classe ouvrière n’est pas préparée à cette attaque. Mais comment y répondre ? La seule action qu’il propose pour la période à venir est de « planter un drapeau qui puisse servir de point de ralliement aux travailleurs et à tous ceux qui lient leur destin à la classe ouvrière ».

Le document part du principe que la réponse de la classe ouvrière et de ses alliés sera faible ou limitée et il laisse entendre que la meilleure chose à faire pour les révolutionnaires est de se replier sur eux-mêmes jusqu’à ce que la situation devienne plus favorable.

Il faut une autre perspective. Nous savons que toutes ces attaques frappent le plus durement la classe ouvrière. Elles provoquent une réponse, une réaction. Des luttes défensives prennent forme. Voilà la réalité de la lutte des classes, et nous devons nous mouiller, quelle que soit l’ampleur de la réponse. Nous ne pouvons pas rester les bras croisés face à ces attaques. Le fait que la classe ouvrière soit mal préparée rend notre engagement dans la lutte des classes d’autant plus important, et non l’inverse.

Enfin, j’ai trouvé que le document « Rapport national » souffre d’une autre lacune. Il décrit de manière assez détaillée la réalité actuelle en donnant un aperçu des attaques de la classe dirigeante et du virage à droite de la politique américaine. Mais il ne fournit pas de perspective marxiste sur les raisons de ce virage ni de réflexions sur la manière dont les choses sont susceptibles d’évoluer dans les mois et les années à venir. En revanche, j’estime que c’est exactement ce que fait l’analyse de la LCI dans « L’impérialisme américain serre la vis » (Spartacist n° 48). J’espère que les camarades de Spark liront ce document et le considéreront comme une contribution importante à une discussion essentielle. Je suis très curieux de votre réaction et je voudrais vivement en discuter avec vous.