https://iclfi.org/pubs/lb/237/front-republicain
30 octobre – Donc Macron a fini par accoucher d’un nouveau gouvernement, qui est officiellement sous le contrôle du RN d’extrême droite. Il promet un plan d’austérité comme on n’en a pas vu depuis des années, sinon des dizaines d’années, couplé à des mesures racistes contre les immigrés et contre les jeunes des minorités puisées directement dans l’arsenal du RN.
Face à cette situation dramatique, la classe ouvrière reste pour le moment passive. La démoralisation consécutive à la série de défaites qu’elle a subies depuis la lutte pour les retraites, l’impasse dans la lutte contre l’extrême droite, tout cela pèse lourdement. La journée d’action de rentrée de la CGT le 1er octobre a été l’une des plus faibles depuis longtemps. Cela souligne l’inanité des appels de l’extrême gauche pour cette journée d’action. Révolutionnaires, le journal du NPA-R, déclarait dans son édition du 26 septembre : « Alors, soyons déterminés à faire du 1er octobre un succès, mais avec la conscience qu’il est désormais vital de nous doter nous-mêmes d’un plan de bataille qui se donne comme objectif de mettre le pays à l’arrêt, pour enfin arracher des victoires » (souligné par nos soins).
Bien sûr il fallait suivre les appels à la grève là où il y en avait, mais parler de la mobilisation du 1er octobre comme d’un tremplin pour préparer une grève générale c’est un peu lunaire, et le NPA-R le sait. Il publie en effet dans le même numéro de son journal des articles qui décrivent une atmosphère dans la classe ouvrière de désabusement, de dégoût général pour la politique, de démoralisation.
De même, Révolution permanente (RP) est bien consciente du climat de démoralisation. Lors de leur « Assemblée ouverte » (ouverte à tout libéral antiraciste, fermée à toute intervention de la Ligue trotskyste) le 11 octobre à Saint-Denis, Anasse Kazib a insisté qu’il fallait reconnaître que « personne n’a le couteau entre les dents », qu’il y a une sorte de démoralisation parmi les travailleurs. Peu importe, deux jours auparavant RP écrivait sur son site que, face aux plans d’austérité brutale du nouveau gouvernement, il y a urgence à « préparer une réponse à la hauteur, autour d’un programme qui articule revendications sociales et démocratiques, et qui ne pourra être arraché que par une grève générale ».
On pourrait en dire autant de Lutte ouvrière qui elle aussi titrait dans son journal du 27 septembre « 1er octobre : toutes les raisons de se mobiliser », même si contrairement au NPA-R elle n’ambitionne pas plus que de « montrer qu’on ne se résigne pas ». Or l’atmosphère est justement à la résignation.
Le moralisme libéral dégoûte les travailleurs
Alors comment sortir de cette résignation ? Les platitudes du type RP qui se vante de son travail « porte à porte, dans les marchés », etc. pour « discuter avec les gens » afin de contrer le RN sur la base du simple libéralisme antiraciste ne servent à rien. Les travailleurs en sont venus à détester le libéralisme, la gauche et, pour certains, même l’antiracisme parce que depuis 40 ans des gouvernements libéraux de gauche les attaquent tout en administrant de tous côtés des leçons morales d’antiracisme.
Ce qu’il faut, c’est une compréhension claire des tâches que l’avant-garde doit poser aux travailleurs. Cela doit découler d’une analyse correcte de la situation. Ce qui est à l’ordre du jour c’est de faire le bilan de la défaite de l’année dernière, de l’absence de luttes pour défendre les quartiers lors de la révolte de l’été 2023, de l’impasse du mouvement pour la Palestine et du désastre des dernières élections.
D’abord encore une fois les retraites. La stratégie de l’extrême gauche était de faire pression sur la bureaucratie syndicale pour élargir les grèves (LO) ou déclencher une grève générale (les NPA et RP) ; elle a complètement échoué et on a encaissé une défaite majeure. La leçon à en tirer c’est que toute la stratégie des bureaucrates de contenir la mobilisation dans les limites de ce qui était tolérable pour la bourgeoisie ne pouvait conduire qu’à l’échec.
L’impérialisme français est aujourd’hui en décomposition avancée. L’ordre mondial libéral dominé par les États-Unis, tel qu’il a été constitué sur les décombres de la contre-révolution capitaliste en Union soviétique, est aujourd’hui remis en cause ; les États-Unis pressurent d’autant plus leurs rivaux impérialistes, dont la France, qui avaient pris part pendant trente ans au pillage sans frein du monde sous couvert de mondialisation libérale.
C’est de là que provient la rage de Macron à détruire les acquis de la classe ouvrière dans ce pays. On n’arrachera rien à cette bourgeoisie acculée sans la menacer sérieusement de tout lui prendre. Cela exige une confrontation avec le capitalisme français que ni le Front populaire ni aucune de ses composantes, ni aucune des composantes de la bureaucratie syndicale n’était ni n’est prêt à mener, car ils ont un programme procapitaliste. C’est pour cela que les bureaucrates syndicaux et les mélenchonistes ont conduit la lutte pour les retraites à la défaite. C’est pourquoi il faut une direction communiste luttant ouvertement pour chasser les bureaucrates à la tête des syndicats et les remplacer par une direction qui soit prête à en découdre avec les capitalistes. Si on ne fait pas ce bilan et qu’on ne lutte pas pour une nouvelle direction, les appels du NPA-R pour les journées d’action des bureaucrates, en vue de « mettre le pays à l’arrêt », ne permettront ni de mettre le pays à l’arrêt, ni de mettre un coup d’arrêt aux attaques qui pleuvent, ni même de sortir de la « résignation ».
Puis il y a eu les quartiers et la Palestine. Le gros du mouvement ouvrier, loin de mobiliser pour défendre les jeunes (bien souvent des enfants d’ouvriers), ni pour des grèves ouvrières contre le soutien de l’impérialisme français à la boucherie sioniste, s’est joint aux chasses aux sorcières antimusulmans et soi-disant anti-antisémites, y compris contre les mélenchonistes. Il a ainsi contribué d’autant plus à diviser encore davantage la classe ouvrière entre les ouvriers blancs et ceux soupçonnés d’être musulmans du fait de la couleur de leur peau, ce qui affaiblit tout le monde et a renforcé le Rassemblement national, comme on l’a vu lors des élections de juin et juillet.
Ruffin vs Mélenchon : Il faut une voie ouvrière indépendante
La querelle entre le « frondeur » Ruffin, qui a finalement rompu avec LFI pour aller plus à droite, et Mélenchon résume les différences entre LFI d’un côté, et le reste de la gauche gouvernementale de l’autre. Le PCF, par exemple, s’adapte à la montée de la réaction en demandant plus de protectionnisme, plus de flics et d’« opérations XXL » dans les quartiers, en soutenant l’interdiction de l’abaya à l’école, etc. Mélenchon, lui, prône le « protectionnisme écologique » et un « combat antiraciste » qui se limite à marteler des platitudes telles que le caractère immoral de l’idéologie raciste et les avantages de la « créolisation », tout en continuant à défendre les « valeurs de la République » impérialistes. Clémence Guetté, idéologue de LFI, a récemment déclaré (l’Humanité, 15 octobre) qu’il serait « illusoire » d’avoir une stratégie pour essayer de gagner à la gauche la moindre partie des actuels électeurs du RN – notamment les travailleurs sous l’emprise de la démagogie de ce dernier. Pour LFI, ces travailleurs ne valent pas plus que ceux que la minable Hillary Clinton qualifiait il y a quelques années de « déplorables », les ouvriers blancs américains qui en avaient marre du libéralisme et de l’hypocrisie « éclairée » du Parti démocrate.
La gauche trotskyste reste jusqu’à présent incapable d’offrir à la classe ouvrière une voie de lutte indépendante face à ces deux tendances. Au contraire des élucubrations républicaines de Guetté, l’enjeu central aujourd’hui pour les révolutionnaires est de mettre en avant une voie pour unifier les travailleurs. La seule façon de le faire est de montrer concrètement aux ouvriers blancs que leurs conditions de vie et de travail – que ce soit les salaires, les retraites, l’éducation, le logement, la santé, les transports, etc. – n’avanceront pas d’un pouce si l’on ne se bat pas contre l’oppression et la ségrégation des minorités arabe et noire ; en fait, elles continueront à reculer.
Pendant des décennies, chaque acquis des travailleurs a fait l’objet d’un démantèlement méthodique par les gouvernements de droite comme de gauche. Tout au long de cette période, les dirigeants du mouvement ouvrier et de la gauche – que ce soit de la CGT, du PCF ou plus récemment de LFI, pour ne pas mentionner ceux plus à droite – se sont pliés aux exigences croissantes des capitalistes visant à maintenir un taux de profit acceptable. Dans le cadre du déclin aigu de l’impérialisme français et de la décroissance économique constante qui vient avec, ce processus ne peut conduire qu’à la paupérisation progressive de tous les travailleurs. Cette situation continuera à pousser les travailleurs blancs vers le RN, et les minorités opprimées vers le repli communautaire. On ne peut pas briser cette spirale infernale sans faire plier la bourgeoisie. Mais LFI et le PCF, tout autant que les bureaucrates syndicaux, sont fondamentalement opposés à une telle confrontation, car cela ferait trembler la République sur son socle. C’est pour cela qu’il faut commencer à se battre sérieusement pour chasser les bureaucrates syndicaux et avancer la rupture avec LFI et le PCF, dans la perspective de forger une direction révolutionnaire du mouvement ouvrier.
Mais, tandis que RP s’adapte à l’antiracisme libéral de LFI, LO tourne autour du pot en insistant que la clé pour dépasser les clivages ethniques et religieux est la lutte économique suffisamment forte. Sauf que, si l’on ne se bat pas concrètement pour dépasser ces clivages, il n’y aura pas de lutte économique suffisamment forte. Le NPA-R se déchire entre ces deux alternatives. Le résultat : personne ne défie les dirigeants actuels du mouvement ouvrier, et c’est la réaction qui en sort renforcée.
Macron/Barnier : Merci Mélenchon !
Revenons-en à ces élections. On se rappelle les déclarations triomphantes du NPA-R et de RP qui se réjouissaient du soi-disant revers infligé au RN par le Front populaire, plus précisément le front républicain. Trois mois plus tard on a un gouvernement de droite prenant ses ordres auprès du RN. Quand les mélenchonistes se lamentent que l’élection a été volée par le méchant antidémocrate Macron, c’est une entourloupe pour se dédouaner de leur propre rôle. En fait les mélenchonistes ont retiré leurs candidats et lancé des appels pour faire élire Borne, Darmanin et un tas de gens comme ça. Après ils s’étonnent que ces mêmes Borne, Darmanin etc. fassent une fois élus une alliance de couloir avec le RN ? Darmanin qui trouvait Le Pen trop molle sur la question de l’immigration ? Est-ce que les mélenchonistes veulent faire croire qu’ils sont plus stupides qu’ils ne le sont ? En réalité les macronistes se positionnent sur nombre de points encore à droite de Barnier ; Darmanin a violemment attaqué l’idée de Barnier d’une petite taxe sur les plus gros trusts capitalistes, et sur Kanaky le parti macroniste a envoyé un loyaliste extrémiste protester contre la suspension sine die par Barnier de la révision du corps électoral qui aurait officiellement rendu minoritaires les Kanak chez eux.
Les mélenchonistes peuvent déposer toutes les motions de censure et de destitution qu’ils veulent, ils sont responsables pour avoir porté ce gouvernement au pouvoir. Hollande a raison de dire que LFI préférait ne pas accéder tout de suite au gouvernement. En effet ils se seraient tout de suite démasqués en prenant des mesures anti-ouvrières pour sauver les finances du capitalisme français. Ils se seraient discrédités en quelques mois et pour des années. LFI mise plutôt sur la présidentielle. Or, une fois au pouvoir, elle fera nécessairement ce qu’elle a promis de ne pas faire, tout comme ses prédécesseurs mitterrandiens, jospiniens, hollandais.
Barnier est à Matignon sur la base des suffrages des travailleurs obtenus du fait des mélenchonistes, car ce ne sont pas des appels de François Hollande ou Macron au front républicain qui auraient motivé beaucoup de travailleurs à voter pour ces gens-là. Barnier donc va d’autant mieux attaquer les travailleurs que ceux-ci sont démoralisés parce que leur propre direction les a appelés à lui apporter leurs voix. C’est ça qui pave la voie au RN d’autant plus sûrement aux prochaines élections, lesquelles probablement ne tarderont pas. On n’aura pas gagné du temps. La classe ouvrière risque au contraire de se retrouver lors de l’accession au pouvoir de Le Pen dans une situation encore plus faible qu’elle ne l’était avant les dernières élections.
C’est pour cela qu’il fallait lutter pour un pôle ouvrier anti-RN dans ces élections. Dans notre dernier journal (Le Bolchévik n° 236, août 2024), nous expliquons comment nous sommes intervenus lors des élections dans ce but, y compris en appelant le NPA-R, LO et RP à présenter des listes communes opposées non seulement à Le Pen mais à LFI aussi. Nous avons appelé à voter pour eux parce qu’ils se disaient opposés au Front populaire, et nous avons appelé à l’abstention au deuxième tour. Malheureusement ces trois groupes, au contraire, se sont couchés au deuxième tour devant le Front populaire ou tout au moins son aile gauche.
LO, NPA-R, RP : Le vote LFI/PCF n’était pas anodin
Le résultat, c’est qu’on est toujours au point zéro pour construire un pôle ouvrier anti-RN. Beaucoup de militants du NPA-R ne comprennent pas la signification de leur propre appel à voter PCF/LFI. Ils croient qu’ils sont absous parce qu’ils ont continué entre les deux tours à critiquer les mélenchonistes et qu’ils ont continué à dire qu’on ne fait pas barrage au RN en soutenant le front populaire ; mais alors pourquoi voter pour eux, on se le demande vraiment ?
Critiquer les mélenchonistes n’est pas suffisant, des millions de gens critiquaient le front républicain mais ont voté pour lui parfois « en se bouchant le nez ». La question, c’est de s’opposer à LFI, frontalement. Si on ne le fait pas, on alimente l’idée qu’après tout c’est déjà faire un petit quelque chose contre le RN, alors qu’en réalité c’est ainsi qu’on alimente la démoralisation dont se nourrit le RN. L’argument du NPA-R, et souvent de LO, est que des collègues, notamment d’origine immigrée, ont très peur du RN, à juste titre, et par solidarité avec eux on peut ou même on doit les accompagner en ne se dressant pas contre la pression de voter NFP. Mais si on a un collègue qui emprunte une voie qui mène droit dans le mur, doit-on l’« accompagner » jusque dans le mur ou doit-on au contraire non seulement le mettre en garde mais lui dire de faire immédiatement demi-tour ? Qui sont les vrais amis de ces collègues ?
Il faut se ressaisir en commençant à construire une véritable opposition ouvrière au front populaire. Celui-ci n’est pas un demi-pas contre le RN, c’est au contraire ce qui lui pave la voie ; il faut arrêter de refaire les expériences à la Hollande, Mitterrand, Jospin. Les travailleurs ne vont commencer à prendre au sérieux les groupes se réclamant du trotskysme que dans la mesure où ils se positionnent clairement contre le front populaire et tout particulièrement son aile gauche, sans quoi ils continueront à se fier à LFI, qui les ramènera derrière les PCF, les Castets, les Hollande, etc. (D’ailleurs les éphémères succès électoraux de Besancenot et Laguiller en 2002 étaient directement en rapport avec le fait qu’un nombre significatif de travailleurs voyaient en eux une opposition de gauche au gouvernement PS-PCF-Verts agonisant de Jospin.)
Face à ce désastre, la première tâche est de faire le bilan de ces défaites et de leurs causes. Or pour le moment l’extrême gauche refuse de le faire, ce qui mènera à de nouvelles défaites. Elle s’est empressée de tourner la page sur son rôle dans le deuxième tour des élections, alors que le même problème va se reposer lors des prochaines élections d’ici quelques mois. Elle recommence le même blabla sur les luttes qui, si elles sont suffisamment combatives, nous amèneraient comme par miracle à surmonter la bureaucratie syndicale sur la voie d’une grève générale pour faire reculer Macron.
L’heure n’est pas à des grandes journées d’action préparatoires à une grève générale. Ce qu’il s’agit de faire, c’est de reconstituer des forces, reconstruire les syndicats sur les lieux de travail en y menant des luttes défensives. Pour qu’elles aient des chances de gagner, cela exige tout d’abord d’avancer des revendications permettant l’unification des travailleurs, comme l’embauche au plein statut et à plein temps de tous les sous-traitants, intérimaires, CDD, etc., l’unification syndicale et le contrôle syndical sur l’embauche. Tout cela va de pair avec de véritables méthodes lutte de classe : caisse de grève préalable, de vrais piquets de grève pour décider les hésitants et dissuader physiquement les jaunes, etc. C’est ce genre de question qu’il faut poser dans les journées d’action pour qu’elles aient la moindre utilité pour les travailleurs, au lieu de servir comme aujourd’hui de prétexte aux bureaucrates pour dire qu’eux veulent lutter mais que les travailleurs ne se mobilisent malheureusement pas.
Cela n’a rien en soi de révolutionnaire, mais il faut pour y arriver une toute nouvelle direction dans les syndicats. Les bureaucrates en place aujourd’hui sont opposés à tout cela parce que c’est le contraire de comment ils voient leur propre rôle de « partenaires sociaux ». Nous appelons ceux qui nous écoutent à lutter sur leur propre lieu de travail pour ce genre de perspective, et c’est ainsi que nous allons jeter les premiers jalons d’un pôle révolutionnaire dans les syndicats et faire avancer la lutte pour le véritable parti révolutionnaire dont a besoin la classe ouvrière aujourd’hui de façon plus urgente que jamais.