https://iclfi.org/spartacist/fr/47/chine
Qu’est-ce que la Chine ? Des classes dirigeantes jusqu’à l’extrême gauche, cette question d’apparence simple divise. Selon le financier américain Ray Dalio, c’est un régime de capitalisme d’État où « le capitalisme et le développement des marchés de capitaux pourraient, dans quelques années, être plus profondément ancrés en Chine qu’ils ne le sont aux États-Unis ». D’un autre côté on trouve Xi Jinping, secrétaire général du Parti communiste de Chine (PCC), qui réfute directement de telles positions :
Ces deux avis reflètent des intérêts distincts : pour Dalio, ceux d’un investisseur capitaliste étranger, pour Xi, ceux du régime du PCC. Et le mouvement ouvrier ? Comment faut-il comprendre la nature de la Chine en partant des intérêts de la classe ouvrière internationale ?
C’est une des questions les plus importantes et les plus clivantes pour la gauche aujourd’hui. Certains ferment les yeux sur les crimes du PCC et considèrent la Chine comme un modèle socialiste à suivre. Mais cela reste une position minoritaire dans le mouvement marxiste international. La plupart des organisations affirment que la Chine est capitaliste, et même impérialiste pour certaines. Parmi les partis se réclamant du trotskysme qui ont ces positions, on trouve l’Alternative socialiste internationale (ASI), l’Internationale communiste révolutionnaire (ICR – anciennement TMI), la Fraction trotskyste et beaucoup d’autres. Il en va de même des staliniens à l’ancienne comme le KKE grec et la plupart des maoïstes à l’extérieur de la Chine, par exemple le MLPD en Allemagne et les sisonistes aux Philippines.
C’est contre ce courant de pensée que cet article se focalisera. Nous allons montrer que loin d’offrir une alternative politique viable au PCC, ceux qui prétendent que la Chine est capitaliste et impérialiste s’alignent simplement derrière les États-Unis et leurs alliés. Pour ce qui est des arguments utilisés, ils rejettent les principes de base du marxisme sur l’État et l’impérialisme. Dans un premier temps, nous montrerons pourquoi la Chine n’est pas impérialiste. Nous argumenterons ensuite que malgré une importante pénétration capitaliste, la Chine conserve les caractéristiques fondamentales d’un État ouvrier déformé. Notre argument central, développé tout au long de cet article, est que pour défendre les intérêts de la classe ouvrière, il faut commencer par s’opposer à l’ordre mondial dominé par les États-Unis. C’est une tâche qui exige de défendre ce qui reste des acquis de la Révolution chinoise de 1949, mais aussi de lutter pour une révolution politique contre la bureaucratie stalinienne du PCC, dont la stratégie et la politique mènent la Chine au désastre.
Première partie : La Chine n’est pas impérialiste
1) Marxisme contre empirisme
Le terme « impérialisme » est repris par toutes sortes de gens dans toutes sortes de contextes. Pour répondre de façon objective à la question de savoir si la Chine est impérialiste, il faut laisser de côté les clameurs libérales et aborder la question d’un point de vue marxiste. La difficulté ici n’est pas de définir l’impérialisme. La plupart des militants de gauche seront d’accord avec la conception de Lénine :
Les désaccords émergent quand il s’agit de déterminer quels pays sont aujourd’hui impérialistes. Certains mettent la Chine, le Brésil et même la Grèce dans un continuum avec les États-Unis, tandis que d’autres nient que le Japon et l’Allemagne comptent parmi les grandes puissances.
Cette grande diversité d’opinions est tout autant un problème de méthode que de programme. Il est essentiel d’aborder la question de l’impérialisme non pas d’un point de vue moral ou en partant d’idéaux abstraits mais en considérant son développement historique concret, c’est-à-dire avec le matérialisme dialectique. Par exemple, Marx examine dans son analyse du système capitaliste comment celui-ci est apparu comme mode de production distinct à partir de la lutte des classes au sein de l’ordre féodal qui l’a précédé. L’impérialisme doit être abordé de la même manière : comme un système vivant qui a évolué dans la lutte des classes du siècle dernier, et où la place d’un pays donné s’insère dans un tout.
Mais ce n’est pas la méthode utilisée par la gauche. On peut trouver un exemple grossier mais représentatif de leur approche dans l’article de l’ASI « La Chine est-elle impérialiste ? » (chinaworker.info, 14 janvier 2022). Pour répondre à cette question, l’article soupèse dans quelle mesure la Chine correspond aux différents points de la définition de Lénine. A-t-elle des monopoles ? Exporte-t-elle du capital financier ? A-t-elle une grande armée ? Une fois toutes les cases cochées, la Chine est déclarée impérialiste.
Cela n’est pas du marxisme mais de l’empirisme. Au lieu d’examiner le développement de la Chine dans le cadre du système mondial, l’ASI détermine sa nature en comparant simplement des faits empiriques (taille de l’armée, quantité de capital exporté, etc.) à une norme abstraite (la définition de Lénine). Si on transpose cette méthode à la biologie, cela reviendrait à classifier les espèces uniquement en fonction de leurs caractéristiques physiques en ignorant leur évolution. Le problème avec cette méthode, c’est qu’elle est presque entièrement subjective, elle ne peut établir objectivement les traits qui sont décisifs pour déterminer la transformation de la quantité en qualité. Avec cette approche, on peut sélectionner un ensemble de faits pour « démontrer » qu’un pays donné est impérialiste, tout comme un choix différent peut démontrer l’inverse.
Pour couper court à ces querelles byzantines sur qui fait partie du club impérialiste, il faut aborder la question en étudiant comment l’impérialisme a évolué concrètement et historiquement. Et pour déterminer la place spécifique de la Chine dans ce système, il faut replacer son évolution dans celle de l’ensemble du système mondial. C’est ainsi seulement que nous pourrons donner une réponse marxiste au problème.
2) L’ordre mondial américain et la Chine
Toute analyse du système impérialiste contemporain doit commencer avec 1945. Les États-Unis sont sortis du plus grand carnage qu’ait connu l’humanité comme la puissance impérialiste dominante. Les piliers essentiels de l’ordre mondial actuel ont été établis dans ce contexte. Le dollar américain comme monnaie de réserve internationale, l’ONU, le FMI, l’OTAN et la Communauté européenne du charbon et de l’acier (l’ancêtre de l’Union européenne [UE]), tous ont été établis pour affronter l’URSS et consacrer des privilèges exorbitants pour les États-Unis. Les autres puissances capitalistes – la Grande-Bretagne, la France, l’Allemagne et le Japon – n’avaient d’autre choix que se ranger derrière les États-Unis. Les vieux empires coloniaux cessèrent vite de jouer un rôle indépendant dans la politique mondiale, leur statut et leurs privilèges dépendant désormais de leurs relations avec les États-Unis.
Quant à la Chine, un siècle de pillage impérialiste l’avait réduite au statut de néocolonie. Le siège permanent qu’elle obtint au Conseil de sécurité de l’ONU reflétait simplement le fait qu’il s’agissait d’un allié des États-Unis contre le Japon. Toutefois, cette relation changea de façon radicale quand, en 1949, le régime nationaliste de Chiang Kai-shek fut vaincu par l’armée paysanne de Mao, ce qui entraîna la fuite à Taiwan de la bourgeoisie chinoise, la libération de la Chine du joug impérialiste et l’instauration d’un État ouvrier. La Révolution chinoise porta un coup humiliant aux États-Unis et elle conduisit directement à une escalade de la Guerre froide. Pour stopper la progression du communisme et éviter « une autre Chine », les États-Unis lancèrent la chasse aux sorcières maccarthyste et intervinrent militairement dans la péninsule coréenne et plus tard au Vietnam. Pendant cette période, les États-Unis et la Chine étaient aux pôles opposés de l’ordre mondial, qui était défini par les conflits sur le communisme, les colonies et l’URSS.
Les choses changèrent à nouveau brusquement en 1972 quand Nixon et Mao conclurent un pacte contre l’Union soviétique. Les États-Unis, qui étaient en passe d’être vaincus au Vietnam, cherchaient à restabiliser leur position en exploitant le conflit qui avait éclaté entre l’Union soviétique et la Chine. Les relations sino-américaines s’améliorèrent encore quand Deng Xiaoping succéda à Mao et s’engagea sur la voie « de réforme et d’ouverture », un programme de libéralisation économique. Cela dit, ces relations bilatérales avaient un caractère très particulier. Les deux pays travaillaient ensemble à affaiblir l’Union soviétique, mais leurs régimes sociaux demeuraient fondamentalement opposés.
En 1991, l’effondrement de l’Union soviétique marqua un tournant majeur dans la situation mondiale et ouvrit une nouvelle ère dans les rapports entre la Chine et l’Occident. L’URSS ayant disparu, les États-Unis étaient désormais la puissance mondiale incontestée. La domination américaine et l’ouverture du marché chinois créèrent les conditions pour l’expansion massive des investissements étrangers et des échanges qu’on appelle « mondialisation ». La Chine devint le centre industriel du monde, où les grandes entreprises étrangères trouvaient une main-d’œuvre bon marché, une planification d’État et une paix sociale garantie par le PCC.
Du point de vue des États-Unis, la libéralisation du marché chinois représentait une énorme opportunité. D’autant plus qu’avec la victoire de la démocratie libérale dans la Guerre froide, le communisme chinois n’était plus considéré comme une menace mais simplement comme un anachronisme qui serait résorbé par l’intégration économique avec l’Occident. Le président américain Bill Clinton exprimait clairement ce sentiment : il pensait qu’« en rejoignant l’OMC [Organisation mondiale du commerce], la Chine n’accepte pas simplement d’importer davantage de nos produits ; elle accepte d’importer une des valeurs les plus précieuses de la démocratie : la liberté économique […]. Et quand les individus auront le pouvoir […] de réaliser leurs rêves, ils exigeront d’avoir davantage voix au chapitre » (9 mars 2000).
Du point de vue du PCC, la nouvelle ère était pleine de dangers. L’effondrement de l’Union soviétique était un avertissement de ce qui arriverait si le parti desserrait son emprise politique sur le pays. En même temps, le soulèvement de Tiananmen en 1989 avait montré que les masses s’agitaient et réclamaient de meilleures conditions de vie. La situation se débloqua en 1992 avec la « tournée dans le Sud » de Deng, une campagne visant à mobiliser le parti derrière son programme de libéralisation économique. L’idée était qu’une croissance économique suffisante atténuerait le mécontentement politique et consoliderait le pouvoir du régime.
Ce but fut atteint. Contrairement aux attentes des Américains, l’intégration économique de la Chine ne conduisit pas à la chute du PCC ni à la liquidation des monopoles d’État. Les intérêts convergents du PCC et des capitalistes étrangers durant les années 1990 et 2000 diminuèrent les pressions sur le régime et permirent à la Chine de se développer à une vitesse incroyable en combinant contrôle exercé par l’État sur l’économie, libéralisation des flux de capitaux et expansion du commerce.
Il est essentiel de comprendre cette dynamique. La croissance phénoménale de la Chine s’est déroulée grâce à son intégration dans le système économique américain, et non en opposition à celui-ci. La politique étrangère de la Chine – comme celle de tous les régimes staliniens – a continuellement été déterminée par l’objectif d’arriver à une coexistence pacifique avec l’impérialisme. En fait, à ce jour la Chine n’a remis en cause aucun des piliers fondamentaux de la domination américaine. Elle a adhéré à l’OMC, elle soutient le FMI et l’ONU, et aujourd’hui encore son commerce et ses investissements se font essentiellement en dollars américains. Et surtout, la Chine n’a rien fait pour remplacer les États-Unis comme gendarme militaire du monde.
3) Le déclin de l’empire américain
La contradiction au cœur de la situation mondiale actuelle est la suivante : l’hégémonie américaine a créé les conditions qui ont permis à la Chine et à d’autres pays du Sud global de connaître une croissance substantielle, mais en retour cela a affaibli la position américaine. La bourgeoisie américaine comprend cela et sape de plus en plus les piliers de son propre système mondial démocratique libéral. Donald Trump, figure emblématique de cette transition, déclarait en 2015 lors de sa première campagne présidentielle :
Symbolisant le fait que l’ordre libéral devient un obstacle pour les États-Unis eux-mêmes, Washington menace d’imposer des sanctions contre la Cour pénale internationale parce qu’elle a ouvert une enquête contre Israël ; les États-Unis envisagent de réduire leur financement de l’ONU et s’en prennent même parfois à l’OTAN et à l’UE. Le PCC, pour sa part, croit toujours que la mondialisation est une force historique irrésistible et que la Chine peut continuer à se développer dans le cadre des règles édictées par les États-Unis. Nous nous retrouvons dans une situation étrange où la Chine prêche le libre-échange et le droit international tandis que les États-Unis et l’UE encouragent le protectionnisme et foulent aux pieds leurs propres règles internationales.
Dans l’ensemble, la période actuelle est très différente de celle qui a conduit à la Première Guerre mondiale, la période classique des rivalités interimpérialistes. À cette époque, les empires français, britannique et russe, bien établis, étaient confrontés à des puissances impérialistes émergentes (l’Allemagne, le Japon et les États-Unis) qui étendaient agressivement leurs propres empires coloniaux. Au début des années 1900, le système impérialiste était fracturé, et l’instabilité était due aux appétits expansionnistes d’empires nouveaux mais déjà bien en selle.
Depuis 1945, le système impérialiste a été unifié. Aujourd’hui, le cartel impérialiste fortement intégré dominé par les États-Unis se désagrège de plus en plus du fait de l’émergence de différentes puissances régionales. Ce sont des pays qui sont assiégés par les États-Unis et leurs alliés depuis plusieurs décennies, mais qui réclament maintenant que leurs intérêts régionaux et intérieurs soient respectés. Étant donné que la stabilité du système mondial dépend d’une domination américaine incontestée, ces ambitions relativement modestes représentent une menace existentielle, et c’est ce qui est derrière les turbulences de l’époque actuelle.
Quand on replace le développement de la Chine dans le système impérialiste de la période postsoviétique, il est clair qu’il n’a pas suivi une trajectoire impérialiste expansionniste – il faudrait au minimum pour cela rompre avec l’ordre économique américain. En fait, on voit que, malgré son poids économique – bien plus important que ne l’était celui de l’URSS – la Chine suit une politique étrangère fondamentalement axée sur la préservation du statu quo. Mais même si l’on regarde du côté de la Russie, qui a une stratégie plus agressive, on voit qu’il ne s’agit pas de sa part d’un expansionnisme agressif mais plutôt d’une réaction aux machinations des États-Unis à sa périphérie et contre ses alliés (Géorgie, Ukraine, Syrie). La Russie défie les États-Unis mais elle ne lutte pas pour l’hégémonie mondiale. Fondamentalement, la politique mondiale est un jeu à somme nulle. L’émergence d’un nouveau bloc impérialiste ne peut pas se produire sans infliger une défaite majeure à l’alliance impérialiste qui domine le monde depuis 1945, ou sans la briser.
4) Un impérialisme pacifique ?
La première erreur que font ceux qui prétendent que la Chine est impérialiste est de supposer qu’une nouvelle puissance mondiale impérialiste pourrait émerger par des moyens entièrement pacifiques. Qu’il s’agisse de l’Empire romain de l’antiquité ou du système impérialiste moderne décrit par Lénine, l’impérialisme requiert la coercition militaire. Le militarisme a beau être le produit des rapports économiques, cela n’en fait pas le moins du monde une caractéristique facultative. L’exploitation ne peut être imposée que par la force.
L’importance décisive de la puissance militaire a été quelque peu masquée ces trente dernières années par la domination militaire écrasante des États-Unis. Le caractère incontesté de la puissance américaine a créé les conditions d’une économie mondiale très unifiée, qui semble à première vue fonctionner largement par des moyens pacifiques. Les milliardaires saoudiens, allemands ou indiens peuvent investir leur argent à l’étranger sans avoir à craindre qu’on saisisse leurs biens ou qu’on annule leurs prêts. C’est parce que l’armée américaine joue le rôle d’huissier pour tout le système impérialiste moderne. En échange des services qu’ils rendent pour garantir les droits de la propriété privée des capitalistes du monde entier, les États-Unis accaparent une part disproportionnée de la plus-value via le dollar et leur emprise sur les centres et institutions névralgiques du capital financier international.
Il est essentiel de comprendre qu’à ce jour, la stabilité de l’économie mondiale repose sur l’armée américaine. Celle-ci possède au moins 750 bases dans 80 pays. Les États-Unis et leurs alliés ont la main sur tous les principaux goulots d’étranglement du trafic maritime : le canal de Panama et celui de Suez, les détroits de Malacca, de Gibraltar et d’Hormuz. La puissance maritime de la Chine s’accroît, mais l’océan Pacifique demeure un lac américain, tout comme l’océan Atlantique, l’océan Indien et la Méditerranée. Depuis 1945, l’armée américaine est intervenue à l’étranger dans plus de 200 conflits. Prises individuellement, beaucoup de ces interventions ne paraissent pas avoir grand sens d’un point de vue économique ou stratégique. Il faut les voir comme des démonstrations de la puissance américaine qui servent à maintenir la stabilité du système international dans son ensemble.
Nous avons déjà vu comment le développement économique de la Chine s’est produit entièrement dans le cadre des institutions clés du système impérialiste américain. Même si la Chine était capitaliste, pour devenir impérialiste il lui faudrait rompre avec le système américain et garantir ses intérêts économiques mondiaux au moyen de sa propre puissance militaire et de ses propres institutions. Un coup d’œil rapide sur la situation mondiale montre clairement que la Chine n’a fait aucun pas sérieux dans cette direction. C’est en fait la seule puissance militaire de taille qui ne soit pas intervenue à l’étranger ces 40 dernières années (les casques bleus de l’ONU ne comptent pas).
Aujourd’hui encore, quand la Chine fait des investissements et accorde des prêts à l’étranger, elle continue à s’appuyer d’abord et surtout sur les institutions de la domination américaine, pas sur sa propre puissance militaire. Sans cet attribut essentiel, la Chine ne peut pas être considérée comme une puissance impérialiste. Prétendre le contraire, c’est peindre l’impérialisme sous des couleurs pacifistes. Cela signifierait que partout dans le monde les pays acceptent d’être surexploités pour des raisons purement commerciales et que le monde a déjà été repartagé entre grandes puissances d’une manière totalement pacifique.
Et les pays comme l’Allemagne et le Japon ? Ils sont eux aussi dépendants de l’armée américaine. Cela veut-il dire qu’ils ne sont pas impérialistes ? Non, pas du tout. L’Allemagne et le Japon ont tous les deux cherché la suprématie aux dépens des États-Unis – avec des conséquences catastrophiques –, et depuis leur défaite ils sont partenaires du système américain. Ils occupent tous les deux des places privilégiées dans l’économie mondiale grâce à leur alliance avec les États-Unis. C’est une différence avec la Chine, qui est toujours demeurée un adversaire malgré l’intégration économique profonde des dernières décennies.
5) Quels pays la Chine opprime-t-elle ?
Il ne peut évidemment pas y avoir d’impérialisme sans l’oppression de pays étrangers. Cela pose la question : quels pays la Chine opprime-t-elle ? Il ne fait pas de doute que le régime politique chinois est oppressif pour son propre peuple. Il est clair aussi que la Chine opprime les minorités nationales à l’intérieur de ses frontières. Mais si cela suffisait pour être impérialiste, l’Irak et le Sri Lanka auraient ce qu’il faut. La plupart des pays oppriment des minorités nationales à l’intérieur de leurs frontières, et tous les pays sont gouvernés au détriment de leur population. Cela n’en fait pas des pays impérialistes.
« Mais, qu’en est-il des “nouvelles routes de la soie” ? », s’exclament l’ASI et consorts. « N’est-ce pas un projet d’exploitation impérialiste ? » Il est vrai que la Chine a investi des milliards (de dollars américains) dans des pays d’Afrique et d’Asie pour construire des infrastructures et au passage accabler ces pays de dettes. Il ne fait pas non plus de doute que la Chine ne procède pas à ces investissements en partant des intérêts des travailleurs. Elle attaque les droits syndicaux, corrompt des responsables, ne tient aucun compte des susceptibilités locales et soutient toutes sortes de régimes réactionnaires. Mais la question n’est pas de savoir si les actions de la Chine partent de bonnes intentions, mais si des projets comme les nouvelles routes de la soie l’ont transformée en une puissance pouvoir suzerain impérialiste. Autrement dit, la Chine utilise-t-elle la force pour imposer sa volonté aux pays où elle a fait des investissements conséquents ?
Prenons le Sri Lanka, l’exemple souvent cité de la « diplomatie du piège de la dette » chinoise. Il est avéré que le Sri Lanka a été incapable de rembourser les intérêts des prêts chinois qu’il avait contractés pour la construction d’un nouveau port, et qu’il l’a laissé en concession à la Chine pour 99 ans. Mais la Chine gouverne-t-elle le Sri Lanka ? Non. Quand, en 2022, ce pays n’a pas pu rembourser ses créanciers étrangers (en dollars américains), ce n’est pas la Chine qui est intervenue pour imposer ses conditions mais, comme toujours, le FMI, et les négociations clés avec les créanciers se sont déroulées à Washington, pas à Beijing. Même les commentateurs occidentaux étaient forcés de reconnaître que la crise de la dette du Sri Lanka n’était pas due aux prêts chinois.
Et le Pakistan ? En 2017, le Courant communiste révolutionnaire international (CCRI) publiait une déclaration proclamant : « Le corridor économique Chine-Pakistan est un projet de l’impérialisme chinois pour coloniser le Pakistan ! » L’ASI, pour sa part, affirme que le Pakistan fait partie du bloc impérialiste chinois contre les États-Unis (« “L’émergence de la Chine” – une vision dépassée », chinaworker.info, 24 avril). Quiconque a la moindre connaissance du Pakistan sait que c’est complètement absurde. Même si la Chine a des relations étroites avec le Pakistan, ce sont les États-Unis qui mènent la danse. Cela a été démontré avec une parfaite clarté pas plus tard qu’en 2022, quand les États-Unis ont conspiré avec l’élite militaire pakistanaise pour faire destituer et emprisonner le président Imran Khan. En réponse, la Chine n’a rien fait.
Les accusations d’« impérialisme chinois » sont probablement les plus grotesques quand elles concernent l’Afrique. Les puissances occidentales oppriment l’Afrique depuis des siècles et maintiennent le continent dans la misère et la guerre. Le continent est couvert de bases militaires françaises et américaines, mais pas d’avant-postes chinois (la seule base militaire chinoise à l’étranger est à Djibouti). C’est la France qui détient la moitié des réserves de change et contrôle la monnaie de plus d’une dizaine de pays africains. Et comme partout ailleurs, les crises de la dette concernent des paiements en dollars et en euros, pas en renminbi.
Encore une fois, ce n’est pas pour dire que la Chine joue un rôle bienfaisant en Afrique. Loin de là. La question, c’est simplement que la Chine n’impose sa volonté à aucun pays d’Afrique par la coercition. Ce n’est pas la Chine qui a ravagé la Libye, la Somalie, le Mali, le Niger, le Tchad et tant d’autres. Dans tous ces cas, ce sont les impérialistes occidentaux qui sont responsables.
Cela nous amène à la mer de Chine méridionale et à la mer de Chine orientale. La Chine veut-elle transformer le Pacifique en un lac chinois ? Nous ne le pensons pas. Mais même si elle le voulait, cela ne ferait pas d’elle une puissance impérialiste. Il faut être concret : quelle est la situation au moment présent ? Depuis la défaite du Japon dans la Deuxième Guerre mondiale, les États-Unis sont les maîtres du Pacifique. Il n’y a qu’à regarder une carte pour voir que la Chine est totalement encerclée par des alliés des États-Unis, dont la plupart accueillent des troupes américaines sur leur sol. Les Philippines, la Corée du Sud, l’Indonésie, Taiwan – aucun de ces pays n’est opprimé par la Chine, tous sont sous la domination des Américains.
Ce processus n’a été ni pacifique ni graduel. Il a été imposé par la destruction de Tokyo à coups de bombes incendiaires, les holocaustes d’Hiroshima et Nagasaki, la guerre de Corée, le massacre des communistes indonésiens et d’innombrables autres crimes. Les apologistes de l’impérialisme occidental poussent les hauts cris devant le renforcement de la puissance militaire chinoise dans la région. Mais qui la Chine a-t-elle envahi ? Il suffit d’examiner les faits objectivement pour voir que l’indignation contre un « impérialisme chinois » dans le Pacifique n’est qu’une capitulation devant le statu quo de la domination états-unienne.
Pour ce qui est de Taiwan, sa situation est singulière. Historiquement, elle faisait partie intégrante de la Chine. Après la Révolution de 1949, elle est devenue le refuge de la classe capitaliste chinoise. Depuis cette date, Taiwan a été soutenue par les Américains comme tête de pont pour ramener la Chine sous la domination impérialiste. Il est vrai qu’aujourd’hui la plupart des habitants de l’île ne souhaitent pas la réunification avec la Chine. C’est en grande partie parce que tout ce que leur propose le PCC, c’est la répression politique et le maintien du capitalisme. Mais cela ne change rien au fait que l’enjeu du conflit à propos de Taiwan porte sur la domination de l’Asie par les États-Unis et le Japon. C’est cette domination qui explique la séparation de Taiwan avec le continent. Une guerre pour Taiwan serait une guerre pour finir la Révolution de 1949 et non une guerre de conquête impériale de la part de la Chine.
6) Implications politiques
L’hystérie contre l’impérialisme chinois et russe sert avant tout à dissimuler le fait que c’est le petit groupe de puissances sous la direction des États-Unis qui opprime toute la planète. Ni la Chine ni la Russie n’oppriment des nations au-delà de leurs frontières ou de leur périphérie immédiate. Ce sont en fait elles qui sont assiégées depuis des décennies par l’impérialisme occidental.
Le point de départ pour une stratégie révolutionnaire et pour unifier le prolétariat en Extrême-Orient ou en Europe de l’Est doit être l’expulsion de l’impérialisme américain de la région. Cela veut-il dire qu’il faille soutenir le PCC ou le Kremlin ? Bien sûr que non. Leur politique réactionnaire entrave en tout point la lutte contre l’impérialisme. Par exemple, l’oppression nationale des Ukrainiens et des Ouïgours par les gouvernements russe et chinois fait obstacle à l’unité des travailleurs contre les États-Unis et leurs alliés. Reconnaître leurs droits nationaux renforcerait la lutte contre les puissances qui oppriment l’Extrême-Orient, l’Europe de l’Est et le monde.
Mais une victoire de la Russie ou de la Chine dans une guerre contre les États-Unis ne voudrait-elle pas dire qu’elles prendraient leur place à la tête du système impérialiste mondial ? Tout dépend des circonstances concrètes dans lesquelles une telle victoire serait obtenue. La tâche des communistes est précisément de lutter pour faire en sorte que l’effondrement de l’ordre américain se produise dans des termes favorables à la classe ouvrière, c’est-à-dire de façon internationaliste et révolutionnaire. Pour que la lutte prenne cette direction, il faut y participer activement à toutes les étapes. Ce serait le plus grand des crimes de refuser de lutter pour la défaite des États-Unis, la puissance qui opprime le monde aujourd’hui, de peur que demain une autre puissance puisse devenir le nouvel oppresseur.
Au fond, dénoncer « l’impérialisme chinois » n’est qu’un minable prétexte pour refuser de s’opposer à la domination des États-Unis et de leurs alliés. Le poids de cette position dans la gauche reflète le fait que dans les pays alignés sur le camp occidental, on ne peut pas être considéré comme respectable par la bureaucratie syndicale ou les cercles libéraux si l’on défend la Chine contre l’impérialisme. Si certains peuvent penser que tirer un trait d’égalité entre les États-Unis et la Chine est une position radicale, le fait est que les premiers dominent tout le système impérialiste depuis 1945 tandis que la seconde ne domine aucune partie du monde à l’extérieur de ses frontières. Bien sûr, on ne peut pas être un révolutionnaire et défendre la politique du PCC. Mais ce n’est que du vulgaire social-chauvinisme que de rejeter la lutte contre la domination américaine en agitant l’épouvantail de « l’impérialisme chinois ».
Deuxième partie : la Chine n’est pas capitaliste
1) Le marxisme et l’État
Pour évaluer si l’État chinois est capitaliste ou si c’est toujours un État ouvrier, il faut d’abord une bonne méthodologie de base. Comme avec l’impérialisme, pour la plupart de la gauche la question s’arrête là où elle devrait commencer. Pour ceux qui considèrent que la Chine est capitaliste, il suffit de mentionner le nombre de milliardaires et de sociétés multinationales pour trancher la question. Pour ceux qui défendent la position opposée, le contrôle des industries stratégiques par l’État et la forte croissance économique suffisent à démontrer que la Chine n’est pas capitaliste. Encore une fois, ce n’est pas en regardant quelques photographies isolées que l’on peut régler la question, il faut la considérer dans le cadre de son développement historique concret.
La prolifération de capitalistes et le taux élevé d’industrie nationalisée sont tous deux cruciaux pour comprendre la Chine, mais en soi ils ne prouvent rien. Comme l’indiquait Trotsky dans « La Quatrième Internationale et l’URSS – La nature de classe de l’État soviétique » (octobre 1933), les bolchéviks n’avaient pas nationalisé l’industrie pendant la première année de la Révolution russe ; elle restait entre les mains du secteur privé, sous contrôle ouvrier. En 1921, les bolchéviks réintroduisirent des mécanismes de marché dans l’agriculture avec la Nouvelle politique économique, mais cela ne signifiait pas le retour au capitalisme. De plus, la classe capitaliste elle-même peut nationaliser des pans entiers de l’industrie en réponse à certaines crises (par exemple au Portugal dans les années 1970). Ces exemples montrent simplement que les formes de propriété, prises comme facteur isolé, ne sont pas suffisantes pour déterminer la nature de classe d’un pays.
Pour les marxistes, le fond de la question c’est l’État lui-même, c’est-à-dire les forces armées et la bureaucratie. La dictature de quelle classe défendent-elles ? Malgré la grande diversité de formes politiques qu’un État peut prendre (démocratique, bonapartiste, fasciste, etc.), il représente toujours le pouvoir d’une classe particulière. C’est ce qu’expliquait Lénine en résumant la conception d’Engels :
Lénine soulignait que les démocrates petits-bourgeois ne comprendront jamais « que l’État soit l’organisme de domination d’une classe déterminée, qui ne peut pas être conciliée avec son antipode (avec la classe qui lui est opposée) ». Et c’est toujours le cas. Toutes les erreurs sur la nature de classe de la Chine et sur l’avenir de la République populaire de Chine (RPC) reposent sur un rejet de cette conception de l’État énoncée par Lénine.
Le révisionnisme sur cette question commence avec le PCC lui-même. Le programme de Mao détaillé dans « La démocratie nouvelle » (1940) visait une « dictature conjointe de toutes les classes révolutionnaires » de Chine – ce qui était censé inclure la bourgeoisie nationaliste. Cela s’avéra une illusion complète. Quand l’Armée populaire de libération (APL) de Mao vainquit les forces nationalistes du Guomindang, il n’y eut pas de « dictature conjointe ». L’immense majorité des capitalistes s’enfuirent à Taiwan, et ceux qui restèrent furent expropriés. La RPC – une dictature du prolétariat – ne pouvait pas être conciliée avec son antipode, confirmant ainsi clairement la théorie marxiste. Mais c’est cette même illusion qui était derrière la « politique de réforme et d’ouverture » de Deng et que partage toujours le PCC. De Deng à Xi, le « socialisme avec des caractéristiques chinoises » repose sur le mythe qu’il n’y aurait pas de conflit fondamental entre la bourgeoisie et le socialisme. Ces illusions représentent un danger mortel pour la RPC.
Les socialistes qui considèrent que la Chine est capitaliste commettent la même erreur, mais d’une manière différente. Au lieu de partir de l’idée, comme le fait le PCC, que le capitalisme et le socialisme pourraient cohabiter, ils prétendent qu’il y aurait eu en Chine une transition graduelle et paisible : elle serait passée d’un État ouvrier après 1949 à un État capitaliste dans les années 1990. Selon eux, cette transition aurait eu lieu sans période de crise aiguë où la structure étatique de la RPC aurait été brisée et remplacée par un nouvel État. Autrement dit, ils pensent que le même appareil d’État, la même bureaucratie et le même régime pourraient défendre la dictature de deux classes antagonistes. C’est juste une autre manière de faire disparaître le conflit de classes inconciliables que l’existence même d’un État incarne. Répondant à exactement les mêmes arguments à propos de l’Union soviétique des années 1930, Trotsky écrivait :
Pour évaluer la nature de classe de la Chine, le critère fondamental n’est pas le degré auquel le marché ou l’économie planifiée prédomine, même s’il s’agit là de facteurs importants. La question est plutôt de savoir s’il y a eu un changement qualitatif dans la nature et la fonction de l’appareil d’État. Ceux qui croient que la Chine est capitaliste doivent ou bien argumenter que Trotsky avait tort et qu’il est effectivement possible à un État de modifier progressivement sa nature de classe, ou bien ils doivent expliquer quand et comment la contre-révolution se serait produite en Chine.
2) Les contre-révolutions en Europe de l’Est et en URSS
Il y a une différence essentielle entre les arguments théoriques de Trotsky dans les années 1930 et aujourd’hui : nous avons pu voir une série d’exemples historiques clairs de contre-révolutions. Pratiquement personne ne conteste le fait que le capitalisme a été restauré dans les anciens États ouvriers européens et en URSS. Les processus ont été différents en Pologne, en RDA (Allemagne de l’Est), en Yougoslavie et en Union soviétique même, mais tous ces exemples sans exception confirment le « caractère catastrophique qu’a le passage du pouvoir des mains d’une classe aux mains d’une autre ».
Sans entrer dans une histoire détaillée de comment la contre-révolution a triomphé dans ces différents cas, on peut distinguer plusieurs caractéristiques communes à tous. Dans chacun de ces cas, une crise politique aiguë a conduit à l’effondrement du régime stalinien. Bien que, dans certains pays, d’anciens staliniens aient pu conserver une position importante voire dirigeante sous le capitalisme, l’ancien parti communiste n’est nulle part resté au pouvoir. De plus, dans tous les cas, la structure de l’État a été complètement réorganisée. En Yougoslavie, en Tchécoslovaquie, en Allemagne de l’Est et en Union soviétique, l’État s’est désagrégé ou a été liquidé. Mais même là où cela ne s’est pas produit, l’État a réorganisé ses forces armées et a changé de nom, de Constitution et de système juridique.
Il n’y a plus d’armée rouge ni d’armée populaire en Europe. Il n’y a plus de faucille et de marteau sur les drapeaux nationaux (mis à part la Transnistrie), et il n’y a plus de république socialiste ou populaire. Certains diront que les noms et les symboles sont sans importance. Mais c’est faux. Comme une armée conquérante, le capitalisme a apporté avec lui ses drapeaux, ses symboles, ses valeurs et son langage. Ces changements exprimaient une rupture décisive dans le domaine du pouvoir d’État. Ils représentaient la victoire décisive du capitalisme sur le stalinisme.
Prenons le côté économique de la question. Avant la contre-révolution, beaucoup de pays du bloc de l’Est avaient adopté au fil des années des mesures destinées à libéraliser leur économie. Toutefois, le retour au capitalisme n’a pas été une transition économique graduelle, il s’est produit sous la forme d’un choc catastrophique. Les vieux modèles économiques se sont brutalement effondrés et un nouveau modèle a été introduit, généralement dicté par le FMI. Les conséquences immédiates ont été la désindustrialisation, le chômage de masse, l’inflation et la récession.
D’après une étude publiée en 1998 par la Banque mondiale (« Revenus, inégalités et pauvreté pendant la transition de l’économie planifiée à l’économie de marché »), la valeur totale des biens et services produits dans les pays ayant effectué une transition vers le capitalisme a diminué d’au moins un quart en termes réels. Dans la plupart des cas, les entreprises d’État ont été liquidées. Le Belarus est l’exception qui confirme la règle ; les entreprises d’État n’ont pas été démantelées mais le choc économique a été tout aussi brutal, avec une diminution de 34 % du PIB par habitant.
Les conséquences sociales de la restauration capitaliste ont été effarantes. Dans la plupart des pays l’espérance de vie a chuté. La Russie a connu une hausse de la mortalité sans précédent en temps de paix dans un pays industrialisé. La Yougoslavie s’est disloquée dans une guerre civile. La pauvreté a explosé dans tous les États anciennement communistes. Dans son étude sur ces pays (en excluant ceux qui étaient en guerre), la Banque mondiale constatait : « Alors qu’en 1989 le nombre de personnes vivant avec moins de 4 dollars par jour (en parité de pouvoir d’achat) était estimé à 14 millions (sur une population d’approximativement 360 millions), plus de 140 millions de personnes vivraient maintenant en dessous de ce même seuil de pauvreté. »
Les conclusions sont claires : partout, la contre-révolution a été un processus brutal. Que ce soit au niveau politique, économique ou social, la transition d’un État ouvrier vers le capitalisme a été abrupte et a représenté une rupture claire avec le passé.
3) Réforme et ouverture en Chine
Comment peut-on comparer les contre-révolutions en Europe de l’Est et en Union soviétique avec la « politique de réforme et d’ouverture » en Chine ? En se focalisant uniquement sur des facteurs isolés, comme le nombre de privatisations et la prolifération des rapports marchands, on peut identifier des ressemblances. Mais si l’on prend un peu de recul et qu’on regarde le tableau d’ensemble, il est parfaitement clair que les deux processus n’ont rien de commun.
C’est au niveau politique que les différences sont les plus évidentes. La Chine n’a pas été épargnée par l’agitation politique qui a secoué les pays non capitalistes en Europe et en Asie centrale à la fin des années 1980. Mais cette agitation a eu un résultat totalement opposé. Le soulèvement massif d’étudiants et de travailleurs déclenché par les manifestations de la place Tiananmen en 1989 a plongé le régime du PCC dans la crise. Mais contrairement aux bureaucraties staliniennes en RDA, en Pologne et en Union soviétique, le PCC ne s’est pas effondré ; il a écrasé le mouvement par une répression sanglante, avec pour résultat que le PCC a renforcé son emprise sur le pouvoir politique. La conséquence des événements de Tiananmen a été la continuité politique, pas la rupture.
Aujourd’hui, les institutions clés de l’État sont fondamentalement les mêmes dans leur fonctionnement et dans leur apparence. La Chine est toujours dirigée par un parti communiste. Les forces armées sont toujours celles de l’APL, héritière directe de l’armée paysanne de Mao. La République populaire est toujours debout, l’organe suprême est toujours (officiellement) le Congrès national populaire, et le poste le plus prestigieux est toujours celui de secrétaire général du Parti communiste. Personne ne conteste ces faits – ils sont simplement considérés comme sans importance par ceux qui pensent que la Chine est capitaliste.
Qu’en est-il des sphères économique et sociale ? Trotsky avait prédit que si le régime bureaucratique en URSS se maintenait, cela conduirait à l’effondrement de la dictature du prolétariat, et mènerait « à un arrêt de la croissance économique et culturelle, à une crise sociale terrible et à un recul de toute la société » (« La nature de classe de l’État soviétique »). Nous avons déjà vu comment c’est précisément ce qui est arrivé en Europe de l’Est et en Union soviétique. Mais en Chine on voit l’opposé. Les années 1990 ont vu le développement le plus extraordinaire des forces productives dans l’histoire, une réduction inégalée de la pauvreté et une amélioration générale des indicateurs socio-économiques.
Ce n’est pas pour dire que la libéralisation du marché en Chine s’est déroulée dans l’intérêt de la classe ouvrière. Outre les conditions de travail abominables dans les nouvelles entreprises capitalistes et les filiales des sociétés étrangères, des couches entières de la classe ouvrière ont terriblement souffert des privatisations et des réformes de marché. Mais prise dans son ensemble, l’économie chinoise n’a tout simplement pas connu le choc destructeur qu’ont subi les pays où s’est produite une contre-révolution. Le processus de réformes a eu des conséquences dramatiques, mais il s’est déroulé de façon progressive et d’une manière qui a préservé la structure générale de la société.
En fait, l’objectif de la « politique de réforme et d’ouverture » n’était pas de restaurer le capitalisme mais de créer des conditions économiques qui permettraient au PCC d’éviter le sort des autres régimes staliniens. Ce que déclarait Deng Xiaoping pendant sa « tournée dans le Sud » de 1992, que beaucoup considèrent comme le tournant vers la restauration capitaliste, est instructif à cet égard. On y voit comment la bureaucratie elle-même présentait cette transformation :
La question n’est pas de savoir dans quelle mesure les convictions socialistes de Deng étaient sincères. Ces déclarations sont en réalité significatives parce qu’elles montrent clairement un désir de continuité. Ce ne sont pas les paroles d’un Boris Eltsine s’engageant à construire un nouveau régime social, mais ceux d’un réformateur stalinien de droite (comme Boukharine ou Gorbatchev).
Mais alors, les inégalités en Chine ? N’ont-elles pas explosé comme en Russie et dans les autres ex-États ouvriers ? Les inégalités sont effectivement monstrueuses et cela montre la nature réactionnaire de la politique du PCC. Toutefois, il suffit de penser aux millions de personnes qui sont mortes de faim sous Mao pour voir que c’est loin d’être une nouveauté. Une fois encore, il est important de regarder plus loin que les simples statistiques.
En Russie, les inégalités ont explosé et les milliardaires sont apparus dans le contexte d’un déclin social général. En Chine, ce processus s’est déroulé dans le contexte d’un progrès social général. Dans le premier cas, nous avons une société pourrissante pillée par le capital étranger et les oligarques. Dans l’autre, nous avons des capitalistes et des bureaucrates qui accaparent une part disproportionnée dans une société qui se développe rapidement. Dans les deux cas, le coefficient de Gini [un indicateur statistique de l’inégalité] augmente, mais cela passe par des processus sociaux fondamentalement différents – d’un côté la contre-révolution, de l’autre une forte croissance basée sur la fusion du capital étranger et du contrôle de l’économie par l’État.
4) Dérouler en sens inverse le film du réformisme
Confrontés au fait évident que l’État et le régime chinois sont restés pour l’essentiel intacts, ceux qui considèrent que la Chine est capitaliste sont obligés d’éluder cette question ou bien de fabriquer une explication théorique. Examinons deux exemples de groupes qui au moins essaient de résoudre ce problème.
La tradition « Militant »
La tendance « Militant » était connue pour défendre l’idée qu’on pourrait arriver au socialisme en obtenant une majorité parlementaire de socialistes qui prendrait pacifiquement le contrôle de l’État capitaliste. Ce n’est pas un hasard si les différents descendants de cette tendance sont parmi les plus fervents défenseurs de la position que la Chine est capitaliste.
Dans la période qui a conduit à l’effondrement du stalinisme en Europe de l’Est, le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO), se basant sur les théories de Ted Grant, avait étendu son programme réformiste aux États ouvriers déformés. Un document de 1992 du Comité exécutif international du CIO soutenait que cette période avait vu l’émergence d’« États hybrides d’un type spécial, où des gouvernements contre-révolutionnaires déterminés à établir le capitalisme reposaient sur les bases économiques héritées de l’État ouvrier », et que « dans de telles conditions il n’est pas toujours possible d’appliquer une catégorie sociale figée : État capitaliste ou État ouvrier » (« L’effondrement du stalinisme »). Finies les « contradictions de classe inconciliables » de Lénine, place à la conception poreuse d’« États hybrides ».
Le résultat concret de cette théorie révisionniste fut que le CIO prit part aux barricades érigées par Eltsine pour provoquer la chute de l’URSS. En niant la nécessité théorique d’une contre-révolution, ils finirent par participer à l’une d’elles. Après tout, si la Russie n’était déjà plus un État ouvrier avant 1991, il n’y avait plus rien à défendre. Les conséquences catastrophiques de la destruction de l’URSS montrent clairement la faillite totale de cette conception et la trahison historique qu’elle a représentée.
Au lieu d’apprendre de ce désastre, le CIO et ses descendants ont étendu cette même méthodologie à la Chine d’aujourd’hui. Dans sa brochure « La Chine est-elle capitaliste ? » (mai 2000), Laurence Coates, de l’ASI, utilisait le concept d’« État hybride » pour argumenter que la Chine a fait l’objet d’une transition graduelle vers le capitalisme :
Comme nous l’avons déjà vu, ce qui a résulté de Tiananmen c’est la continuité politique, pas la rupture. Quant au contexte international, il compte énormément bien sûr. Mais la nature d’un État ne change pas parce que quelque chose s’est passé dans un autre pays. Le sort de la Guerre civile russe fut déterminé dans une large mesure par les événements internationaux, mais c’est quand les bolchéviks prirent le pouvoir que la nature de l’État changea. Ce sont précisément de tels tournants décisifs que Coates fait disparaître. Au lieu d’un État qui soit l’affirmation que les intérêts de classe sont inconciliables, nous avons ici une échelle mobile où le passage d’une forme d’État à une autre peut se faire de manière graduelle et où le régime et toute la structure étatique restent intacts, sans heurt décisif des intérêts de classe. C’est tout simplement le vieux réformisme parlementaire de Militant appliqué à la Chine.
Le CCRI
Issu d’une tradition politique différente, le CCRI prend au moins en considération la question du pouvoir politique. D’après ce groupe, une contre-révolution capitaliste a lieu « quand un gouvernement ouvrier bureaucratique stalinien est remplacé par un gouvernement restaurationniste bourgeois ou se transforme en un tel gouvernement », lequel est « fermement résolu, en paroles et en actes, à rétablir un mode de production capitaliste » (« La Révolution cubaine trahie ? », 2013).
Nous avons déjà vu comment ni Xi ni Deng n’avaient « fermement résolu » de restaurer le capitalisme. Mais l’argument plus significatif du CCRI est qu’un « gouvernement ouvrier bureaucratique stalinien » peut se transformer en un « gouvernement restaurationniste bourgeois ». Comment est-ce possible ? C’est que le CCRI croit que les instruments de répression étatiques dans les États ouvriers déformés sont en fait déjà bourgeois. Son argumentation est la suivante :
S’il est juste de dire que la bureaucratie stalinienne a un caractère petit-bourgeois, il est absolument faux de dire que l’appareil d’État qu’elle commande « n’est pas un instrument prolétarien ». Cette conception révisionniste revient à rejeter la définition même d’un État ouvrier, comme l’expliquait Lénine dans L’État et la révolution :
Les « principaux instruments de la force du pouvoir d’État » de la dictature du prolétariat sont « l’armée permanente et la police », comme pour toutes les autres dictatures de classe – esclavagiste, féodale ou capitaliste. Dans un État ouvrier bureaucratiquement déformé, ces « bandes d’hommes armés » sont utilisées par la bureaucratie contre les intérêts politiques de la classe ouvrière, mais elles demeurent les organes d’un État ouvrier.
En Chine, l’APL est utilisée pour réprimer la dissidence de gauche depuis l’époque de la Guerre civile – un fait clairement en évidence en 1989. Cependant, l’APL a détruit l’État capitaliste chinois et instauré la dictature du prolétariat. Est-elle demeurée un organe petit-bourgeois ? Est-ce que la RPC était un État petit-bourgeois ? Non, depuis 1949 l’APL est l’appareil clé du pouvoir prolétarien contre la contre-révolution intérieure et extérieure. C’est grâce à l’APL que la bourgeoisie chinoise installée à Taiwan n’a jamais pu revenir sur le continent.
Comme l’expliquait Trotsky, les rapports entre la bureaucratie et l’État dans un État ouvrier déformé sont analogues à ceux qui existent entre des bureaucrates procapitalistes et un syndicat. Même si ces bureaucrates peuvent utiliser l’appareil syndical pour étouffer le mécontentement de la base et même s’ils sont « plus proches de la bourgeoisie que de la classe ouvrière », le syndicat lui-même reste une institution ouvrière dont l’existence même est un rempart contre les patrons. Pour qu’un bureaucrate syndical devienne pleinement un représentant sans contradiction des capitalistes, il doit rompre avec le syndicat. De la même manière, un gouvernement stalinien ne peut pas devenir un « gouvernement capitaliste » sans rompre le lien avec les organes étatiques de la révolution.
C’est précisément ce lien qui a été rompu en URSS en 1991. Eltsine a détruit l’État ouvrier, et ce faisant il a détruit la source du pouvoir de la bureaucratie – et la bureaucratie elle-même en tant que caste dirigeante. En Chine, la bureaucratie a délibérément évité de prendre cette voie et s’est maintenue comme groupe unifié en gardant fermement le contrôle des organes de répression étatiques. La « théorie » du CCRI sur l’État ne vise qu’à effacer la distinction qualitative entre ces deux exemples. Selon lui, on pourrait passer en douceur d’une dictature de classe à une autre – la bureaucratie stalinienne restant intacte – parce que la police et l’armée étaient depuis le début, au mieux, des organes de la petite-bourgeoisie. C’est rejeter non seulement le trotskysme mais aussi les fondements du léninisme sur la question de l’État.
En suivant la logique de sa théorie, le CCRI déclare que non seulement la Chine et le Vietnam sont capitalistes, mais que même des pays comme Cuba et la Corée du Nord le sont ! Puisqu’il ne pense pas qu’une contre-révolution est nécessaire pour restaurer le capitalisme, il découvre celui-ci partout, même dans des pays dont l’économie et le régime sont à l’évidence basés sur des modèles typiquement staliniens.
5) Qui dirige la Chine ?
À n’en pas douter, réaffirmer les principes marxistes sur l’État ne convaincra pas nos détracteurs. Ils répondront que les arguments théoriques de ce genre sont contredits par les faits. Après tout, la Chine compte 814 milliardaires, plusieurs des plus grandes sociétés capitalistes au monde, et même ses entreprises d’État suivent les principes du marché.
Ce sont certainement des faits importants, mais pour bien les interpréter il faut les replacer dans le cadre d’une compréhension correcte des lois historiques qui gouvernent le développement de la Chine. L’humanité maîtrise la science du vol ; mais cela ne contredit pas les lois de la pesanteur. En fait, c’est seulement si on comprend ces lois qu’il est possible d’expliquer comment un avion peut décoller. La Chine est un État ouvrier déformé ayant des capitalistes. C’est un phénomène hautement contradictoire, mais cela ne contredit pas la théorie marxiste de l’État. Au contraire, c’est seulement grâce à la théorie marxiste qu’on peut interpréter correctement les faits empiriques et répondre à la question de qui dirige vraiment la Chine.
Nous avons déjà vu ce que valent les théories postulant le changement graduel de la nature de classe de la Chine. Mais la plupart de ceux qui pensent que la Chine est capitaliste ne se préoccupent pas tellement des problèmes théoriques et se concentrent plutôt sur l’interprétation impressionniste de faits empiriques. Par exemple, dans une récente polémique contre deux partisans du socialisme à la sauce PCC, l’ICR écrivait ceci :
À l’appui de cette position, l’ICR fait valoir que les mesures économiques prises par le PCC après la grande crise financière de 2008 ont aggravé les déséquilibres à long terme de l’économie chinoise. C’est vrai, et cela montre que la politique économique du PCC est malavisée, mais pas que le PCC est gouverné par le marché et qu’il aurait, comme le dit l’ICR, « perdu le contrôle de l’économie et de ses propres entreprises d’État ». En fait, 2008 démontre précisément l’inverse, comme l’explique Richard McGregor dans The Party (2012) :
L’auteur explique ensuite qu’en Chine les banques se sont comportées de manière complètement différente des banques occidentales où, même si les gouvernements contrôlaient effectivement des banques à cette époque, ils n’avaient aucun moyen de les forcer à prêter de l’argent. Fondamentalement, la crise financière de 2008 a montré que ces deux régimes sociaux réagissaient de façon différente. Dans l’Occident capitaliste, où le marché domine, l’État est intervenu pour sauver le système financier de la faillite et garantir les profits et la stabilité. En Chine, où le PCC dirige l’économie, l’État est intervenu pour assurer la stabilité du régime. Ce faisant, il a agi contrairement aux principes de profitabilité que les banques avaient passé une décennie à établir.
L’ICR n’aborde pas cette question. Elle observe l’existence d’une bulle spéculative après 2008 et en conclut que la Chine est capitaliste et que le PCC a « perdu le contrôle ». Mais là encore, examinons la question de plus près. Comment le PCC a-t-il réagi à cette bulle spéculative ? En 2020, il a introduit la réglementation des « trois lignes rouges » qui visait spécifiquement à faire éclater la bulle spéculative de l’immobilier. Cela a conduit à la faillite du géant de l’immobilier Evergrande et tout le secteur a plongé dans la crise économique. Les conséquences économiques et sociales des décisions du PCC ont été dévastatrices, notamment pour les citoyens chinois qui n’auront jamais les appartements qu’ils avaient payés. Cet exemple montre que le PCC fait des zigzags d’un extrême à l’autre, de façon typiquement stalinienne. Mais il ne montre certainement pas que le PCC est impuissant face au marché.
Une fois de plus, ces actions montrent la différence entre le PCC et le gouvernement américain. Dans le premier cas, l’État a lui-même dégonflé la bulle spéculative pour éviter une grave crise qui aurait pu conduire à l’instabilité politique. Dans le cas des États-Unis, le gouvernement a fait tout ce qu’il pouvait pour faire durer la bulle spéculative le plus longtemps possible, et aujourd’hui il fait la même chose avec la Bourse. Ce sont là des faits. Mais si l’on ne comprend pas que ces deux États obéissent à des lois fondamentalement différentes, on ne peut pas interpréter ces faits correctement.
S’il est difficile de comprendre l’économie chinoise, c’est en partie parce que le PCC a fait beaucoup d’efforts ces dernières décennies pour lui donner l’apparence d’une économie de marché, afin d’attirer les investissements étrangers et d’enrégimenter sa main-d’œuvre. Il a partiellement privatisé les entreprises d’État et leur a attribué des conseils d’administration « indépendants », il a laissé les capitalistes privés créer des sociétés qui valent plusieurs milliards de dollars, et ainsi de suite. Mais derrière cette libéralisation, le PCC a maintenu une poigne de fer sur les entreprises publiques et privées. Dans ce contexte, se focaliser uniquement sur la question de savoir si une entreprise est publique ou privée prête nécessairement à confusion. Au bout du compte toutes les entreprises doivent se conformer aux exigences politiques du PCC. Ce contrôle politique est assuré par des institutions comme le Département de l’organisation du Comité central (DO), qui désigne les titulaires de pratiquement tous les postes importants du pays. McGregor fait la comparaison suivante :
Le contrôle du PCC n’est pas motivé par la profitabilité. En fait il va directement à l’encontre de ses lois les plus élémentaires. Par exemple, le DO a brusquement décidé en 2004 d’intervertir les dirigeants des trois principales entreprises de télécommunications, qui étaient en concurrence les unes avec les autres et qui étaient censées appliquer les règles des marchés boursiers occidentaux. Intervertir les dirigeants d’entreprises concurrentes est contraire aux lois fondamentales de la concurrence capitaliste. C’est comme si le gouvernement américain décidait de nommer Mark Zuckerberg à la tête de Tesla et Elon Musk à celle de Meta. Le PCC a effectué cette opération pour calmer la guerre des prix et réaffirmer son autorité. Dans quel pays capitaliste ce genre de choses arrive-t-il ? Est-ce vraiment le marché qui dicte sa conduite à l’État ?
Malgré toutes les statistiques qu’on peut faire défiler pour montrer la prévalence des rapports capitalistes en Chine, au fond la classe capitaliste ne détient pas le pouvoir d’État. C’est le PCC qui décide. L’importante croissance des rapports capitalistes en Chine est due à l’alliance des dernières décennies entre le PCC et les capitalistes. Mais cela ne veut pas dire que les intérêts du PCC soient les mêmes que ceux de la classe capitaliste, ni que sa politique soit guidée principalement par des intérêts capitalistes. Bien au contraire. La bureaucratie du Parti communiste continue d’occuper une position intermédiaire, naviguant entre les pressions du capital (étranger et chinois) et la classe ouvrière. Pour ce faire, elle doit utiliser l’appareil d’État contre les deux pôles afin de conserver sa position.
6) Bonapartisme
L’argument classique, c’est que la coercition exercée par le PCC sur les capitalistes en Chine n’est pas différente de ce qui se passe sous n’importe quel autre régime bonapartiste. En 2017, le prince héritier saoudien Mohammed Ben Salman (MBS) a séquestré plusieurs centaines de capitalistes saoudiens (principalement des membres de sa famille) et leur a extorqué des milliards de dollars. En 2003, le président russe Poutine a fait emprisonner en Sibérie son rival Mikhaïl Khodorkovsky, qui était alors l’homme le plus riche de Russie, en l’accusant de fraude et d’escroquerie. En quoi tout cela diffère-t-il du fait que le PCC fait régulièrement disparaître des capitalistes, ou de certains exemples cités plus haut ? Pour comprendre la différence, il faut examiner chacun de ces régimes individuellement et ses rapports avec la classe capitaliste du pays concerné.
L’Arabie saoudite est une monarchie absolue qui, depuis la Deuxième Guerre mondiale, dépend de son alliance militaire avec les États-Unis pour se maintenir comme bastion de la réaction au Moyen-Orient. En Arabie saoudite, c’est la famille royale qui constitue aussi essentiellement la classe capitaliste. Le célèbre incident de 2017 était une querelle dynastique digne du Moyen Âge transposée dans le monde moderne. En faisant cracher au bassinet sa propre famille, MBS cherchait principalement à réaffirmer ses prétentions dynastiques, un comportement « normal » compte tenu de la nature féodale de la classe capitaliste saoudienne. En Russie, Poutine est arrivé au pouvoir dans un contexte de querelles intestines anarchiques et violentes entre gangsters oligarques. Le caractère bonapartiste de son gouvernement reflétait le besoin d’un arbitre capable d’apaiser les tensions dans la Russie d’après la contre-révolution. C’est dans ce contexte qu’il lui fallait affirmer son autorité sur certains oligarques qui refusaient de marcher droit.
Dans les deux cas, les mesures de répression bonapartistes servaient à préserver la stabilité du régime capitaliste. En Chine, le caractère bonapartiste du régime est très différent. Depuis 1949, le pouvoir du PCC se fonde sur la domination d’un État ouvrier par une bureaucratie qui a écrasé la classe capitaliste. Puisqu’il s’oppose à un programme internationaliste révolutionnaire, il est coincé en permanence entre le caractère arriéré de l’économie, les revendications économiques et politiques de la classe ouvrière et de la paysannerie et la pression hostile de l’impérialisme mondial. Avec l’effondrement du stalinisme un peu partout dans les années 1990, le PCC a choisi de pencher plus fortement du côté où soufflait le vent, c’est-à-dire du côté des capitalistes. Le contexte international et national a changé, mais pas le régime lui-même.
La nature bonapartiste du PCC découle toujours fondamentalement des mêmes forces de classe. Contrairement à l’Arabie saoudite ou à la Russie, la classe capitaliste chinoise n’est pas la base du régime, mais une rivale. C’est vrai alors même que beaucoup de capitalistes sont membres du PCC ou apparentés à des bureaucrates de haut rang. Les antagonismes de classe ne peuvent pas être surmontés par des mariages et des titres, une leçon que l’aristocratie française a apprise à la dure.
Malgré le caractère bureaucratique de leur régime, ni MBS, ni Poutine ni Xi ne peuvent transcender les intérêts sociaux sur lesquels repose leur pouvoir : intérêts dynastiques pour la monarchie saoudienne, intérêts oligarchiques pour Poutine, intérêts bureaucratiques pour Xi. Dans les deux premiers cas, le pouvoir de la couche dirigeante repose sur la classe capitaliste. Attaquer les intérêts fondamentaux des capitalistes serait contraire à la nature même du régime. Ce n’est pas le cas pour le PCC. Sous une pression extérieure et intérieure suffisamment forte, il pourrait exproprier la classe capitaliste. Bien sûr, cela créerait de gigantesques convulsions, et ce n’est pas ce que souhaite le PCC. Mais n’oublions pas qu’il l’a déjà fait dans le passé, et qu’avant 1949 Mao ne voulait pas non plus liquider les capitalistes.
On peut voir les bases de classe différentes de ces trois régimes en observant le comportement des capitalistes à leur égard. Malgré la tyrannie de MBS, les millionnaires et les milliardaires s’agglutinent en Arabie saoudite comme des moustiques autour d’un lampadaire. En Russie, le déclenchement de la guerre en Ukraine et les sanctions occidentales ont provoqué le départ d’un nombre important d’individus fortunés. Mais dans l’ensemble les oligarques ont fait bloc derrière le régime. Depuis 2022, les milliardaires ont rapatrié en Russie au moins 50 milliards de dollars d’actifs détenus à l’étranger. C’est parce que le régime est un pilier solide qui les soutient face à l’hostilité occidentale.
En Chine, c’est exactement l’inverse. Les capitalistes craignent plus le régime que l’Occident, où ils émigrent en masse quand ils le peuvent. Chaque année, la Chine est numéro un de la liste des pays que les capitalistes quittent, alors même que le régime limite strictement cette émigration. D’après le cabinet de conseil Henley & Partners, le nombre d’individus fortunés quittant la Chine a augmenté chaque année depuis la fin de la pandémie, atteignant le chiffre record de 15 200 à ce jour en 2024. Dans Mao and Markets (2022), Christopher Marquis et Kunyuan Qiao affirment que « plus d’un quart des entrepreneurs chinois ont quitté le pays une fois devenus riches, et des études suggèrent que près de la moitié de ceux qui restent songent à faire la même chose ». Pourquoi serait-ce le cas si le PCC était fondamentalement déterminé à défendre les intérêts des capitalistes en Chine ? Pourquoi dans d’autres dictatures les capitalistes ne craignent-ils pas ainsi leur gouvernement ?
7) Droits de propriété
L’argument suprême utilisé par les « trotskystes » qui considèrent que la Chine est capitaliste, c’est que la bureaucratie se serait transformée elle-même en classe capitaliste. Pêchant des citations dans La révolution trahie (1936), ils se réfèrent triomphalement au passage suivant de Trotsky :
Comme les responsables du PCC et leurs familles possèdent des actions, nos détracteurs en concluent que la bureaucratie s’est transformée en classe capitaliste. Si cela peut sembler vrai à première vue, en fait, la réalité de ces droits de propriété est beaucoup plus ambiguë.
La Constitution révisée de la RPC proclame que « la propriété privée légalement acquise est inviolable » et que « l’État protège, selon les dispositions de la loi, le droit des citoyens à la propriété privée et le droit à l’héritage des biens privés ». Toutefois, cela ne règle pas la question. Dans une lettre du 1er janvier 1936, Trotsky soulignait l’importance de distinguer « les véritables formes de propriété des formes supposées, c’est-à-dire des fictions juridiques ». Malgré le respect formel de la propriété privée, la question, comme toutes les autres en Chine, devient plus floue quand on y regarde de plus près.
D’abord, la Constitution affirme également que « l’État assure l’unité et l’intégrité de la légalité socialiste ». Nous laisserons aux juristes staliniens le soin d’expliquer en quoi cela est compatible avec la défense de la propriété privée. Mais il y a des formulations qui devraient également faire froncer les sourcils de tout capitaliste qui se respecte, comme l’affirmation que « les biens publics socialistes sont sacrés, inviolables » ainsi que l’impossibilité pour des personnes privées de posséder des terres à la ville ou à la campagne. Si c’est cela le capitalisme, c’est assurément un capitalisme très inhabituel.
Mais suivons le conseil de Trotsky et allons au-delà des textes juridiques formels. Un critère fondamental du droit à la propriété privée, c’est la capacité de disposer librement des biens que l’on possède. C’est là tout l’intérêt de la propriété privée. La question qui se pose, c’est : les capitalistes chinois peuvent-ils faire ce qu’ils veulent de leurs biens ? Oui… mais seulement s’ils les utilisent d’une manière qui correspond aux souhaits du PCC.
Les capitalistes individuels détiennent des parts dans les entreprises, y compris les entreprises d’État, mais au bout du compte ils ne peuvent pas faire ce qu’ils veulent avec leurs entreprises. Nous avons déjà vu comment le PCC décide en fait de la nomination des principaux PDG. Mais l’autorité exercée par le parti va plus loin. Il y a d’innombrables exemples d’intervention directe ou indirecte du PCC visant à faire comprendre que la propriété, qui sur le papier est privée, ne l’est en réalité pas tant que cela. Par exemple, la Chine s’est inspirée des pays occidentaux pour récompenser les PDG des entreprises d’État avec des stock-options. Mais quand ces PDG ont décidé de vendre ces actions, on leur a fait comprendre qu’ils n’étaient pas censés le faire. Ils possédaient l’entreprise de la même façon qu’on peut posséder une petite partie de la forêt amazonienne – on peut accrocher son certificat au mur, et ça n’ira pas plus loin.
L’exemple le plus connu est bien sûr le fait que le PCC a stoppé l’introduction en Bourse du groupe Ant lorsque Jack Ma, son propriétaire, a critiqué le parti. La maison mère d’Ant a perdu des milliards et Ma a disparu de la circulation pendant des années. Après ce scandale, le groupe a subi une « restructuration » qui a vu la part des actions détenues par Ma passer de 53,46 % à juste 6,2 %. Ses avocats ont sûrement oublié d’insister qu’en Chine la propriété privée est inviolable.
De tels changements brusques des rapports de propriété ne sont pas rares. En 2004, la direction du groupe Haier a essayé d’augmenter sa part dans le capital de la société. Cela ayant provoqué un scandale, le gouvernement a décidé sans préavis que Haier n’était plus une société privée mais une entreprise d’État. Le groupe a été nationalisé en un claquement de doigts puis, après plusieurs années de controverses, a été tout aussi soudainement retransformé en société privée.
Le caractère « flexible » de la propriété privée chinoise est particulièrement manifeste en temps de crise. Pendant la pandémie du Covid, le PCC a pu mobiliser des ressources d’une manière et à une échelle qui dépassaient de loin ce que pouvait faire n’importe quel pays capitaliste. La pandémie frappait le monde entier et les gouvernements ont réagi de manières très variées. Mais les pays capitalistes, quelle que soit la sévérité de leurs mesures, étaient limités par le caractère privé de la propriété. Ils pouvaient seulement orienter la production des biens et des services d’une manière très limitée. La Chine au contraire a pu mobiliser toute la société pour atteindre les objectifs fixés par le gouvernement. Cela a été possible non pas du seul fait que la Chine a un gouvernement autoritaire – pendant la pandémie, tous les gouvernements étaient autoritaires – mais parce qu’il pouvait faire fi des intérêts capitalistes et fonctionner selon un plan.
La situation actuelle en Chine n’est certainement pas celle de l’Union soviétique. Il existe bel et bien une classe capitaliste qui détient des propriétés privées. Toutefois, la réalité de cette propriété privée est très contradictoire. Les capitalistes, en tant que classe, n’ont pas encore la garantie pleine et entière de leurs titres de propriété. Ils ne maîtrisent pas complètement la situation du point de vue économique ou politique, parce que la loyauté des forces armées est acquise à la bureaucratie du PCC et non pas à eux. Pour que la classe capitaliste instaure sa dictature en Chine, il faudra changer cette réalité et briser le pouvoir du PCC.
8) Contre-révolution ou révolution politique ?
À quoi ressemblerait une contre-révolution en Chine ? Les exemples de l’URSS et de la Yougoslavie nous en donnent une idée. Une guerre civile serait une possibilité vraisemblable. Dans l’ensemble, les capitalistes prendraient complètement le contrôle de l’économie. Les entreprises d’État seraient privatisées de façon beaucoup plus complète. Le gouvernement perdrait le contrôle du secteur bancaire. Les mouvements de capitaux seraient libéralisés, rendant le marché chinois beaucoup plus dépendant de la finance impérialiste. Des millions de travailleurs perdraient sans doute leur emploi avec les plans de restructuration. Cette fois-ci, ce ne serait plus dans le contexte d’une économie en développement rapide, mais dans celui d’une désagrégation sociale. Il est aussi tout à fait possible que la Chine et Taiwan soient réunifiés sur une base capitaliste réactionnaire – l’objectif stratégique du Guomindang. Il n’y a aucune raison de penser que l’un ou l’autre de ces développements conduirait à une amélioration des droits démocratiques ou des libertés civiles.
L’impact international d’une contre-révolution en Chine serait tout aussi désastreux. Comme avec l’effondrement de l’Union soviétique, la chute de la RPC renforcerait la position des États-Unis et de ses alliés, leur permettant ainsi une fois encore de faire la loi aux quatre coins du monde sans aucune retenue. De plus, la destruction massive des forces productives qui accompagnerait une restauration capitaliste ferait baisser le niveau de vie sur toute la planète.
En niant qu’il y ait quoi que ce soit à défendre aujourd’hui en Chine, les soi-disant marxistes qui pensent que la Chine est capitaliste contribuent activement à favoriser cette issue désastreuse. Ce faisant, ils se préparent à trahir de la même façon que la plus grande partie de la gauche dans les années 1980 et 1990. De la Pologne à l’URSS en passant par la RDA, ces groupes ont applaudi la contre-révolution. Aujourd’hui, ils n’ont rien appris et ils font la même chose avec la Chine, en soutenant des mouvements explicitement pro-impérialistes comme les manifestations pour la démocratie à Hongkong. Au lieu d’arracher les dissidents chinois à leurs illusions démocratiques libérales et de les éduquer dans la voie du communisme révolutionnaire, ces groupes renforcent les courants contre-révolutionnaires dans la société chinoise.
Heureusement, le sort de la RPC n’est pas encore scellé. Le facteur décisif sera l’action de la classe ouvrière chinoise, la plus puissante du monde. Mais pour vaincre la contre-révolution, elle doit prendre conscience de ses tâches politiques. Pour commencer, cela veut dire comprendre que les acquis de la Révolution de 1949 ne pourront être garantis qu’avec le renversement révolutionnaire du PCC. Ce sera une révolution politique. Contrairement à une révolution dans un pays capitaliste, il ne sera pas nécessaire de briser totalement l’appareil d’État mais de le purger de haut en bas et de le placer sous le contrôle politique de la classe ouvrière.
Étant donné le niveau de dégénérescence de la RPC et l’influence omniprésente du capitalisme, une révolution politique sera une transformation radicale et convulsive. Une des tâches centrales sera d’exproprier l’industrie capitaliste. Les capitalistes résisteront certainement. Mais cette résistance sera freinée par le fait qu’ils ne dirigent pas l’État.
Les événements de Tiananmen ont montré que, sous l’impulsion du prolétariat, l’appareil d’État lui-même avait commencé à vaciller ; des bataillons entiers de l’APL, commandement compris, avaient refusé d’obéir aux ordres. Confrontée à un conflit social aigu, la bureaucratie stalinienne se trouve suspendue en l’air et commence à se désintégrer. Les différentes révolutions politiques qui ont éclaté, que ce soit en Chine, en RDA ou en Hongrie, montrent toutes qu’un soulèvement de la classe ouvrière dans un État ouvrier déformé peut vraiment gagner à sa cause la plus grande partie de l’appareil d’État. Cette issue en Chine ferait de l’expropriation des capitalistes une simple question administrative. Une telle fracturation de l’État est impossible dans un pays capitaliste quel qu’il soit, et c’est le facteur clé qui distingue une révolution politique d’une révolution sociale.
Conclusion
Nous avons montré comment la Chine n’est ni capitaliste ni impérialiste. Cela dit, quelle que soit la façon dont on aborde la question, il est évident qu’on a affaire à un phénomène tout à fait singulier. En combinant contrôle étatique et capitalisme, la Chine a réussi à se développer à une vitesse et à une échelle sans égales dans l’histoire de l’humanité. Les idéologues bourgeois interprètent cela comme un triomphe du système mondial américain de libre-échange capitaliste. Les partisans du PCC l’interprètent comme le triomphe du « socialisme avec des caractéristiques chinoises ». Quant aux « marxistes » qui pensent que la Chine est un pays capitaliste impérialiste, ils peuvent bien minimiser ou nier les incroyables accomplissements de la RPC, mais ils ne peuvent pas les expliquer.
Pour analyser la Chine de façon marxiste, il faut partir des conditions tout à fait exceptionnelles qui ont suivi la Deuxième Guerre mondiale et la fin de la Guerre froide. Lénine et Trotsky n’ont jamais confronté une situation où les principales puissances impérialistes étaient unies par la prépondérance écrasante de l’une d’elles. Ils n’ont pas davantage connu un monde où il y avait une seule superpuissance. Il ne suffit pas de citer Lénine et Trotsky, il faut étendre leur analyse et leur programme à ces réalités singulières. Au fond, c’est l’originalité du monde postsoviétique qui explique l’originalité de la situation mondiale actuelle et le développement de la Chine.
Le développement massif de la Chine n’est le triomphe ni de l’impérialisme ni du stalinisme, mais le produit de conditions spécifiques et sans équivalent. L’écrasement du mouvement de Tiananmen en 1989 a provisoirement fermé la porte à la fois à une révolution politique et à la contre-révolution. C’est ainsi que la Chine est sortie du début des années 1990 intacte en tant qu’État ouvrier, dans un contexte international qui lui était relativement favorable.
Superficiellement, le PCC semble avoir profité de son pacte avec le diable. Mais la croissance rapide et la coexistence avec le capitalisme n’étaient possibles que parce que les pressions extérieures sur le régime étaient au plus bas. Avec le changement du contexte international et l’attitude confrontationniste des États-Unis envers la Chine, la croissance stagne et les tensions intérieures s’accroissent. Malgré tous les efforts du PCC pour faire disparaître la lutte de classe, le conflit inexorable entre les travailleurs et les capitalistes fera une fois de plus irruption sur la scène politique. Nous verrons alors à quel point le stalinisme chinois a pourri de l’intérieur l’État ouvrier.
La RPC pourra-t-elle être sauvée de la contre-révolution ? La question sera tranchée par la direction politique qui sera à la tête de la classe ouvrière. Si l’on permet aux forces procapitalistes de prendre la direction, la RPC sera condamnée. S’il y a conciliation du stalinisme, sous quelque forme que ce soit, la RPC est condamnée aussi. La seule voie vers la victoire est celle de la IVe Internationale : s’opposer impitoyablement à l’impérialisme, défendre les acquis sociaux de la révolution, renverser la bureaucratie stalinienne et forger une alliance ouvrière internationale pour la révolution socialiste. De même que le développement singulier de la Chine a été le produit de la lutte de classe internationale, sa destinée future dépend de l’unité avec les travailleurs de tous les pays. Voilà la tâche qui nous incombe aujourd’hui.