https://iclfi.org/pubs/lb/239/bouteldja
Le dernier livre d’Houria Bouteldja, ancienne porte-parole du Parti des indigènes de la République, fait l’objet d’un débat au sein de la gauche, Révolution permanente lui ayant notamment dédié une longue critique. Il s’agit d’une question clé pour les révolutionnaires. La classe ouvrière dans son ensemble fait face à des attaques brutales, et la période à venir, caractérisée par la montée de la réaction presque partout dans le monde, promet d’être encore plus sombre. L’emprise du Rassemblement national, spécialement parmi les travailleurs, ne cesse de croître. Les « barrages républicains » des mélenchonistes venant à la rescousse de la macronie et du PS, ainsi que la récente condamnation de Marine Le Pen à l’inéligibilité (une mesure anti-démocratique désespérée d’un establishment libéral aux abois), n’ont eu pour effet que de renforcer l’autorité des racistes du RN comme la seule force d’opposition « anti-système ». L’extrême gauche s’accroche au libéralisme moribond et refuse de changer de cap. Le mouvement ouvrier se trouve ainsi profondément divisé, affaibli et politiquement désarmé.
Les minorités opprimées, en particulier la minorité musulmane, sont la cible privilégiée de tout le spectre politique allant du RN jusqu’aux laïcards du PS. La « lutte contre l’islamisme » et l’ « immigration illégale » est l’outil principal des capitalistes de toutes colorations politiques pour diviser les travailleurs. Le combat contre l’oppression des musulmans est en France absolument crucial pour l’unification et la défense de la classe ouvrière tout entière. Dans ce cadre, Houria Bouteldja a le mérite de reconnaître que « la gauche radicale et l’antiracisme politique sont devenus insignifiants » et elle propose une stratégie pour unir « beaufs » (les travailleurs blancs) et « barbares » (les minorités opprimées).
En cherchant à effectuer cette unification, Bouteldja a aussi le mérite d’aller à l’encontre de la ligne de LFI, en dépit de son soutien enthousiaste au mélenchonisme. En effet, selon Clémence Guetté, députée et idéologue de LFI, il serait « illusoire » d’avoir une stratégie pour essayer de gagner (ou regagner) à la gauche ne serait-ce qu’une partie des actuels électeurs du RN, notamment au sein de la classe ouvrière (voir Le Bolchévik n° 237, novembre 2024).
Cela dit, la stratégie mise en avant par Bouteldja est condamnée à l’échec. Le problème de fond, c’est qu’elle se base non sur les intérêts matériels des travailleurs (blancs ou non) mais sur une analyse complètement idéaliste des rapports sociaux, à commencer par le mythe réactionnaire du « privilège blanc ». Voici la thèse centrale de Bouteldja : « L’indifférence est un trait de l’humanité blanche parce que tout Blanc, aussi pauvre soit-il, sait d’instinct que cet ordre lui est bénéfique. » Selon elle, l’idéologie raciste parmi les « petits blancs » reflète « la conscience de leurs intérêts immédiats ».
Sur cette base, elle décrit le processus de construction d’un « État racial intégral » fondée sur un « pacte racial » qui unifie, selon elle, tous les blancs. Réfléchissons : si le système impérialiste et l’oppression raciale qui va avec étaient dans l’intérêt matériel des « beaufs », Guetté aurait raison et il serait en effet illusoire d’envisager de les unifier avec les « barbares ». Heureusement, l’ « analyse » de Bouteldja, tout comme celle de Guetté, est complètement fausse.
Voici quelques-unes des contradictions flagrantes de Bouteldja : elle reconnaît, comme presque tout le monde maintenant, les effets délétères sur les classes ouvrières d’Europe du libéralisme de l’UE et de la désindustrialisation. Elle reconnaît l’importance de la révolte des Gilets jaunes, brutalement réprimée par l’État et qui a causé pas mal de sympathie entre eux et les quartiers. Elle fait le constat de l’incapacité de l’extrême gauche (y compris nous-mêmes à l’époque) de mettre en avant un programme de lutte capable d’unir villes et campagnes, en particulier dans le cadre de la lutte contre la réforme des retraites. Mais elle continue à marteler sur le « privilège blanc ». Fait remarquable, Bouteldja constate la profonde crise de l’extrême gauche, mais elle refuse de faire le moindre bilan du mouvement décolonial lui-même, qui reste une force insignifiante constituée d’intellectuels totalement isolés des quartiers.
Bouteldja montre beaucoup de respect pour Marx et Lénine, mais elle rejette en réalité toutes les prémisses du marxisme, ainsi que ses conclusions révolutionnaires. Là où Engels et Lénine nous ont appris que l’État est le produit des antagonismes inconciliables des différentes classes, constitué en essence de bandes d’hommes armés pour maintenir le pouvoir d’une classe sociale par la violence, Bouteldja nous présente « l’État racial intégral », une entité floue englobant la totalité de la société (blanche, bien évidemment). Assez comiquement, elle refuse de « délivrer un certificat de décolonialité absolue à Lénine tant sa défense de l’autodétermination des peuples opprimés était conditionnée par l’exigence de leur conformité aux intérêts du prolétariat international ». Non, camarade Bouteldja : la libération des peuples opprimés est dans l’intérêt matériel du prolétariat international (y compris des travailleurs blancs).
C’est à cause des absurdités auxquelles conduisent les « théories décoloniales », basées sur un radicalisme racialiste caricatural, que la « stratégie » de Bouteldja est un mélange incohérent de leçons de morale libérale (« les Blancs aiment-ils les enfants ? », se demande-t-elle, sérieusement) et d’adaptation à des valeurs réacs comme le patriotisme bleu-blanc-rouge et la « virilité », le tout enveloppé dans des phrases creuses sur l’internationalisme et la révolution. Cela ne peut que continuer à pousser les « beaufs » dans les bras de l’extrême droite sans présenter la moindre voie de lutte aux « barbares » non plus.
Les intérêts matériels des travailleurs
L’oppression raciste ici même ainsi que le pillage impérialiste des pays du Sud global renforcent le pouvoir des capitalistes, affaiblissent tous les travailleurs (blancs et non blancs) et dégradent leurs conditions de vie et de travail. Les interventions militaires impérialistes, ainsi que l’exportation effrénée de capital dans le processus de « mondialisation » des dernières décennies ont conduit à l’asservissement croissant des pays coloniaux et néocoloniaux (sinon à leur dévastation totale, comme dans le cas de l’Irak ou de la Libye), et en même temps à la désindustrialisation massive dans les pays impérialistes et à la ruine de couches entières du prolétariat et de la petite bourgeoisie urbaine et rurale.
La seule stratégie efficace pour unifier « beaufs » et « barbares » consiste à montrer, de façon concrète et lors de luttes réelles, comment il est dans l’intérêt des travailleurs de la majorité dominante de combattre contre l’ennemi commun l’oppression des minorités opprimées. C’est ainsi et pas autrement que les bolchéviks de Lénine ont réussi à unifier la classe ouvrière, Grands-Russes et « allogènes », comme un poing serré contre le tsarisme et les capitalistes.
Prenons le cas des enseignants. Il y a eu l’an dernier une longue grève des profs dans le 9-3 exigeant un « plan d’urgence » à hauteur de 358 millions d’euros pour le système éducatif du département (voir Le Bolchévik n° 235, mai 2024). Grâce aux stratégies perdantes des bureaucrates, la grève n’a abouti à rien et les profs, au lieu d’obtenir les 358 millions, font face à de nouvelles coupes budgétaires et fermetures de classes. Si cela fait des années que les profs des quartiers font face à des fermetures de classes et à des conditions matérielles misérables dans des écoles souvent déjà littéralement en ruines, ces attaques sont maintenant généralisées à tout le pays, y compris à Paris, bastion du « privilège blanc ».
Il y a encore quarante ans, l’industrie avait besoin d’une main-d’œuvre assez qualifiée pour faire tourner les usines, et il fallait donc une éducation nationale capable de la former. Aujourd’hui, l’impérialisme français pourrissant refuse catégoriquement de fournir une éducation décente aux masses. Au fur et à mesure que l’économie s’est tournée toujours davantage vers des activités purement spéculatives et parasitaires dans la finance et les services haut de gamme, tandis que la classe ouvrière était décimée, la nécessité de maintenir des normes éducatives à moitié décentes pour la masse de la population est passée à l’arrière-plan.
« Choc de savoirs », « groupes de compétences », Parcoursup, tout est dirigé vers l’élitisation croissante de l’accès à l’éducation. Les mesures répressives laïcardes contre les jeunes des milieux populaires, notamment l’interdiction du voile et de l’abaya, ne peuvent susciter que le ressentiment de ces jeunes contre les profs eux-mêmes. Nulle part le rapport entre la ségrégation des quartiers et le délabrement des conditions de vie des travailleurs n’est plus apparent que dans le cas des travailleurs de l’éducation.
Pour défendre les intérêts des profs, il faut faire du combat contre la ségrégation des quartiers un enjeu central de leurs luttes quotidiennes. Et c’est vrai pour n’importe quelle branche de l’économie (voir, par exemple, « Comment reconstruire la puissance des cheminots », Le Bolchévik n° 238, février 2025). Les syndicats devraient donner des consignes claires aux profs de refuser de dénoncer des jeunes filles voilées ou encore de renoncer aux leçons d’ « éducation morale et civique » – il y a l’église, la mosquée et le PS pour cela. Mais cela requiert de chasser des syndicats les bureaucrates qui les dirigent à présent et qui sapent les luttes des travailleurs en les maintenant dans le cadre des « valeurs de la République », notamment la « laïcité à la française » brutalement antimusulmans, dont l’interdiction du voile à l’école et dans la fonction publique est la mesure phare.
L’un des échecs les plus spectaculaires de l’extrême gauche, c’est qu’elle a été jusqu’à présent incapable de montrer, dans le concret, une voie ouvrière de lutte indépendante face à la réaction raciste d’un côté, et face à l’antiracisme libéral petit-bourgeois, de l’autre ; elle s’accroche à ce dernier à travers des injonctions morales et elle se limite à des appels complètement abstraits du type « À bas le racisme et l’islamophobie ! ». Il est notable que, dans sa longue critique du livre de Bouteldja, Paul Morao de Révolution permanente (RP dimanche, 23 février) marque pas mal de points parfaitement corrects, mais choisit de ne pas s’attaquer au fondement théorique « décolonial » : le « privilège blanc » et son corollaire, « l’État racial intégral ». Cela constitue en soi une adaptation au libéralisme.
Auto-ségrégation « décoloniale » : cadeau pour bureaucrates et patrons
L’ « autonomie des indigènes », c’est-à-dire leur organisation séparément des blancs, est un cheval de bataille des « décoloniaux ». Bouteldja explique que, si le but est d’unifier blancs et non blancs, « la direction politique des indigènes ne saurait être déléguée à une quelconque direction blanche » vu qu’il va falloir veiller « scrupuleusement à la défense constante de l’intérêt collectif des non-Blancs ». Elle fait le reproche aux syndicats du siècle passé que leur internationalisme (qu’elle exagère assez grossièrement) les a conduits « à désapprouver la formation de syndicats indigènes autonomes accusés de diviser la classe au nom de la race » ; elle dénonce la CGTU déjà stalinisée du début des années 1930 pour s’être opposée à la création de syndicats noirs séparés, notamment dans les ports.
Si la création d’organisations séparées, que ce soit politiques ou syndicales, parmi les minorités opprimées peut être une réaction au social-chauvinisme intense de la gauche réformiste et de la bureaucratie syndicale, c’est une réponse erronée et contre-productive. Quand les intellectuels du mouvement décolonial se mettent à construire des « théories » prônant l’auto-ségrégation, c’est carrément réactionnaire.
L’auto-ségrégation constitue une acceptation du statu quo raciste ; elle divise, dans les faits, la classe ouvrière, la seule force capable de mettre fin à l’oppression spécifique des minorités en renversant le capitalisme. C’est le revers de la médaille des politiciens « de gauche » et des bureaucrates syndicaux – dont les privilèges et la carrière politique dépendent du salut de l’impérialisme français – qui s’adaptent à la stratégie des patrons de « diviser pour mieux régner ». La réponse au chauvinisme pro-impérialiste de la gauche institutionnelle et des bureaucrates est de se battre pour la construction d’une direction révolutionnaire anti-impérialiste, tant au sein des syndicats qu’à l’échelle d’un parti prolétarien, où les militants issus des minorités opprimées sont appelés à jouer un rôle dirigeant.
L’ « autonomie indigène » empêcherait aussi ceux-ci de se battre pour se mettre à la tête des travailleurs blancs, les laissant ainsi dans les bras des bureaucrates traîtres, des mélenchonistes et, surtout, du Rassemblement national. Les syndicats sont les organisations de défense collective de la classe ouvrière. Mais ils sont affaiblis, minés par de multiples divisions et dirigés par des traîtres chauvins. En nous battant contre les bureaucrates et pour l’unification des travailleurs sur la base de leurs propres intérêts, nous augmenterons nettement les chances de nous sortir sans trop de dégâts de la sombre période qui nous tombe déjà sur la tête. Dans chaque branche de l’économie, des campagnes de syndicalisation exigeant par exemple la fin de la sous-traitance et de la précarisation de l’emploi, ainsi que l’embauche de tout le monde au meilleur statut, auraient mille fois plus d’impact pour unifier « beaufs » et « barbares » que toutes les bizarres élucubrations « décoloniales ».
Bouteldja aime bien citer Lénine. Elle devrait considérer plus sérieusement, par exemple, la lutte de Lénine contre le séparatisme du Bund juif, qui exigeait « l’autonomie » des travailleurs juifs de Russie (dont le Bund se proclamait le seul représentant autorisé, bien évidemment). Dans la lutte contre le tsarisme des pogroms, Lénine reprochait aux bundistes « d’éveiller la défiance des prolétaires juifs à l’égard des prolétaires non juifs, de faire régner la suspicion sur ces derniers, de propager des contre-vérités à leur endroit » (« La situation du Bund dans le parti », 1903). Il suffit de remplacer le mot « juif » par « indigène » pour voir l’effet, sinon le but, des « théories » raciales des « décoloniaux ».
LFI et Bouteldja : La « décolonisation » au sein de la République
Rien ne démontre plus clairement la misère du « décolonialisme » de Bouteldja que son soutien fébrile à la France insoumise et même, quoique de façon beaucoup plus critique, au nid de vipères du NFP. Dans son livre, elle entonne la louange de LFI comme « gauche blanche » qui « rompt avec le consensus islamophobe […] elle rompt avec le consensus européen, elle rompt avec le consensus impérialiste ». LFI incarnerait, selon Bouteldja, l’ « âme française » qui « nous vient vaguement des effluves de la révolution de 1789 », cette âme qui « est le cœur encore battant de la Commune ». Un peu exagéré, c’est le moins qu’on puisse dire.
Il est tout à fait vrai que Mélenchon et pas mal de ses partisans ont franchi, à leur honneur, certaines lignes rouges de l’impérialisme français au point que le « barrage républicain » s’est retourné contre eux. Notamment depuis le 7 Octobre, nombreux sont les insoumis qui font face à des procès pour « apologie du terrorisme » à cause de leurs prises de position contre le génocide sioniste, et il est du devoir élémentaire des trotskystes de se rallier à leur défense.
Mais voyons de plus près comment LFI « rompt » avec l’impérialisme. Concernant la Palestine, Mélenchon est pour la « solution » à deux États – en soi une capitulation devant le sionisme puisque cela veut dire soutenir la poursuite de l’existence d’Israël sur des terres volées aux Palestiniens – et il appelle à revenir à « la position traditionnelle de la France […] depuis le Général de Gaulle », à ce que « la France devrait porter la voix de la paix », etc., alors que la France depuis un siècle et demi a joué un rôle central dans tout le chaos sanglant du Moyen-Orient, y compris en soutenant la création de l’État d’Israël.
Les colonies de l’impérialisme français ? Sans doute un sujet d’intérêt pour les militants décoloniaux. Lors de la révolte des jeunes kanak du printemps 2024, Mélenchon exprimait sur X (15 mai 2024) sa « tristesse totale devant la violence qui déferle à Nouméa ruinant 40 ans d’efforts de paix et de volonté de décolonisation pacifique » et il exhortait Macron à se mettre « à la hauteur de Michel Rocard et François Mitterrand, de Tjibaou et Lafleur », une référence aux accords de Matignon et Nouméa. Ces accords coloniaux n’ont jamais eu d’autre but que de mettre fin à la lutte pour l’indépendance – la seule « décolonisation » digne de ce nom.
Bouteldja, de toute évidence dégoûtée (et à juste titre !!) par le pacte de LFI avec le PS qui a donné naissance au NFP et permis l’élection d’un Hollande, a néanmoins écrit une apologie du programme impérialiste du NFP, conseillant à son audience de « garder la tête froide » et, surtout, de « rester stratège » (QG Décolonial, 16 juin 2024). Bouteldja nous rassure que « la FI a donc réussi à gauchiser l’alliance » parce que « sur le plan international, le programme exige l’abandon de la réforme de Macron pour la Kanaky “dans l’esprit des accords de Matignon et de Nouméa à la recherche d’un véritable processus d’émancipation et de décolonisation” ». (En fait, cette phrase du programme du NFP commence en appelant à « renouer avec la promesse du “destin commun”, dans l’esprit des accords […] » [souligné par nous].) C’est ça la « décolonisation », camarade Bouteldja ?
Et la Palestine ? Bouteldja rassure encore ses lecteurs parce que le programme du NFP, « sans être satisfaisant d’un point de vue décolonial, est correct compte-tenu des profondes dissensions ». Dans un livre précédent (Les Blancs, les Juifs et nous, La fabrique, 2016), elle lançait l’appel « Fusillez Sartre ! » pour son soutien à la création de l’État d’Israël. Quelques années plus tard, alors qu’il s’agit de Mélenchon, sa solution à deux États, ses appels à soutenir les institutions impérialistes de la « communauté internationale », le fait qu’il renvoie dos à dos Nétanyahou et le Hamas dans le programme du NFP afin de maintenir son alliance avec les sionistes va-t-en-guerre, pro-flics, technocrates et laïcards antimusulmans du PS, tout ça c’est… « le cœur encore battant de la Commune » ?
Opposition anti-impérialiste à l’UE, ou « Frexit décolonial » ?
Si nous ne sommes pas d’accord avec les arguments et conclusions de Bouteldja, elle a néanmoins parfaitement raison dans son opposition à l’UE comme condition pour briser l’emprise du RN sur les travailleurs et pour les unifier. Le problème est que sa base théorique idéaliste la conduit à s’adapter au souverainisme, quelque part entre Frantz Fanon, Asselineau et Mélenchon. Ainsi, elle prône un « Frexit décolonial » sur la base de la notion que « la France » tout entière serait opprimée par le « super-État racial » de l’UE. Le but de son Frexit serait donc de revenir « au cadre national » afin de reformuler « la souveraineté populaire » ; c’est « l’adhésion à l’État-nation » des « petits blancs » qui la pousse à proposer de donner un contenu nouveau au drapeau et à la Marseillaise.
Loin d’être un « super-État », l’UE est une alliance impérialiste libérale, construite sous l’égide de l’Empire américain pour que celui-ci et ses alliés subalternes, les impérialistes français, allemands et italiens (et britanniques, avant le Brexit) puissent mieux s’attaquer aux acquis des travailleurs dans leur propre pays (et les travailleurs le savent parfaitement) et saigner jusqu’à la dernière goutte les pays pauvres d’Europe. C’est surtout à travers l’UE que les impérialistes français oppriment les pays de l’Est de l’Europe, des Balkans ou encore le Portugal et piétinent leur souveraineté tout en étant en meilleure position pour piller les pays du Sud global en général. L’opposition à l’UE est un devoir pour les révolutionnaires pour la simple raison que sa destruction, par la lutte indépendante des travailleurs en opposition aux souverainistes de droite comme de gauche, est dans l’intérêt du prolétariat des pays impérialistes et des peuples opprimés. Mais Bouteldja est, paradoxalement, complètement aveugle à la dimension anti-impérialiste de la lutte contre l’UE vis-à-vis du Sud global, parce qu’elle pense qu’il est impossible de convaincre les travailleurs blancs qu’il est dans leur intérêt de s’opposer à l’oppression du monde néocolonial. En ce qui concerne les pays opprimés d’Europe, elle s’en fiche – après tout, un blanc c’est un blanc.
Bouteldja reste prisonnière de la perspective de « décoloniser » la République, c’est-à-dire de réconcilier les indigènes avec la bourgeoisie. Selon elle, l’élection de Mélenchon en 2027 serait un premier pas. Ce qu’il faut, au contraire, c’est rompre avec le républicanisme de gauche.
Pour défendre la classe ouvrière et les opprimés dans cette période de réaction violente, et être en fin de compte en mesure de passer à l’offensive, il faut jeter à la poubelle le libéralisme, y compris sa variante « décoloniale », et revenir aux leçons du marxisme révolutionnaire. Le Comintern de Lénine et Trotsky est la seule force qui a su unifier « beaufs » et « barbares » du monde entier dans la lutte contre l’impérialisme mondial.