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19 juin – L’écrasante victoire du Rassemblement national aux élections européennes suscite la colère et l’inquiétude parmi les travailleurs et les minorités, à une semaine des législatives imposées par la dissolution de l’Assemblée nationale par Macron. La question est : Comment lui faire barrage ? Le Nouveau Front populaire (NFP) vient de jeter bas le masque. Avec ce front populaire, les mélenchonistes font revivre l’illusion qu’on pourrait stopper l’avancée de l’extrême droite avec des alliances libérales-républicaines. Le NFP prétend lutter contre le RN avec des promesses sociales, notamment l’abrogation de la réforme des retraites, dont tout le monde sait qu’il reviendra dessus, tout comme le RN l’a déjà fait, sous prétexte de l’état de l’économie. Loin de proposer l’amnistie pour les jeunes des quartiers qui se sont révoltés l’été dernier et d’en finir avec la campagne antimusulmans, il promet plus de flics et plus de juges, encore plus de « lutte contre l’antisémitisme », bref tout ce qui a fait le lit de la macronie et du RN.
En guise de programme de paix sur l’Ukraine, il promet d’armer jusqu’aux dents le gouvernement pro-OTAN et pro-impérialiste de Zelensky. Il prône la « reconnaissance » de l’État palestinien (alors qu’il n’existe pas) tout en reprenant le langage prosioniste de Glucksmann d’« agir pour la libération des otages ». Sur les colonies françaises, outre la « distribution de bouteilles d’eau », il veut, concernant Kanaky, « renouer avec la promesse du “destin commun”, dans l’esprit des accords de Matignon et de Nouméa », c’est-à-dire maintenir la domination coloniale de l’impérialisme français. Ses candidats ont la gueule de l’emploi : Hollande, Aurélien Rousseau (ex-ministre de Macron), la matonne Céline Verzeletti… S’il arrive au pouvoir il servira de marchepied assuré au RN en 2027.
Beaucoup de militants nous disent que même si nous avons raison, il faut d’abord stopper le RN dans les élections, le NFP étant dans l’immédiat le seul moyen. Cela fait 40 ans que la gauche « fait barrage dans l’urgence » au FN/RN et pourtant l’extrême droite ne cesse de se renforcer. Le Nouveau Front populaire, comme les coalitions du même type dans le passé, n’aboutira qu’à un gouvernement libéral anti-ouvrier qui approfondira la démoralisation parmi les travailleurs et les minorités. C’est ainsi que nous subirons de nouvelles défaites, et le RN en récoltera les fruits.
Il faut prendre le taureau par les cornes. La seule façon de stopper la montée de la réaction est de commencer à construire un pôle ouvrier révolutionnaire en opposition frontale au républicanisme de gauche et au front populaire. La tâche centrale immédiate pour les révolutionnaires est d’utiliser les élections pour nous battre pour une rupture avec le Nouveau Front populaire, et donc nécessairement avec la France insoumise (LFI) qui en constitue l’épine dorsale, afin de confronter la bourgeoisie. Soit l’extrême gauche présente des candidatures de témoignage marginales, soit elle s’oppose ouvertement aux mélenchonistes.
Or c’est Hollande, Glucksmann ou Sandrine Rousseau qui sont la cible des professions de foi de RP et du NPA-R. Les militants de l’avant-garde n’ont pas d’illusions dans ces gens-là, c’est forcément dans la composante la plus à gauche du NFP qu’ils en ont, c’est-à-dire les mélenchonistes. C’est parce qu’elle en est l’aile gauche que LFI joue le rôle central en sabotant chaque lutte des travailleurs et des opprimés. Qu’il s’agisse des besoins des travailleurs et des opprimés en France, ou de stopper le soutien de « nos » impérialistes au nettoyage ethnique sioniste à Gaza, il faut déchaîner le pouvoir de la classe ouvrière comme une force indépendante pour vaincre la bourgeoisie. Mais c’est cela l’anathème pour les républicains – les mélenchonistes tout autant que les bureaucrates syndicaux. C’est précisément l’adhésion de la gauche aux « valeurs républicaines » qui paralyse la classe ouvrière en l’enchaînant à la bourgeoisie et favorise ainsi la montée de la réaction. C’est pourquoi on ne peut pas lutter contre l’extrême droite sans lutter contre le front populaire et centralement LFI.
La semaine dernière, nous avons appelé LO, le NPA-R et Révolution permanente (RP) à former un bloc ouvrier anti-RN opposé au NFP (lettre ouverte de la LTF, 11 juin). RP a, elle aussi, proposé à LO et au NPA-R « un front électoral d’indépendance de classe » incarnant « une forme d’unité qui n’a rien à voir avec celle du “front populaire” de la gauche institutionnelle ». LO a rejeté ces appels à des candidatures unitaires et donc on se retrouve avec des listes de LO partout, du NPA-R dans une trentaine de circonscriptions et la candidature d’Anasse Kazib de RP à Saint-Denis.
L’extrême gauche se présente ainsi, faible et divisée en candidatures disparates, parce qu’aucun de ces groupes, et spécialement RP, n’ose faire de l’opposition aux mélenchonistes l’axe de sa campagne, de peur de se voir accusé de faire le jeu du RN. En fait, à part le dépliant de campagne de LO aucune de leurs professions de foi ne mentionne même la France insoumise ! L’extrême gauche se contente de présenter des candidatures parallèles à celles du Nouveau Front populaire.
Pour pousser en avant l’indépendance de la classe ouvrière et préparer les batailles de demain, il ne suffit pas de maintenir l’indépendance organisationnelle et critiquer le NFP de temps en temps dans son journal ou site web. Les premiers éléments de propagande électorale de ces trois groupes parlent de la responsabilité des fronts populaires précédents dans le désastre actuel. C’est juste mais LFI est un parti relativement nouveau qui a été oppositionnel sous Hollande. Or dans le meilleur des cas, ces groupes critiquent le PS, EELV et éventuellement le PCF, mais évitent soigneusement de s’en prendre aux mélenchonistes (d’ailleurs l’unique liste de RP est présentée dans une circonscription PCF). Au mieux, ces arguments reviennent à chercher à faire pression sur les mélenchonistes pour les pousser à gauche en se débarrassant du PS et des Verts, voire du PCF. Ainsi, RP écrit : « nous sommes persuadés qu’on ne peut pas affronter l’extrême-droite et Macron par une alliance électorale avec le PS ou les Verts ». Alors quel serait le « front électoral d’indépendance de classe » de RP ? Une candidature Mélenchon-Kazib ?
LO, le NPA-R et RP ont une contradiction entre leur opposition formelle au Front populaire et leur campagne qui évite une opposition frontale aux mélenchonistes. Anasse Kazib a été explicite lors de la réunion de présentation de sa campagne ce soir : « On n’est pas là en opposition au front populaire, c’est pas ça qui a motivé notre candidature. » Ne nous résignons pas à la marginalité de la gauche trotskyste ! Luttons pour que ces candidatures soient transformées en un véritable pôle oppositionnel à la NUPES-bis et aux mélenchonistes !
RP et le NPA-R ont tous deux mis l’accent sur « la rue, en participant, en organisant des rassemblements et des manifestations » (éditorial NPA-R, 10 juin). Pour sa part, LO écrit (14 juin) :
Que rien de fondamental ne puisse changer sans la révolution ouvrière est une vérité évidente. Mais la question est : comment y arriver ? La grandiloquence de RP, du NPA-R et LO sur la « lutte de classe » « dans les rues », « par la grève », etc. est une diversion de la tâche fondamentale de former un bloc ouvrier anti-RN dans ces élections, au niveau national. Il s’agit, dans les semaines qui viennent, fondamentalement d’une lutte au niveau parlementaire. D’opposer les mobilisations dans la rue aux élections imminentes est une façon de couvrir une capitulation devant le front populaire, et par conséquent ne fait rien pour avancer la « confiance dans notre propre force » ni préparer les prochaines luttes de classe.
De plus, dans le contexte actuel les mobilisations dans la rue, appelées par les bureaucrates syndicaux, LFI, etc., ont nécessairement pour objectif de mobiliser pour le front populaire. Des centaines de milliers de personnes ont manifesté partout en France contre l’extrême droite le 15 juin à l’appel du NFP et des syndicats, un appel auquel s’est jointe la quasi-totalité de l’extrême gauche. La tâche des révolutionnaires dans ces mobilisations est de chercher à les polariser en se battant pour les orienter contre le front populaire comme obstacle à une véritable lutte contre le RN. Mais que font RP, NPA-R, etc., dans ces mobilisations ? Tout sauf s’opposer au front populaire. Le cortège de RP en particulier se limitait à chanter « Siamo tutti antifascisti » ou « Tout le monde déteste Bardella », à reprendre des chants des gilets jaunes, etc.
LO, le NPA-R et RP peuvent parler très correctement des fronts populaires précédents, quand ils étaient au gouvernement. Mais que disent-ils du front populaire actuel dans l’opposition depuis deux ans ? La profession de foi d’Anasse Kazib critique le soutien du PS et des Verts à la répression de la révolte des quartiers, mais tant RP que LO et NPA-R sont incapables de montrer pourquoi et comment LFI a paralysé chaque lutte au cours des évènements clés depuis début 2023 : retraites, révolte des quartiers et mouvement pro-Palestine. Ce sont ces défaites qui ont pavé la voie à la montée vertigineuse du RN sur fond de droitisation de tout le spectre politique. La responsabilité directe de ces défaites n’incombe ni à Mitterrand (mort depuis 30 ans) ni à Jospin ni à Hollande, mais à Jean-Luc Mélenchon et la bureaucratie syndicale.
En particulier, c’est la défaite sur les retraites le printemps dernier, malgré des grèves massives et des manifestants dans la rue par millions, qui a été décisive, conduisant à la démoralisation et désorganisation des secteurs les plus conscients des travailleurs et permettant à la réaction de passer à l’offensive sur toute la ligne. Il y a eu l’année dernière une division du travail entre LFI et les bureaucrates pour maintenir la lutte dans un cadre tolérable pour la bourgeoisie en la cantonnant aux secteurs les plus combatifs et en empêchant le déclenchement d’une grève générale. Si la bataille pour les retraites a montré une chose, c’est que l’impérialisme français en déclin doit s’attaquer à tous les acquis de la classe ouvrière.
Cette campagne électorale devrait servir à l’extrême gauche pour tirer ces leçons et les diffuser dans la classe ouvrière. Pour faire avancer les intérêts du prolétariat, il faut que l’extrême gauche se batte pour une rupture avec le libéralisme – dont le mélenchonisme est une expression bien française – dans le mouvement ouvrier. Mais le problème de fond, c’est que LO, le NPA-R et RP restent dans le cadre des appels à plus de combativité, grève générale, etc., sans se battre d’ores et déjà pour commencer à construire une direction révolutionnaire.
Militants de LO, RP et NPA-R : Afin de mener un véritable combat contre le RN, transformez vos campagnes en un point de départ pour forger un pôle d’opposition prolétarien au mélenchonisme et au front populaire !