https://iclfi.org/pubs/lb/238/defense-ouvriere
14 février – L’arrivée de Trump à la Maison Blanche et ses menaces protectionnistes dirigées aussi contre l’UE paniquent les impérialistes français déjà à bout de souffle depuis longtemps (« Va-t-il nous écraser ? », titrait Le Point fin janvier). En effet, le retour de Trump signale la mort du libéralisme, dont les impérialistes français avaient profité pendant des décennies. À mesure que la domination des États-Unis sur l’économie mondiale déclinait, le libéralisme devenait une entrave coûteuse (voir l’article de nos camarades états-uniens).
Suivant ce processus, tout l’échiquier politique européen vire de plus en plus à droite. Sous la pression de la montée de la Chine et du coût exorbitant de la guerre en Ukraine, les bourgeoisies s’éloignent du libéralisme hypocrite sous couvert duquel elles ont ruiné les travailleurs et les opprimés pendant 30 ans, et elles se tournent vers la droite populiste et réactionnaire. Il n’est aujourd’hui guère possible de distinguer l’extrême droite lepéniste de la vieille « droite républicaine » de LR et de la macronie du « centre ».
Cette hystérie de la bourgeoisie française est le reflet de sa position particulièrement faible dans le club des puissances impérialistes qui règnent sur un monde de plus en plus instable. La désindustrialisation libérale a atteint en France un niveau surpassé seulement par la Grande-Bretagne. Les promesses de réindustrialisation à travers le protectionnisme, qu’elles viennent de la droite ou des mélenchonistes, sont une chimère. Les droits de douane imposés récemment par l’UE sur les produits chinois, notamment les voitures électriques, susciteront une riposte de la République populaire qui ne peut que frapper davantage les exportateurs industriels et agricoles français et elle vont alimenter l’inflation au détriment du pouvoir d’achat des travailleurs. Et aucun droit de douane ne sortira l’industrie française, y compris l’automobile, du marasme. Les capitalistes pourraient bien parvenir à ouvrir symboliquement quelques usines dans les déserts industriels du pays (mais plutôt des entrepôts Amazon), mais ce sera au prix de salaires de misère et de conditions de travail encore pires qu’à présent.
Sur fond de crise politique permanente, le gouvernement Bayrou – suffisamment à droite pour le RN et aussi pour le PS – vient d’imposer sans vote un budget d’austérité inédit depuis des décennies : coupes drastiques dans les dépenses publiques, notamment l’éducation nationale et supérieure et l’Aide médicale d’État, gel des salaires des fonctionnaires et suspension des primes, baisse des indemnités maladie… À cela s’ajoute une vague de licenciements en masse (cyniquement appelés « plans sociaux ») dans pratiquement chaque branche de l’économie – l’automobile, l’aviation, la distribution, la chimie… –, menaçant des centaines de milliers d’emplois.
LFI paralyse toute riposte ouvrière
La France insoumise dépose une motion de censure après l’autre, qui n’ont pas la moindre chance d’aboutir sans le soutien du RN, pour se présenter comme la seule opposition sérieuse au gouvernement. Elle espère ainsi faire oublier que c’était elle-même qui a ressorti des poubelles les traîtres du PS et qui a redonné encore quelques mois de vie à la macronie grâce à sa politique de « barrage républicain » contre le RN.
Grâce à cette trahison de LFI et de tous ceux qui ont appelé à voter pour le front populaire au deuxième tour des dernières législatives, le PS a obtenu suffisamment de voix pour peser au parlement. Il vient de mettre ce poids au service de Bayrou en refusant de voter la censure. Le PS prétend qu’on peut assurer le vote d’un budget ultra-austéritaire tout en étant dans l’opposition, ce qui contribue par ricochet à préserver le crédit de Le Pen comme oppositionnelle elle aussi.
À ce petit jeu c’est toujours l’extrême droite qui gagne, faisant passer des mesures de plus en plus racistes, gardant son droit de veto sur les décisions du gouvernement tout en prétendant incarner la seule force antisystème vers laquelle peuvent se tourner les travailleurs écœurés et démoralisés par 40 ans de libéralisme.
Mais tôt ou tard ce gouvernement va tomber aussi. La bourgeoisie cherche fébrilement une solution à l’instabilité de l’exécutif, alors que la situation internationale l’oblige à prendre des mesures fortes contre les travailleurs pour ralentir son déclin. Des présidentielles anticipées se profilent dès qu’elle se sera trouvé une alternative suffisamment solide à ses yeux. Les belles paroles libérales, c’est terminé. Il va falloir y aller à la hache, comme Bayrou, ou plutôt à la tronçonneuse comme dit l’Argentin Milei. Macron est trop discrédité pour mener ce genre d’offensive. Alors comment empêcher Le Pen ou une autre force d’extrême droite de prendre le pouvoir ?
Tout ce que le NFP a montré depuis six mois, c’est son incapacité à s’opposer même aux demi-mesures insuffisantes pour la bourgeoisie des gouvernements de droite qui se succèdent depuis juillet dernier. Au contraire, une partie du NFP vient sauver la mise de la bourgeoisie quand il le faut.
Mélenchon dénonce la traîtrise du PS mais ce qu’il faut comprendre, c’est que le problème c’est moins le PS que le mélenchonisme lui-même. Le programme incohérent des insoumis, qui prétend prendre le côté des travailleurs et des opprimés tout en se basant sur les « valeurs de la République » des impérialistes, a joué un rôle central dans les défaites du mouvement ouvrier (voir l’article sur la dernière grève des cheminots). Il a conduit à la démoralisation et repoussé de plus en plus de travailleurs dans les bras du RN, avec pour résultat aussi l’aggravation de l’oppression de la minorité musulmane et des attaques contre les immigrés.
Le « barrage républicain » s’est définitivement retourné contre LFI, comme l’ont montré les dernières élections législatives partielles à Grenoble et municipales à Villeneuve-Saint-Georges. Soit Mélenchon met maintenant suffisamment d’eau dans son vin pour redevenir acceptable pour la bourgeoisie, et alors il perdra le vote populaire (ou sera élu pour faire le sale boulot comme ses mentors Mitterrand et Jospin avant lui), soit il continue son jeu d’équilibre entre républicanisme laïcard et gesticulations vides pro-quartiers et pro-Palestine qui paralysent les luttes et nous enfoncent encore plus dans l’impasse actuelle qui mène l’extrême droite au pouvoir. Dans tous les cas les travailleurs seront perdants.
Les travailleurs ne profiteront ni du protectionnisme chauvin décomplexé du RN ni du prétendu « protectionnisme écologique » (!) de Mélenchon. Chaque acquis, chaque usine et chaque emploi doivent être défendus bec et ongles face à l’offensive des capitalistes. Pour préparer ces batailles urgentes, il faut commencer par se battre pour reconstruire les syndicats en tant qu’organisations élémentaires de lutte des travailleurs en opposition à la bureaucratie syndicale et aux mélenchonistes. Ce sont eux les responsables pour toute une série de défaites qui ont conduit à l’ambiance actuelle d’apathie et démoralisation et qui ont poussé une grande partie de notre classe dans les bras de l’extrême droite.
L’extrême gauche s’accroche au libéralisme… et à la stérilité
Pour l’extrême gauche la réponse doit être claire. Ce qu’il faut, c’est construire dès maintenant un pôle des révolutionnaires qui soit un pôle de rupture affichée avec le mélenchonisme et les bureaucrates pour arracher de leurs mains la direction des organisations ouvrières. Néanmoins, les trois organisations les plus à gauche se réclamant du trotskysme en France – LO, RP et le NPA-R – rejettent cette voie et s’accrochent au libéralisme moribond, et LO plonge aussi de plus en plus profondément dans la stérilité sectaire.
Pendant des décennies, les travailleurs ont été ruinés et opprimés par le libéralisme de l’UE. La gauche et la bureaucratie syndicale se sont adaptées au libéralisme et à l’idéologie hypocrite qui l’enveloppe : « ouverture des frontières », « diversité », écologisme, féminisme, etc. La plupart des ouvriers détestent l’UE et tous ces discours bidon qui ciblent les travailleurs blancs et masculins eux-mêmes comme la source de l’oppression au lieu des patrons, des technocrates et des bureaucrates « éclairés ». L’adaptation de la gauche au libéralisme a poussé de plus en plus de travailleurs dans les bras du populisme « souverainiste ».
Au lieu de s’opposer frontalement à l’UE et toute son idéologie, la gauche trotskyste redouble d’efforts pour réconcilier le libéralisme et les intérêts des travailleurs. Pour LO, « ce n’est pas contre l’Union européenne qu’il faut se battre, mais pour une véritable Europe des travailleurs » (20 mars 2024). RP et le NPA-R préfèrent la plupart du temps tout simplement balayer le sujet sous le tapis, de peur d’alimenter le « souverainisme » : un « choix politique », nous a expliqué récemment un dirigeant du NPA-R – un « choix » qui ne peut que rajouter au discrédit de l’extrême gauche elle-même.
Ces organisations reconnaissent, chacune à sa façon, le poids des défaites successives pour le mouvement ouvrier et critiquent le rôle des bureaucrates. Mais elles refusent de faire un bilan sérieux, y compris de leur propre rôle dans les luttes de classe de ces dernières décennies, et de changer de cap en conséquence. Notoire dans ce sens est LO, qui ne cesse de déplorer le recul, bien réel, de la conscience de classe des travailleurs pour mieux se croiser les bras.
LO a récemment franchi un nouveau cap dans la théorisation de sa propre inanité. Argumentant contre l’idée même d’une direction révolutionnaire des syndicats, elle écrit : « pour les militants révolutionnaires, se porter à la tête de ces organisations qui aujourd’hui ne mènent nullement une politique révolutionnaire ne pourrait se faire que dans un tout autre contexte, où la classe ouvrière serait réellement engagée dans des luttes » (Lutte de classe, février). Et la lutte pour les retraites de 2023, les luttes actuelles contre les licenciements, ça ne vaut pas la peine de chercher à les gagner ? On se demande à quoi ça sert alors Jean-Pierre Mercier, longtemps délégué syndical central CGT chez PSA, aujourd’hui militant SUD à l’usine de Poissy, elle-même menacée de fermeture.
Cela n’empêche pas LO de répéter (tout comme RP et le NPA-R) les mêmes mots d’ordre grandiloquents de toujours, notamment la chimère de l’« interdiction des licenciements » accompagnée souvent de revendications parfaitement justes telles que la répartition du travail entre tous ou le contrôle ouvrier. Mais comment compte-t-on matérialiser ces mots d’ordre ?
Les analyses et appels à l’action de l’extrême gauche font fi de trois problèmes cruciaux : 1) la profonde division au sein de la classe ouvrière sur des lignes ethniques et religieuses, et le fait qu’environ un tiers des travailleurs votent RN ; 2) le discrédit des organisations syndicales et la démoralisation qui s’est installée ; et 3) les obstacles principaux à la défense des intérêts des travailleurs, c’est-à-dire la bureaucratie syndicale et les mélenchonistes.
LO rejette – tout comme les bureaucrates – les méthodes lutte de classe (véritables piquets de grève, caisse de grève, etc.), seules capables d’arracher des victoires face à une bourgeoisie déterminée (voir notre polémique). Face aux « plans sociaux », l’inaction des bureaucrates et l’inaptitude de leurs tactiques, le NPA-R explique que « pour l’instant, les luttes restent isolées, entreprise par entreprise » (22 janvier). Il propose donc une « politique » pour les révolutionnaires : « Oui, il faudrait entraîner les travailleurs de toutes les entreprises à en contacter d’autres, à occuper les rues, à rendre la vie impossible au patronat et aux représentants de l’État. » Dans la situation actuelle, le simple appel à entraîner les travailleurs de toutes les entreprises dans la lutte est moins une « politique » qu’un vœu pieux. Cette politique essaye de contourner, au lieu de confronter, l’obstacle de la bureaucratie syndicale, qui sabotera toute tentative de « rendre la vie impossible » aux patrons et à l’État.
Ce qu’il faut, c’est mettre en avant un programme concret, une voie de lutte réaliste, pour reconstruire les syndicats et préparer sérieusement la défense des travailleurs. Nous avons essayé de présenter un tel programme pour le cas des cheminots. Des programmes similaires doivent être développés et mis en avant dans chaque secteur attaqué, et nous collaborerons volontiers avec les militants syndicaux et de l’extrême gauche dans cette tâche. C’est ce genre de guide pour l’action, et non les platitudes (« construire la lutte d’ensemble par en bas », etc.) et mots d’ordre abstraits de toujours, qui pourrait rendre possible la construction de pôles des révolutionnaires au sein des syndicats.
RP travaille dans le sens opposé. Ils ont récemment (19 décembre) fait la promotion d’une tribune unitaire de la CGT Total Grandpuits, les Soulèvements de la Terre, Les Amis de la Terre et Extinction Rébellion face à la vague de licenciements, dans laquelle ils affirment notamment : « Nous pouvons dessiner une autre issue à la crise écologique et sociale, en socialisant sans rachat les usines condamnées à fermer sous le contrôle des travailleurs, afin de lancer leur reconversion écologique. » La « reconversion écologique » de Total et Michelin, vraiment ? Et comment les travailleurs vont-ils pouvoir s’acheter des voitures électriques à 50 000 euros quand ils peuvent à peine mettre assez de diesel dans le réservoir pour aller au boulot ? Qui peut prendre cela au sérieux ?
Comme le montrent l’horrible tragédie humanitaire à Mayotte et les crues chroniques et dévastatrices sur la côte de la Manche, toutes les infrastructures et les services capables de mitiger les effets du changement climatique – logement décent, barrages, services de santé, financement des pompiers et du SAMU – sont en piteux état, et l’assurance est inabordable pour les travailleurs. Néanmoins, l’État redouble d’hypocrisie, invoquant une « transition écologique » qui constitue une attaque massive contre les conditions de vie des travailleurs. Toute l’idéologie verte, selon laquelle les travailleurs doivent faire des sacrifices pour sauver la planète en collaboration avec les capitalistes, est censée donner un vernis progressiste à ces attaques. Les jeunes écolos radicaux voudraient faire une alliance avec les travailleurs ? Tant mieux. Sauf que leur programme libéral petit-bourgeois – réduire la consommation, taxer davantage les carburants, s’opposer par principe au nucléaire, à l’extraction minière et à pratiquement toute nouvelle œuvre d’infrastructure, bref renforcer la désindustrialisation du pays – est complètement contraire aux intérêts du prolétariat et ne peut que repousser les travailleurs.
Notons en passant que l’adaptation à l’idéologie verte, sans laquelle on ne peut pas passer pour un « progressiste » aux yeux des bobos, est la ligne officielle des dirigeants syndicaux « de gauche » actuels (voir l’affiche des bureaucrates traîtres de SUD-Rail). Une alliance entre les syndicats et la jeunesse antiraciste (dont les écolos radicaux souvent se réclament) dans l’intérêt des travailleurs ne peut être scellée qu’en rupture avec l’écologisme, y compris la variante « écosocialiste » de Mélenchon.
La tâche urgente des communistes révolutionnaires est de reconstruire les syndicats au beau milieu du vent de réaction qui souffle partout. Il faut que l’extrême gauche se ressaisisse vite !