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https://iclfi.org/pubs/lb/235/lo

La campagne des élections européennes est dominée par un climat d’hystérie attisée par le gouvernement et l’extrême droite contre toute manifestation de solidarité avec la Palestine. Le PS et le PCF se liguent avec la bourgeoisie pour dénoncer les « dérapages » propalestiniens de Mélenchon. Dans ce contexte, la liste de Lutte ouvrière pour les élections européennes revendique sans aucune ambiguïté l’indépendance de classe du prolétariat face à la bourgeoisie, notamment face aux mélenchonistes, et le pouvoir des travailleurs. C’est pourquoi nous appelons à voter et faire campagne pour la liste de Lutte ouvrière le 9 juin prochain.

Avec sa ligne sur la révolte des quartiers, LO mine sa propre campagne

Mais on voit tout de suite le problème qu’a LO pour réussir dans cette campagne dominée par la question des banlieues et de la Palestine : elle refuse de défendre les jeunes des quartiers face à la répression ! Cela constitue le problème central qui mine sa propre campagne et place LO, aux yeux de nombreux jeunes et militants, à droite des populistes bourgeois de LFI !

La nécessité de défendre les jeunes des quartiers ne répond pas à un « impératif moral humanitaire » ; l’enjeu c’est l’unification du camp des travailleurs. En plus de la terreur policière constante, l’explosion de colère de l’été dernier dans les quartiers avait comme toile de fond la dégradation des logements, la précarité de l’emploi, le démantèlement de l’éducation et des systèmes de santé, les transports chers et décrépits dont le coût et le non-fonctionnement constituent un élément important de la ségrégation des quartiers. C’est en s’attaquant d’abord aux couches les plus opprimées et précarisées des travailleurs que les patrons maintiennent la classe ouvrière divisée, les syndicats affaiblis et s’en prennent ainsi aux acquis de tous. Voilà pourquoi la lutte contre la discrimination et la ségrégation des minorités opprimées d’origine maghrébine et subsaharienne signifie lutter pour de meilleures conditions de vie et de travail pour tous les travailleurs. On ne peut pas se battre contre cette discrimination si l’on ne commence pas par défendre les jeunes qui ont osé se révolter l’été dernier.

C’est précisément parce que ces jeunes ont osé se confronter aux flics, dégrader les commissariats et autres institutions symboliques de « la République » (et, oui, y compris « l’École de la R-r-république » dont le caractère ségrégationniste s’aggrave avec chaque nouvelle mesure laïcarde) que la défense des jeunes est érigée par la bourgeoisie en ligne rouge que ni les bureaucrates syndicaux, ni LFI ni malheureusement LO n’osent franchir. Comme nous l’avons expliqué en décembre dernier (voir « LO, “valeurs de la République” et jeunes des quartiers », Le Bolchévik n° ٢٣٤) la position de LO sur la révolte des quartiers, loin de comprendre les enjeux, ne cherche qu’à se démarquer des « casseurs ». Dans son éditorial du 5 juillet 2023, Nathalie Arthaud écrivait:

« La furie destructrice qui a frappé certains quartiers suscite la consternation, le désarroi et même la colère. Et pour cause ! Ce ne sont pas les bourgeois qui voient leur voiture, leur restaurant chic ou leur terrain de tennis ou de golf partir en fumée. Ce sont les femmes et les hommes des classes populaires qui se retrouvent démunis, sans centre social, sans magasin pour leurs courses, sans transport pour se rendre au travail.

« Les actions de ceux qui ont passé plusieurs nuits à casser tout ce qu’ils avaient à leur portée, y compris le centre de vacances dans lequel leur petite sœur était inscrite, ou le bus médical où leur mère allait se faire soigner, témoignent d’un manque de conscience dramatique. Parmi eux se retrouvent d’ailleurs de petits voyous et les trafiquants, qui se moquent pas mal de mettre la vie des habitants en danger. »

Mais ce que LO ne voit pas, c’est que la révolte de l’été dernier, une explosion de colère spontanée, et pas la première, était entièrement justifiée par la terreur policière et par des décennies d’oppression et de misère dans les quartiers. Certes, brûler la voiture des voisins ou l’école locale ne fait pas avancer la lutte contre la ségrégation. Mais tant que les révolutionnaires ne chercheront pas à donner une direction à ces explosions de colère, les révoltes de la jeunesse face à la terreur policière continueront à prendre un caractère anarchique. En refusant cette tâche et en stigmatisant les jeunes comme des « casseurs » et des « voyous », etc., LO renonce à se battre contre la division du prolétariat et contre la réaction et elle capitule devant les valeurs républicaines bourgeoises.

Avec sa ligne sur la Palestine, LO mine sa propre campagne

Concernant la Palestine, LO a multiplié les déclarations sur le rôle néfaste de l’impérialisme à la source des maux du Proche-Orient. Fort bien. Elle insiste qu’il faut une ligne de classe en Palestine, y compris incluant les travailleurs juifs israéliens. Mais comment les mobiliser sur une ligne de classe qui unisse Juifs et Arabes ? À part des exhortations platoniques, LO n’a rien à proposer.

Pire, LO renvoie dos à dos le nationalisme palestinien et le sionisme, alors qu’elle sait très bien et répète que le peuple palestinien est opprimé. La seule manière d’unir les travailleurs israéliens et palestiniens, c’est de montrer aux ouvriers juifs (dont une bonne partie est discriminée du fait qu’elle est considérée comme non blanche) que la libération nationale palestinienne est la clé de leur propre émancipation sociale et de leur libération de l’oppression au sein de l’État théocratique sioniste. Une telle perspective est taboue pour Lutte ouvrière qui considère que ce serait capituler devant le « nationalisme bourgeois » palestinien. La ligne stérile de Lutte ouvrière représente de ce fait un obstacle à la seule manière d’ouvrir la voie à la révolution socialiste dans la région. LO est donc incapable de contester la direction de la lutte propalestinienne aux islamistes réactionnaires à Gaza et aux mélenchonistes en France, ainsi que de combattre l’influence des uns et des autres dans les quartiers.

Tant que la gauche marxiste ne luttera pas pour mobiliser activement la classe ouvrière de façon indépendante pour défendre les jeunes et pour la libération palestinienne, les mélenchonistes continueront de se renforcer dans les banlieues et parmi les forces vives de la gauche, les macronistes continueront de pilonner les quartiers et le mouvement ouvrier, et tout cela fera le lit du Rassemblement national d’extrême droite dont certains sondages prédisent d’ores et déjà une victoire en cas de législatives anticipées.

Avec sa ligne sur l’UE, LO mine sa propre campagne

LO se présente comme un pôle ouvrier critique de l’Union européenne. Elle dénonce à juste titre la polarisation réactionnaire entre les libéraux pro-UE et le « souverainisme », tant de l’extrême droite que le « protectionnisme solidaire » de Mélenchon. LO considère tout à fait correctement que l’UE est une alliance impérialiste dominée par la France et l’Allemagne (ainsi que par les Etats-Unis) et dirigée contre les travailleurs partout en Europe et notamment contre les pays les plus pauvres du continent.

Pourtant, dans son article de campagne du 20 mars, LO soutient que « Ce n’est pas contre l’Union européenne qu’il faut se battre, mais pour une véritable Europe des travailleurs. » Le problème, c’est que l’« Europe des travailleurs » n’est qu’une phrase creuse si l’on ne se bat pas d’ores et déjà contre l’UE des impérialistes ! Avec cette position, LO capitule devant les libéraux et ne fait rien pour briser la polarisation réactionnaire entre protectionnistes chauvins et libre-échangistes.

Au contraire, c’est le refus historique de la gauche marxiste de se battre contre l’UE sur une base prolétarienne et internationaliste conséquente qui pousse les travailleurs soit dans le camp des « souverainistes », soit dans les bras des libre-échangistes. La lutte contre l’Union européenne est une étape dans la lutte pour renverser le capitalisme dans les différents pays de l’UE et donc avancer vers des États-Unis soviétiques d’Europe.

Derrière les tergiversations de LO sur l’UE il y a une capitulation devant « l’opinion publique » libérale-républicaine qui présente l’UE comme un « rempart » contre la réaction et la guerre et selon laquelle toute opposition à l’UE serait du racisme. L’effet net d’une telle notion, soigneusement nourrie par Macron et tous ceux à son image depuis des décennies, est de présenter l’impérialisme français (ou allemand chez nos voisins) comme une force de « progrès ». Lors du Cercle Léon Trotsky du 2 mars, l’oratrice principale a répondu à notre intervention en cherchant à faire un scandale à propos de l’appel de nos camarades britanniques à voter pour le Brexit lors du référendum de 2016 ; elle tirait un trait d’égalité entre notre position et les conservateurs réactionnaires à la Boris Johnson. Pour être cohérente, LO devrait répudier son propre vote contre le traité de Lisbonne lors du référendum de 2005, où Chirac, Hollande, etc. dénonçaient le vote « non » comme faisant le lit du FN de Le Pen.

Notre position n’est pas le Frexit du bourgeois d’extrême droite François Asselineau mais la destruction de l’Union européenne par la lutte de classe internationaliste, ici en mobilisant la classe ouvrière contre nos propres impérialistes. Il est du devoir élémentaire des révolutionnaires en France de se battre contre l’UE et s’opposer à tout élargissement de celle-ci pour la simple raison que l’UE est aujourd’hui le principal instrument des impérialistes français pour piller et opprimer les pays pauvres d’Europe ! De cette compréhension marxiste élémentaire découle qu’en cas de référendum en France pour ou contre l’appartenance à l’UE, la seule position de principe pour les révolutionnaires serait de voter contre comme moyen d’affaiblir cette alliance impérialiste.

Dans le contexte actuel d’offensive réactionnaire, la tâche centrale pour l’avant-garde ouvrière est de regrouper ses forces et assimiler les leçons des défaites récentes pour mieux préparer les batailles de demain. Cela requiert une rupture nette avec le républicanisme des bureaucrates et de LFI et la construction de noyaux de militants révolutionnaires dans les syndicats, dont le point de départ soit le pouvoir aux travailleurs. La campagne de LO peut servir de levier pour cela, mais il faut que les militants de LO confrontent sans détour les racines de la popularité des mélenchonistes : la question de la défense des quartiers et de la libération palestinienne. À bas l’impérialisme français ! Défense des jeunes des quartiers ! Du fleuve jusqu’à la mer, Palestine libre, paysanne et ouvrière ! À bas l’UE, l’euro et l’OTAN ! Pour les États-Unis soviétiques d’Europe !