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QU’EST-CE QUE LA RÉVOLUTION PERMANENTE ?

Le document suivant a été adopté par la Huitième Conférence internationale de la LCI.

L’époque de l’impérialisme se caractérise par la division du monde entre d’une part un grand nombre de pays opprimés et d’autre part une poignée de pays oppresseurs qui les dominent économiquement et militairement. La situation mondiale actuelle est caractérisée par l’hégémonie de l’impérialisme américain qui, en alliance avec les autres puissances impérialistes (Allemagne, Grande-Bretagne, France, Japon), asservit l’énorme masse de la population mondiale grâce à l’exportation du capital financier. L’époque des empires coloniaux, marquée par le pillage ouvert et sans fard des colonies, a fait place au pillage de pays formellement indépendants mais qui sont en fait des néocolonies ou des États dépendants, maintenus en esclavage par le chantage économique et militaire des « grandes » puissances.

Dans la plupart des pays d’Afrique, d’Asie, d’Amérique latine et d’Europe de l’Est, ce n’est pas la bourgeoisie nationale, mais les impérialistes qui dirigent et dictent tous les aspects de la vie économique et politique, empêchant leur développement économique, national et culturel. Prêts, spoliation des ressources naturelles, main-d’œuvre à bas prix, politique monétaire, etc. sont autant de moyens par lesquels l’oligarchie financière et les monopoles impérialistes renforcent leur domination, prélèvent un tribut sur l’ensemble de la société et maintiennent ces pays dans la misère.

Dans ces pays, l’industrie moderne est le produit du capital étranger. Les techniques les plus récentes dans l’industrie et l’agriculture côtoient des rapports sociaux précapitalistes. Les usines, les chemins de fer, les mines et les ports sortent de terre là où on laboure encore le sol avec des buffles et des charrues en bois. En raison du rôle dominant que joue le capital étranger, la bourgeoisie nationale est extrêmement faible : elle n’est que partiellement capable de se hisser au niveau d’une classe dominante et, de ce fait, elle reste piégée dans une position de classe semi-dominante et semi-opprimée. En même temps, le capital étranger prolétarise la population, créant une classe ouvrière qui en acquiert un rôle central dans la vie du pays. La formation de puissants syndicats, et souvent de partis ouvriers, crée une force imposante en mesure de faire reculer l’exploitation impérialiste et d’affronter des bourgeoisies et des gouvernements nationaux fragiles.

Arriération de l’économie nationale, corruption débridée des gouvernements locaux, divisions ethniques et religieuses innombrables, survivance de rapports précapitalistes : toutes ces conditions, maintenues et renforcées par la domination étrangère, créent un lien inséparable entre la libération sociale des masses laborieuses et l’émancipation nationale. Ce sont la résistance à cette misère et à cette humiliation nationale, ainsi que l’aspiration à la terre, à la démocratie et au développement économique qui donnent l’impulsion à la lutte des masses ouvrières et paysannes et confèrent un caractère explosif à leurs revendications les plus élémentaires.

Pour développer et moderniser ces pays il faut résoudre les tâches démocratiques élémentaires ; développer l’industrie nationale et le marché intérieur exige l’unification et l’émancipation nationale ainsi que la réforme agraire. La bourgeoisie nationale a un intérêt objectif à résoudre ces questions afin d’améliorer sa position sociale en tant que classe dominante. Mais chacune de ces questions nécessite d’affronter le joug impérialiste. Étant donné la faiblesse de la bourgeoisie nationale par rapport aux impérialistes, elle est obligée, lorsqu’elle tente de résister au capital étranger, de s’appuyer dans une mesure ou une autre sur le prolétariat et sur l’ensemble de la nation. En même temps, en tant que classe possédante, elle est consciente que le prolétariat représente une menace pour ses intérêts. Pour les protéger, elle est obligée de s’appuyer sur les impérialistes, auxquels elle est attachée par mille liens. Ainsi, incapable de jouer un rôle indépendant, la bourgeoisie nationale oscille entre ces deux forces plus puissantes. Trotsky explique :

« Dans les pays industriellement arriérés, le capital étranger joue un rôle décisif. D’où la faiblesse relative de la bourgeoisie nationale par rapport au prolétariat national. Ceci crée des conditions particulières du pouvoir d’État. Le gouvernement louvoie entre le capital étranger et le capital indigène, entre la faible bourgeoisie nationale et le prolétariat relativement puissant. Cela confère au gouvernement un caractère bonapartiste sui generis particulier. Il s’élève pour ainsi dire au-dessus des classes. En réalité, il peut gouverner, soit en se faisant l’instrument du capital étranger et en maintenant le prolétariat dans les chaînes d’une dictature policière, soit en manœuvrant avec le prolétariat et en allant même jusqu’à lui faire des concessions et conquérir ainsi la possibilité de jouir d’une certaine liberté à l’égard des capitalistes étrangers. »

– « L’industrie nationalisée et la gestion ouvrière », mai 1939

S’appuyant sur l’élan des masses ouvrières et sur un rapport de force international favorable, la bourgeoisie nationale peut procéder à des nationalisations, à des réformes agraires et à d’autres mesures progressistes contre les impérialistes visant à défendre l’indépendance nationale et à développer l’économie du pays. La nationalisation du pétrole au Mexique en 1938 sous Lázaro Cárdenas ou la prise de contrôle du canal de Suez en Égypte sous Nasser en 1956 en sont des exemples classiques. Mais la bourgeoisie met en œuvre ces mesures pour ses propres objectifs et avec ses propres méthodes. Elle cherche à se maintenir à la tête de la lutte de libération nationale afin de contenir et de canaliser les aspirations sociales et économiques des opprimés dans des limites qui ne menacent pas sa domination, de manière à améliorer sa propre position en tant classe semi-dominante vis-à-vis des impérialistes.

Les bourgeoisies des pays asservis sont pleinement conscientes que pour lutter sérieusement contre l’impérialisme il faut un soulèvement révolutionnaire des masses qui constituerait une menace pour la bourgeoisie nationale elle-même. Trotsky écrivait :

« Une révolution démocratique ou la libération nationale peuvent permettre à la bourgeoisie d’approfondir et d’étendre ses possibilités d’exploitation. L’intervention autonome du prolétariat sur l’arène révolutionnaire menace de les lui ôter toutes. »

– L’Internationale Communiste après Lénine, 1928

En mobilisant les masses derrière elle, la bourgeoisie doit donc maintenir un strict contrôle sur celles-ci en écrasant les partis révolutionnaires, en maintenant une poigne de fer sur les syndicats par l’intermédiaire de la bureaucratie et parfois en les intégrant directement à l’État, en parrainant la création d’organisations paysannes contrôlées par l’État, etc. Lutte des classes, saisies de terres, tentatives de formation de syndicats et d’organisations paysannes indépendants – toute tentative d’action anti-impérialiste indépendante de la part des masses se heurte à une répression sanglante. C’est en réprimant la seule force qui peut véritablement apporter l’émancipation nationale et la modernisation, à savoir la classe ouvrière alliée à la paysannerie, que la bourgeoisie nationale non seulement empêche la révolution sociale, mais sabote et trahit à chaque étape la lutte anti-impérialiste et pave la voie à la réaction impérialiste. Comme elle est liée à la propriété capitaliste et doit défendre ses intérêts de classe contre les masses prolétariennes, la bourgeoisie nationale non seulement est incapable de résoudre les tâches de l’émancipation nationale et de la révolution agraire, mais joue aussi un rôle totalement réactionnaire dans ce processus.

Seul le prolétariat, ralliant derrière lui les masses paysannes et la petite bourgeoisie urbaine, est capable de briser le joug du capital étranger, de mener jusqu’au bout la révolution agraire et d’établir une véritable démocratie pour les travailleurs sous la forme d’un gouvernement ouvrier et paysan. Comme l’expliquait Trotsky à propos de la Russie dans l’introduction de La révolution permanente (1929) :

« J’en arrivais à la conclusion que notre révolution bourgeoise ne pouvait accomplir réellement ses tâches que dans le cas où le prolétariat, appuyé par les millions de paysans, aurait concentré entre ses mains la dictature révolutionnaire.

« Quel serait le contenu social de cette dictature ? Tout d’abord, elle devait mener jusqu’au bout la révolution agraire et la reconstruction démocratique de l’État. Autrement dit, la dictature du prolétariat devenait l’arme avec laquelle seraient atteints les objectifs historiques de la révolution bourgeoise retardée. Mais elle ne pouvait s’arrêter là. Arrivé au pouvoir, le prolétariat serait obligé de faire des incursions de plus en plus profondes dans les rapports de propriété privée en général, c’est-à-dire de prendre le chemin des mesures socialistes. »

L’arrivée au pouvoir du prolétariat dans un seul pays ne mène pas la révolution à son terme, elle ne fait que la commencer. Pour moderniser les pays néocoloniaux, pour développer une industrie et un marché national, pour sortir les masses de la misère, il faut disposer du plus haut niveau de technique et de productivité et avoir accès au marché mondial, c’est-à-dire à la division internationale du travail. Or tout cela est entre les mains de l’impérialisme. Tant que l’impérialisme mondial subsiste, les acquis arrachés dans un pays donné restent soumis à l’asphyxie impérialiste et à la menace constante d’un renversement. La victoire de la révolution néocoloniale et le développement du socialisme exigent la défaite de l’impérialisme sur la scène mondiale, c’est-à-dire l’extension de la révolution aux centres impérialistes.

Dans les pays asservis, le premier pas dans cette direction consiste à créer des partis révolutionnaires, dont la tâche principale est d’arracher la direction de la lutte anti-impérialiste des mains de la bourgeoisie nationale. Cela n’est possible qu’en poussant en avant la lutte pour la libération nationale jusqu’à ses conséquences ultimes en dévoilant aux masses toutes les hésitations, les capitulations et les trahisons de la bourgeoisie. S’emparer des biens des impérialistes, notamment de leurs banques, exproprier les propriétaires fonciers nationaux et étrangers, répudier la dette et tous les traités de « libre » échange – tout acte sérieux visant à faire progresser la lutte contre l’esclavage impérialiste dresse les masses contre la bourgeoisie. Comme le faisait remarquer Trotsky, cette dernière « a toujours derrière elle un arrière solide en la personne de l’impérialisme, toujours disposé à l’aider contre les ouvriers et les paysans » avec son argent, ses marchandises et ses obus (« La révolution chinoise et les thèses de Staline », mai 1927). Il expliquait :

« Mais tout ce qui relève la foule opprimée des travailleurs pousse fatalement la bourgeoisie nationale à l’alliance militaire déclarée avec l’impérialisme. La lutte de classe entre la bourgeoisie et les masses ouvrières et paysannes, loin d’être affaiblie par l’oppression impérialiste, est au contraire exaspérée à chaque conflit sérieux, jusqu’à se changer en guerre civile sanglante. »

En même temps, dans la mesure où la bourgeoisie cherche à obtenir des concessions de la part des impérialistes, les révolutionnaires soutiennent ces mesures tout en conservant une totale indépendance organisationnelle et politique, et ils cherchent à mobiliser le prolétariat et la paysannerie pour qu’ils les mettent en œuvre dans leurs propres buts et avec leurs propres méthodes :

Nationalisations ?

Pas de compensation ! Occupez les usines, les mines, les chemins de fer jusqu’à ce que les impérialistes cèdent !

Réforme agraire bureaucratique et limitée ?

Des comités de paysans pour s’emparer eux-mêmes des terres !

Menace impérialiste de « changement de régime » ?

Armez les ouvriers et les paysans !

En toute circonstance, les trotskystes insistent que les masses doivent agir de façon indépendante dans la lutte afin de briser l’emprise de la bourgeoisie nationaliste.

Pour combattre l’influence de la bourgeoisie, il est essentiel de combattre le nationalisme, le principal outil idéologique qu’elle utilise pour rallier le prolétariat et les opprimés à ses propres intérêts. Le nationalisme dresse le prolétariat contre les minorités nationales et contre ses frères et sœurs de classe des autres nations opprimées et, ce qui est crucial, contre la classe ouvrière de la nation qui opprime, empêchant ainsi l’unité révolutionnaire dans la lutte contre l’ennemi commun, les impérialistes. Mais pour libérer les masses du nationalisme, il faut distinguer entre le nationalisme de l’oppresseur, qui est l’expression du chauvinisme impérial, et le nationalisme des opprimés, qui constitue une réaction à l’oppression. Nier cette distinction, c’est nier le désir d’émancipation des masses. On ne peut pas vaincre le nationalisme en prêchant un internationalisme abstrait. On ne peut le surmonter que dans la lutte, en démontrant la traîtrise de la bourgeoisie nationale dans le combat pour l’émancipation.

Les intérêts de la classe ouvrière requièrent l’entière solidarité des travailleurs de toutes les nations. Dans les pays impérialistes, les partis révolutionnaires doivent éduquer le prolétariat dans l’esprit que l’émancipation des nations asservies est dans son propre intérêt objectif : chaque défaite des impérialistes à l’étranger renforce la position du prolétariat national. Les trotskystes doivent lutter pour une rupture avec les sociaux-chauvins au sein du mouvement ouvrier – les défenseurs de l’OTAN et de l’Union européenne, les bureaucrates syndicaux qui soutiennent en Amérique du Nord l’Accord États-Unis-Mexique-Canada de « libre échange » – ainsi qu’avec les centristes qui maintiennent l’unité avec les sociaux-chauvins. C’est la seule façon de surmonter la méfiance et les préjugés nationalistes dans les néocolonies. L’ennemi principal est dans notre propre pays ! Chassez les bureaucrates syndicaux pro-impérialistes ! Pour la révolution ouvrière dans les bastions impérialistes !

Dirigeant la lutte contre l’oppression impérialiste, les partis révolutionnaires des nations opprimées doivent éduquer les masses laborieuses dans l’esprit de l’unité révolutionnaire avec le prolétariat des nations qui les oppriment. L’unité des nations opprimées contre l’impérialisme ne peut pas se réaliser sous l’égide des bourgeoisies compradores vénales, pour qui le « patriotisme » ne signifie que la défense de leur propriété privée. On ne peut y parvenir que sous la direction de la classe ouvrière alliée à la paysannerie. Saisissez tous les biens des impérialistes ! La terre à ceux qui la travaillent ! Pour la libération nationale et sociale !

L’expérience a montré que, dans des circonstances exceptionnelles, des mouvements de guérilla basés sur la paysannerie sont capables de vaincre l’impérialisme dans un pays donné et d’exproprier la bourgeoisie nationale (par exemple en Chine, à Cuba, au Laos, au Viêt Nam). Toutefois, la victoire de ces mouvements ne peut aboutir au mieux qu’à l’instauration de régimes bureaucratiques de type stalinien qui se maintiennent au pouvoir par la répression brutale des masses laborieuses tandis que le pays reste soumis aux pressions du marché mondial. Dans l’espoir illusoire d’apaiser l’impérialisme, ces bureaucraties staliniennes se distinguent par leur opposition farouche à l’extension de la révolution socialiste au-delà de leurs frontières nationales. Pour défendre et étendre les acquis de ces révolutions, il faut une nouvelle révolution contre ces bureaucrates. Par conséquent, les tâches des révolutionnaires décrites ci-dessus s’appliquent également à ces sociétés : les trotskystes doivent arracher aux bureaucrates la direction de la lutte anti-impérialiste et la mener sous la bannière du léninisme authentique. Défense de la Chine, de la Corée du Nord, du Laos, de Cuba et du Viêt Nam contre l’impérialisme et la contre-révolution ! Pour la révolution politique contre les traîtres staliniens ! Pour le communisme de Lénine et Trotsky !

Le triomphe définitif contre l’impérialisme ne peut être assuré que par la fusion de la lutte du prolétariat dans les pays impérialistes contre sa « propre » bourgeoisie avec celle des travailleurs des nations opprimées contre ces mêmes impérialistes et leurs agents locaux.

Ouvriers du monde entier et peuples opprimés, unissez-vous !

COMMENT LA LCI A RÉVISÉ LA RÉVOLUTION PERMANENTE

Déformée dès la naissance

Depuis sa création, la tendance spartaciste avait basé son approche du problème de la révolution dans les pays néocoloniaux et les nations opprimées sur une révision de la révolution permanente. Pour comprendre comment et pourquoi, il faut examiner le contexte historique et politique dans lequel notre tendance a élaboré son approche.

La période qui avait suivi la Deuxième Guerre mondiale fut marquée par une flambée des luttes de libération nationale alimentée par la chute des empires coloniaux britannique et français et par le renforcement du prestige de l’URSS après sa victoire sur l’Allemagne nazie. Le monde était divisé entre deux superpuissances représentant deux systèmes sociaux rivaux : l’URSS et l’impérialisme américain. Dans cette situation, les pays opprimés disposaient d’une marge de manœuvre et nombre d’entre eux se tournèrent vers l’Union soviétique pour obtenir un soutien militaire et politique dans leur lutte contre l’impérialisme. Jusqu’à la fin des années 1970, des révoltes secouèrent le monde néocolonial : Chine, Corée, Indochine, Inde, Chypre, Algérie, Cuba, monde arabe, Chili, etc. Ces mouvements étaient dirigés par des forces bourgeoises et petites-bourgeoises. Dans la plupart des cas, cela déboucha sur l’indépendance formelle sous un régime nationaliste bourgeois, mais le joug de l’impérialisme demeurait.

Tout au long de cette période, la stratégie de la quasi-totalité de la gauche marxiste internationale consistait à soutenir, ouvertement ou de manière critique, les directions nationalistes de ces mouvements et leurs régimes. Elle justifiait cela en argumentant que l’oppression impérialiste des colonies et des néocolonies donnait un rôle objectivement progressiste à la bourgeoisie nationale et que la victoire des forces nationalistes reviendrait à réaliser la révolution démocratique bourgeoise, ouvrant ainsi la voie au socialisme. L’idée que le « processus objectif » forcerait les dirigeants nationalistes bourgeois et petits-bourgeois à s’orienter vers le socialisme réduisait le rôle des révolutionnaires à les pousser vers la gauche. C’était là le cadre théorique des partis staliniens et de leurs scissions maoïstes, de la Nouvelle Gauche ainsi que des pseudo-trotskystes. (Michel Pablo, ex-dirigeant de la IVe Internationale, se retrouva conseiller du gouvernement bourgeois algérien de Ben Bella.)

C’était nier totalement qu’il fallait une direction révolutionnaire à la lutte de libération nationale. Si le « processus objectif » conduisait à la libération et au socialisme, on n’avait alors pas besoin de partis révolutionnaires. En réalité, cela signifiait lier totalement le prolétariat et les masses paysannes à la bourgeoisie nationale, trahissant ainsi la lutte anti-impérialiste et la révolution socialiste. Ce qui était posé pour les révolutionnaires, c’était d’offrir un programme pour la lutte indépendante des masses laborieuses pour leurs besoins et leurs aspirations afin de faire ainsi progresser le combat anti-impérialiste et, dans ce processus, d’en prendre la tête en opposition aux nationalistes et aux staliniens. Ce n’est que sur cette base qu’il était possible de montrer que le programme de collaboration de classe de la gauche était un obstacle à la victoire contre l’impérialisme, et d’initier un processus de scissions et de fusions pour forger un authentique courant trotskyste.

Cependant, la tendance spartaciste n’a pas suivi cette voie. Voyant que la lutte de libération nationale avait une direction bourgeoise et que la gauche s’était mise à la remorque du nationalisme, nous avons adopté une ligne rigide et sectaire, qualifiant le nationalisme dans le monde néocolonial de réactionnaire en tout point. Partant d’une impulsion correcte qu’il fallait s’opposer au liquidationnisme de la gauche, nous en sommes scandaleusement arrivés à répudier le cœur même de la révolution permanente : placer la lutte pour la libération nationale au centre de la stratégie révolutionnaire pour le monde néocolonial. En dépit de phrases orthodoxes résumant la révolution permanente, nous avons opposé la libération nationale à la lutte des classes et à la révolution socialiste. Ce faisant, nous avons systématiquement rejeté le combat pour une direction communiste de la lutte de libération nationale, renforçant ainsi l’emprise des nationalistes et des forces petites-bourgeoises sur les masses. Ce cadre général équivalait, au fond, à une capitulation devant l’impérialisme.

La libération nationale : obstacle ou levier pour la révolution ?

Voici deux exemples classiques de la conception de la tendance spartaciste sur la question nationale :

« En général, notre soutien au droit à l’autodétermination est négatif : opposition intransigeante à toute manifestation d’oppression nationale, ceci comme un moyen vers l’unité de la classe ouvrière, non en tant qu’accomplissement d’un “destin historique” ou de l’“héritage” d’une nation, et pas davantage comme un soutien à des nations “progressistes” ou au nationalisme. Nous soutenons le droit à l’autodétermination et les luttes de libération nationale dans le but d’éliminer la question nationale de l’ordre du jour historique, et non pour créer une autre question identique. »

– « Thèses sur l’Irlande », Spartacist édition en français no 18-19, hiver 1981-1982

Et ceci :

« Pour les nations opprimées à l’intérieur d’États multinationaux, la question de préconiser ou non l’indépendance dépend de la profondeur des antagonismes nationaux entre les travailleurs des différentes nations. Si les relations sont empoisonnées au point de rendre impossible la véritable unité de classe au sein d’un pouvoir d’État unique, nous soutenons l’indépendance comme seul moyen de supprimer la question nationale de l’ordre du jour et mettre en avant la solution de classe. »

– « Le nationalisme québécois et la lutte des classes », traduit de Spartacist Canada dans Le Bolchévik no 5, mars 1977

Au lieu de considérer la question nationale comme un levier pour la révolution socialiste, cette approche la traitait comme une épine dans le pied, un problème irritant dont il fallait se débarrasser pour ouvrir la voie à la lutte des classes « pure ». Cela n’a rien à voir avec le marxisme. L’approche des révolutionnaires consiste à utiliser toute oppression, toute crise, tout acte de résistance pour forger l’unité de la classe ouvrière dans la lutte pour vaincre la bourgeoisie. À cet égard, la résistance contre la domination étrangère dans les pays opprimés du monde entier est un puissant levier pour renverser l’impérialisme mondial. Mais au lieu de faire progresser la lutte pour le socialisme sur la base des luttes sociales et nationales réelles, la tendance spartaciste, de manière sectaire et doctrinaire, cherchait à projeter sur la réalité sa propre version idéalisée de la lutte des classes, purgée de tout « désagrément » national.

Cette approche de la question nationale n’est pas une nouveauté dans l’histoire du mouvement communiste. Lénine l’a combattue toute sa vie, en particulier contre les soi-disant socialistes qui avaient considéré avec dédain le soulèvement de Pâques à Dublin en 1916 en le qualifiant de simple « putsch ». Dans son « Bilan d’une discussion sur le droit des nations à disposer d’elles-mêmes » (juillet 1916), Lénine avait inclus un chapitre sur l’insurrection irlandaise (que nous avons nous-mêmes reproduit, sans nous rendre compte que tout son contenu nous visait). Il y expliquait :

« Les opinions des adversaires de l’autodétermination aboutissent à cette conclusion que la viabilité des petites nations opprimées par l’impérialisme est d’ores et déjà épuisée, qu’elles ne peuvent jouer aucun rôle contre l’impérialisme, qu’on n’aboutirait à rien en soutenant leurs aspirations purement nationales, etc. »

Nous ne rejetions pas le droit à l’autodétermination, mais toute notre approche était façonnée par l’idée que rien de bon ne pouvait sortir du « problème national ». Lénine poursuivait :

« Quiconque qualifie de putsch pareille insurrection est, ou bien le pire des réactionnaires, ou bien un doctrinaire absolument incapable de se représenter la révolution sociale comme un phénomène vivant.

« Croire que la révolution sociale soit concevable sans insurrections des petites nations dans les colonies et en Europe, sans explosions révolutionnaires d’une partie de la petite bourgeoisie avec tous ses préjugés, sans mouvement des masses prolétariennes et semi-prolétariennes politiquement inconscientes contre le joug seigneurial, clérical, monarchique, national, etc.,– c’est répudier la révolution sociale. C’est s’imaginer qu’une armée prendra position en un lieu donné et dira : “Nous sommes pour le socialisme”, et qu’une autre, en un autre lieu, dira : “Nous sommes pour l’impérialisme”, et que ce sera alors la révolution sociale ! C’est seulement en procédant de ce point de vue pédantesque et ridicule qu’on pouvait qualifier injurieusement de “putsch” l’insurrection irlandaise.

« Quiconque attend une révolution sociale “pure” ne vivra jamais assez longtemps pour la voir. Il n’est qu’un révolutionnaire en paroles qui ne comprend rien à ce qu’est une véritable révolution. »

Qu’est-ce que la méthode d’« éliminer » la question nationale de l’« ordre du jour » si ce n’est attendre une révolution « pure », « non contaminée » par les sentiments nationaux des peuples opprimés ?

La révolution socialiste n’est pas une bataille unique mais une série de batailles qui se déroulent sur une multitude de questions démocratiques, économiques et sociales. Dans les pays sous le joug de la domination étrangère, chercher à « éliminer » la question nationale comme condition préalable à la lutte socialiste signifie nier que l’état de sous-développement imposé par l’impérialisme met objectivement sur le devant de la scène les tâches démocratiques, qui sont le levier fondamental de la révolution socialiste. Le cœur de la révolution permanente – et la leçon centrale de la Révolution d’octobre 1917 – c’est la révolution démocratique bourgeoise accomplie par le prolétariat révolutionnaire à la tête de la paysannerie et de tous les opprimés et se transformant en révolution socialiste. Trotsky expliquait :

« La dictature du prolétariat qui a pris le pouvoir comme force dirigeante de la révolution démocratique est inévitablement et très rapidement placée devant des tâches qui la forceront à faire des incursions profondes dans le droit de propriété bourgeois. La révolution démocratique, au cours de son développement, se transforme directement en révolution socialiste et devient ainsi une révolution permanente. »

– La révolution permanente

À l’opposé de cela, toute notre approche consistait à réfléchir à la manière dont telle ou telle question démocratique pouvait être « éliminée » de l’ordre du jour. Mais cela s’avérait plus compliqué dans les régions où des peuples sont interpénétrés comme en Irlande du Nord ou en Israël/Palestine, où deux groupes nationaux ont des revendications concurrentes d’autodétermination sur le même territoire. La tendance spartaciste a donc fabriqué une « théorie » pour le cas des peuples interpénétrés. Notre article fondateur sur la question d’Israël/Palestine postulait :

« Lorsque des populations nationales sont géographiquement interpénétrées, comme c’était le cas en Palestine, un État-nation indépendant ne peut être créé que par leur séparation forcée (transferts forcés de population, etc.). Le droit démocratique à l’autodétermination devient alors abstrait, puisqu’il ne peut être exercé que si le groupe national le plus fort chasse ou détruit le plus faible.

« Dans ces cas, la seule possibilité de solution démocratique réside dans une transformation sociale. »

– « Naissance de l’État sioniste, deuxième partie : La guerre de 1948 », Workers Vanguard no 45, 24 mai 1974

Il était manifestement impossible d’« éliminer » la question nationale de l’ordre du jour dans des endroits comme Belfast ou Gaza. Nous avons donc proclamé la nécessité d’une révolution. Mais la question reste entière : comment peut-il y avoir une révolution là-bas ? Tout le programme derrière la « théorie » des peuples interpénétrés consistait à proclamer la nécessité d’une révolution socialiste tout en rejetant l’obligation de placer la lutte de libération nationale des Palestiniens et des catholiques irlandais au centre de notre stratégie révolutionnaire. Au lieu de cela, nous considérions la révolution socialiste comme un processus où les deux groupes nationaux se débarrasseraient de leurs sentiments nationaux en faveur de l’unité sur des revendications économiques et d’une solidarité libérale.

Tout « marxiste » qui pense que la lutte de libération nationale est une épine dans le pied pour la révolution, et qu’il faut la mettre de côté afin de lutter pour le socialisme, est au mieux condamné à l’insignifiance et, au pire, est un agent de l’oppresseur dominant qui exige que les opprimés abandonnent leurs aspirations nationales comme condition préalable à l’unité. Une révolution en Israël/Palestine ou en Irlande du Nord n’est concevable que sous la forme d’un soulèvement pour la libération nationale des Palestiniens et des catholiques irlandais qui n’empiète pas sur les droits nationaux des protestants et des Israéliens, mais qui émancipe les travailleurs vis-à-vis de leur bourgeoisie et de ses partenaires impérialistes. C’est précisément parce que les nationalistes irlandais et palestiniens sont incapables de mettre en œuvre une telle perspective, à laquelle ils sont opposés, que seule une direction communiste peut dans ces pays résoudre le problème national de façon juste et démocratique.

La première des « Thèses sur l’Irlande », document clé développant notre position sur le problème national dans ce pays, montrait notre impuissance totale :

« Il reste la forte possibilité qu’une solution juste, démocratique et socialiste à la situation en Irlande ne puisse venir que sous l’impact d’une révolution prolétarienne quelque part ailleurs et qu’elle soit concrètement introduite à la pointe des baïonnettes d’une Armée rouge, et ce, contre l’opposition d’un secteur significatif de l’une ou l’autre des communautés ou des deux à la fois. »

En ce qui concerne la Palestine, nos articles soulignaient constamment que la révolution était très probablement impossible tant qu’il n’y aurait pas de révolution dans un pays voisin. Déclarer à l’avance que nous ne croyons pas vraiment à la possibilité d’une révolution autochtone en Irlande du Nord ou en Palestine et que nous ne considérons pas que notre intervention puisse jouer un rôle vital et décisif dans ces régions revient à brandir une pancarte proclamant : « Nous sommes insignifiants ».

La tâche des communistes est de fusionner la lutte pour la libération nationale et la lutte pour le socialisme, pas de les opposer. Cette perspective est inconcevable avec la rigidité et l’étroitesse d’esprit qui caractérisaient notre approche de la question nationale ; elle exige la méthode et le programme de la révolution permanente. L’application de la révolution permanente ne se limite pas aux pays qui comportent une paysannerie ou sont marqués par un développement capitaliste retardataire. Sa méthode est au cœur même du programme communiste moderne. La principale leçon que Marx et Engels ont tirée des révolutions de 1848 en Europe, c’est que les luttes démocratiques et sociales ont besoin d’une direction prolétarienne. En conclusion de leur « Adresse du Comité central à la Ligue des communistes » de 1850, Marx et Engels soulignaient :

« [Les travailleurs] contribueront eux-mêmes à leur victoire définitive bien plus par le fait qu’ils prendront conscience de leurs intérêts de classe, se poseront dès que possible en parti indépendant et ne se laisseront pas un instant détourner – par les phrases hypocrites des petits bourgeois démocratiques – de l’organisation autonome du parti du prolétariat. Leur cri de guerre doit être : La révolution en permanence ! »

Le léninisme contre la LCI sur le nationalisme : révolution permanente contre indignation libérale

Dans la plupart des pays du monde, une question centrale de la révolution est de surmonter les divisions nationales. Cette question est particulièrement complexe dans les pays au développement retardataire, où la nation dominante (ou le groupe ethnique ou religieux dominant), tout en étant opprimée par l’impérialisme, est également l’oppresseur de nations minoritaires. C’est le cas de l’Inde, de l’Iran et de la Türkiye, pour n’en citer que quelques-uns. Le passage suivant, tiré d’un article sur le Proche-Orient, illustre notre ancienne approche de la question :

« N’oublions pas que les Arabes palestiniens sont victimes du nationalisme de l’opprimé devenu oppresseur. Au Birundi [sic], si le coup d’État des Hutus contre la minorité dirigeante des Tutis [sic] avait réussi, le tribalisme de l’opprimé se serait transformé en nationalisme génocidaire de l’oppresseur. Tout nationalisme est réactionnaire, car le succès du nationalisme équivaut au génocide. »

– « Nationalisme meurtrier et trahison stalinienne au Proche-Orient », Workers Vanguard no 12, octobre 1972

Cela revient à dire que le nationalisme de la nation dominante dans les pays opprimés n’a pas la moindre contradiction. Le génocide des Tutsis en 1994 au Rwanda, c’est la réalité du nationalisme hutu. Pourtant, le nationalisme hutu n’est fondamentalement pas la même chose que le nationalisme américain ou français : il est le produit du viol impérialiste belge, puis français et maintenant américain de la région. Il est en partie une réponse réactionnaire à cette réalité. Le conflit entre les Hutus et les Tutsis ne peut être correctement abordé, ni résolu, si on ne comprend pas cela.

C’est cette même approche qui sous-tendait notre intervention sur la révolution iranienne de 1979, où nous avions tracé un trait d’égalité entre l’opposition au shah dirigée par les mollahs, et Hitler et le Ku Klux Klan !

« Toutes les forces de l’opposition à la monarchie dans la société iranienne, y compris le prolétariat organisé et la gauche, se sont ralliées à Khomeiny. Mais le noyau central du mouvement de Khomeiny était constitué par les mullahs (le clergé chiite musulman fort de 180 000 hommes) et les commerçants du Bazar, classe marchande traditionnelle dont les bases étaient menacées par la modernisation du pays. Cette classe sociale traditionnelle est condamnée par le progrès économique et a donc naturellement tendance à adhérer à une idéologie réactionnaire et à ses expressions politiques.

« Il est impensable pour des opportunistes qu’il puisse y avoir des mobilisations de masse réactionnaires contre un régime réactionnaire. L’histoire donne pourtant des exemples de mouvements réactionnaires de masse. Il est indiscutable qu’Adolf Hitler organisa un mouvement de masse qui fit tomber la République de Weimar. Aux USA, dans les années 20, le Ku Klux Klan était une organisation active, se développant et capable de mobiliser des dizaines de milliers de militants dans les rues. »

– « L’Iran et la gauche : Pourquoi ils ont soutenu la réaction islamique », Le Bolchévik no 12, mai-juin 1979

Les mollahs sont effectivement des réactionnaires : le régime islamique en Iran est anti-femmes, anti-sunnites et contre les droits nationaux de tous les peuples non persans à l’intérieur des frontières de l’Iran. Cependant, les mollahs étaient une réponse réactionnaire au pillage impérialiste de l’Iran que facilitait la monarchie des Pahlavi. Il était impossible de saper l’attrait populaire des mollahs sans reconnaître cette réalité. Notre propagande impliquait d’intervenir parmi les participants au soulèvement de 1979 en expliquant à ceux qui se faisaient des illusions sur sa direction islamiste qu’ils suivaient un mouvement de type hitlérien !

Tout notre cadre d’analyse niait le fait que la lutte des masses persanes pour se libérer de l’étau impérialiste était progressiste. Notre tâche était d’expliquer que tant qu’elle restait sous l’emprise des mollahs, elle serait nécessairement dirigée contre les minorités nationales (ou autres) et conduirait à leur persécution, et qu’en même temps elle saperait la libération de la majorité persane elle-même. La seule façon de briser l’emprise des mollahs était de montrer concrètement comment leur direction constituait un obstacle aux aspirations légitimes et progressistes des masses à se libérer du shah et de l’impérialisme.

Le passage suivant d’Engels, bien qu’il se rapporte à l’oppression de la Pologne par l’Allemagne, s’applique pleinement à des pays comme l’Iran qui sont à la fois opprimés et oppresseurs :

« Nous autres démocrates allemands, nous sommes particulièrement intéressés à la libération de la Pologne. Ce furent les princes allemands qui tirèrent avantage du partage de la Pologne, ce sont des soldats allemands qui oppriment aujourd’hui encore la Galicie et la Posnanie. Nous autres Allemands, et nous autres démocrates allemands plus encore, nous devons avoir à cœur d’effacer cette tache de notre nation. Une nation ne peut pas devenir libre tout en continuant d’opprimer d’autres nations. La libération de l’Allemagne ne peut donc pas être réalisée sans que l’on libère la Pologne de l’oppression allemande. C’est pourquoi la Pologne et l’Allemagne ont un intérêt commun, et c’est pourquoi les démocrates polonais et allemands peuvent collaborer à l’émancipation des deux nations. »

– « Discours sur le parti chartiste, l’Allemagne et la Pologne », 9 décembre 1847

Dans le cas de pays comme l’Iran ou l’Inde, leur libération du joug impérialiste est impossible tant que les nationalités et peuples minoritaires qui en font partie continuent à être opprimés par la nation dominante. Cette dernière est « particulièrement intéressée » à la libération des minorités opprimées et doit devenir leur défenseur le plus conséquent, car sans cela leur libération ne peut faire le moindre pas. Pourquoi ? Comme c’est l’impérialisme qui est responsable de l’état de dénuement des masses, et que c’est l’impérialisme qui a créé ces divisions sans nombre, enfermant des nations et des peuples dans des frontières arbitraires, les travailleurs doivent s’unir pour s’opposer à l’impérialisme lui-même. Il est dans l’intérêt objectif des ouvriers et des paysans persans, qui triment dans un pays étouffé par les sanctions impérialistes, de défendre la libération de leurs frères et sœurs kurdes, baloutches et azéris dans le cadre de leur propre lutte de libération. Cela comprend la défense de leur droit à l’autodétermination, c’est-à-dire à la sécession.

Plus les révolutionnaires du peuple dominant (comme les Turcs en Türkiye ou les Perses en Iran) défendront les droits nationaux des peuples opprimés dans leur pays respectif, mieux ils pourront faire échec aux machinations des impérialistes pour diviser et mieux régner. Cela mettrait des bâtons dans les roues des États-Unis qui manœuvrent pour transformer les opprimés en supplétifs des impérialistes, comme dans le cas des Kurdes de Syrie.

Tout cela était totalement étranger à notre perspective, qui faisait disparaître le fait que l’oppression impérialiste attise le nationalisme. Par exemple, dans notre travail sur le Sri Lanka, nous avons rejeté toutes les mesures prises par le régime du Sri Lanka Freedom Party (SLFP) sous Bandaranaike, en disant qu’elles étaient motivées par le chauvinisme antitamoul ou qu’elles étaient insignifiantes, et en niant que certaines d’entre elles étaient des affirmations de souveraineté nationale contre l’impérialisme. Nous écrivions dans une polémique contre le soutien de la bureaucratie chinoise au régime de Bandaranaike :

« Les Chinois en sont réduits à décrire la déclaration de la République du Sri Lanka, qui est elle-même un appel explicite et démagogique au chauvinisme cinghalais, comme “une victoire significative remportée par son peuple dans sa longue lutte contre l’impérialisme et pour la sauvegarde de l’indépendance nationale” » (souligné par nous).

– « Le “Front unique anti-impérialiste” à Ceylan », Young Spartacus no 19, septembre-octobre 1973

Il ne fait aucun doute que le régime de Bandaranaike attisait le chauvinisme antitamoul. Mais, partant de cette constatation correcte, nous avons combattu le nationalisme cinghalais sans reconnaître que c’était, à sa manière violente et réactionnaire, une réponse à la domination britannique sur l’île. Cela nous a conduits à rejeter la proclamation même de la république du Sri Lanka qui coupait les liens avec la monarchie britannique !

Dans le cas du Sri Lanka, toute défense des Tamouls ne partant pas de l’opposition à l’impérialisme reflétera forcément une perspective libérale impérialiste. C’est le schéma que les impérialistes utilisent partout : ils exploitent les souffrances des minorités pour promouvoir leurs propres intérêts en balayant sous le tapis le fait que tout cet état de choses résulte de leur domination. Ce n’est pas différent au Sri Lanka. Avec la perspective que nous avions, un petit noyau cherchant à forger un parti révolutionnaire n’aurait aucune chance de trouver un point d’ancrage parmi les travailleurs de la nation dominante et il ne pourrait que renforcer l’emprise des nationalistes sur eux. Et dans la mesure où il ferait appel aux Tamouls opprimés, ce ne serait pas dans leur intérêt puisqu’il n’aiderait pas à surmonter les antagonismes nationaux ni à faire avancer la lutte commune contre l’oppresseur tant des Tamouls que des Cinghalais : l’impérialisme. Autrement dit, il s’agirait – et en effet c’était le cas – d’un programme libéral impérialiste pour les Tamouls (indignation contre leur oppression) et d’un programme libéral impérialiste pour les Cinghalais (traitez mieux les Tamouls !).

Dans les pays opprimés, le chauvinisme de la nation dominante vis-à-vis des minorités résulte en partie de l’affaiblissement de cette nation face au pillage impérialiste. Plus on freine la lutte contre l’impérialisme, plus la nation dominante se retourne contre les minorités du pays, qu’elles soient nationales, religieuses ou autres. C’est dû, au fond, à la réalité matérielle des pays néocoloniaux sous la botte de l’impérialisme : si le développement matériel ne se fait pas aux dépens des impérialistes, il doit se faire aux dépens des travailleurs et des minorités opprimées au sein de la néocolonie. La bourgeoisie nationale est en mesure de détourner la colère contre la situation misérable et le sous-développement en jouant sur les sentiments nationaux et religieux de certains groupes pour maintenir le pays divisé. À l’inverse, plus les peuples d’un pays opprimé s’opposent à l’impérialisme, leur oppresseur commun, plus ils sont unis, plus le chauvinisme du groupe dominant s’affaiblit.

L’ennemi principal, c’est l’impérialisme

La tendance spartaciste cherchait à combattre le nationalisme bourgeois en soutenant que l’ennemi principal des travailleurs et des opprimés dans les néocolonies et les nations opprimées était la bourgeoisie nationale. Concernant le Mexique, qui est directement sous la botte de l’impérialisme américain et dont la vie interne est définie à tous égards par cette oppression, nous écrivions : « Nous, les spartacistes, insistons sur le fait qu’au Mexique, l’ennemi principal est dans notre propre pays : c’est la bourgeoisie mexicaine, les larbins de l’impérialisme » (« Mexique : l’homme de l’ALENA vise les travailleurs », Workers Vanguard no 748, 15 décembre 2000). Dans un article sur l’Irlande du Nord intitulé stupidement « Pas vert contre orange mais classe contre classe ! » (Workers Vanguard no 7, avril 1972), nous expliquions :

« Tous les capitalistes sont les ennemis de tous les travailleurs partout dans le monde, mais c’est contre leur propre bourgeoisie que les travailleurs d’une nation donnée doivent toujours diriger leur principal combat – c’est seulement ainsi qu’ils offrent à leurs frères de classe à l’étranger une promesse sérieuse de leur internationalisme, à savoir qu’ils ne se tiennent pas aux côtés de leurs propres capitalistes contre les travailleurs d’autres pays en masquant leur position avec des phrases sur la lutte de classe. »

En partant de « l’indépendance de classe », cet argument borné nie que dans les pays néocoloniaux l’ennemi principal est l’impérialisme et non la faible bourgeoisie nationale qui, comme nous le faisions remarquer nous-mêmes, est réduite au rôle de simple larbin. Les nationalistes et les divers groupes de gauche utilisent cette vérité pour justifier leur soutien à la bourgeoisie nationale. Mais de mettre un signe négatif là où les nationalistes en mettent un positif ne fait rien pour combattre l’influence du nationalisme sur les masses. Au contraire, cette approche ne peut que discréditer les communistes aux yeux des ouvriers et des paysans et renforcer les nationalistes comme s’ils étaient les seuls représentants des aspirations nationales des masses contre la domination étrangère. C’est tout simplement capituler devant l’impérialisme.

Ces dernières décennies, la LCI s’est abstenue d’utiliser le mot d’ordre « l’ennemi principal est dans notre propre pays » pour le Mexique. Au début des années 2000, le camarade Jim Robertson avait dit que nous devions cesser d’utiliser ce mot d’ordre pour le Mexique, étant donné le pillage effréné du pays par les États-Unis. Cependant, l’essence de ce mot d’ordre est toujours restée le principe guidant notre travail au Mexique. Par exemple, peu après cette intervention, le camarade Ed C. avait soutenu qu’au Mexique notre tâche consistait à « diriger la nation dans la lutte contre la domination impérialiste ». Il fut vivement dénoncé dans une résolution de la direction de notre section américaine :

« En ce qui concerne le Mexique, un parti ouvrier qui n’est pas guidé par une perspective révolutionnaire, internationaliste et prolétarienne, mais qui, au contraire, se donne pour tâche principale de “diriger la nation dans la lutte contre la domination impérialiste” serait un parti qui abandonne son programme prolétarien – c’est-à-dire qu’il serait au moins tacitement menchévique. Il n’y aurait aucune raison pour qu’un tel parti maintienne son indépendance de classe. »

Il ne s’agit pas seulement d’un reniement total de la révolution permanente mais d’une forme inversée de stalinisme ; celui-ci invoquait la lutte contre l’impérialisme pour subordonner le prolétariat à une alliance avec la bourgeoisie. La résolution ci-dessus renonce purement et simplement à la lutte contre l’impérialisme au nom de l’indépendance de classe. Qu’il s’agisse du stalinisme ou du Bureau politique de la SL/U.S., le résultat est le même : la lutte contre l’impérialisme reste entre les mains des nationalistes bourgeois. Notre conférence affirme que « diriger la nation dans la lutte contre la domination impérialiste » est bien la tâche des communistes dans les néocolonies.

Le développement national des nations opprimées est historiquement progressiste

Le développement de l’État-nation en Europe entre le XVIIe et le XIXe siècle a joué un rôle progressiste en balayant les structures féodales et en consolidant le capitalisme. Mais à l’ère de l’impérialisme, le capital a dépassé les frontières de l’État-nation. L’impérialisme signifie l’extension et l’intensification de l’oppression nationale sur une nouvelle base historique. Par conséquent, si le caractère progressiste des mouvements nationaux dans les puissances impérialistes appartient au passé, dans les nations opprimées par contre, les mouvements nationaux ainsi que le développement et la consolidation de l’État-nation jouent encore un rôle historique progressiste dans la mesure où ils sont dirigés contre le joug impérialiste.

Contrairement à cette vérité marxiste élémentaire, la tendance spartaciste soutenait que la consolidation et l’unification nationales étaient désormais réactionnaires partout. C’était l’un des piliers politiques de notre section sud-africaine et l’un des points centraux de Polemics on the South African Left [Polémiques sur la gauche sud-africaine], l’un de ses documents fondateurs. En polémiquant contre les nationalistes noirs, nous argumentions que, si l’assimilation nationale avait effectivement été un phénomène progressiste en Europe entre le XVIIe et le XIXe siècle,

« Cependant, en Afrique et en Asie aujourd’hui, les bourgeoisies autochtones faibles, dépendantes et enchaînées par l’impérialisme, ne peuvent pas transformer ces États néocoloniaux en sociétés industrielles modernes. C’est pourquoi la “construction de la nation” [nation-building] devient synonyme d’oppression des groupes nationaux et ethniques par le peuple dominant. »

– « Lettre au New Unity Movement » [Nouveau mouvement unitaire] », 28 février 1994

L’Afrique du Sud est un pays brutalement opprimé par l’impérialisme, où une clique minuscule de capitalistes blancs domine les masses noires qui furent divisées de force en bantoustans, des territoires créés par le gouvernement d’apartheid pour ségréger les Africains noirs selon leur appartenance ethnique. Comme dans le reste du continent, les frontières de l’Afrique du Sud ont été tracées artificiellement par les oppresseurs coloniaux qui ont ensuite conçu un système rigide de ségrégation afin de contrôler la main-d’œuvre noire surexploitée. Il était tout simplement réactionnaire de s’opposer aux aspirations des peuples africains noirs à construire la nation et à l’unité contre leur division forcée, et cela nous plaçait du côté du véritable « peuple dominant » : la bourgeoisie blanche sud-africaine soutenue par les impérialistes. La clé pour forger un parti révolutionnaire en Afrique du Sud est précisément de se battre pour que ce soient des communistes qui dirigent la lutte pour l’édification de la nation (nation-building) contre l’oppression impérialiste, en montrant comment les nationalistes noirs constituent un obstacle sur cette voie.

Au Mexique, la section de la LCI, le Grupo Espartaquista de México (GEM), a cherché à combattre les illusions très répandues dans Cárdenas et le populisme en dénonçant tout simplement Cárdenas. Nous l’avons attaqué parce que « son intention était de moderniser le pays au profit de la bourgeoisie mexicaine » et parce que son héritage « était la consolidation du régime bourgeois mexicain » (« Mexique : l’homme de l’ALENA vise les travailleurs »). Le développement national du Mexique contre la domination impérialiste, même sous un régime bourgeois, est en fait hautement progressiste. Nier cela c’est faire aveu de faillite, comme le montre d’évidence notre propre article. Nous écrivions :

« La fameuse “éducation socialiste”, institutionnalisée dans la Constitution deux mois avant l’entrée en fonction de Cárdenas, n’avait d’autre objectif que d’élever le niveau d’éducation des pauvres et des travailleurs pour les rendre plus aptes au travail salarié et plus productifs pour la bourgeoisie. »

Des millions d’ouvriers et de paysans ont appris à lire et à écrire grâce à cette réforme. Il est grotesque d’imaginer qu’ils allaient perdre leurs illusions dans Cárdenas parce que nous faisions remarquer que ce n’était qu’un stratagème pour les rendre « aptes au travail salarié ». La seule réforme de Cárdenas que nous ne pouvions pas dénoncer était la nationalisation du pétrole et des chemins de fer parce que Trotsky l’avait saluée. Nous avons également prétendu que la Révolution mexicaine n’avait été que réaction débridée et que même l’indépendance du Mexique vis-à-vis de l’Espagne « avait une odeur distinctive de contre-révolution » (cité dans Le Bolchévik no 233, juin 2023 ; voir les documents de la conférence du GEM qui développent davantage cette question dans El Antiimperialista no 1, mai 2023).

Les marxistes soutiennent et luttent pour le développement national des nations opprimées. Cela inclut la consolidation de l’unité nationale dans la mesure où elle est dirigée contre l’impérialisme. Nier la nature progressiste du développement national d’un pays opprimé sous prétexte que la bourgeoisie est une classe réactionnaire, c’est tout simplement capituler devant l’impérialisme. Pour contrer les nationalistes, les communistes doivent soutenir, tout en maintenant une totale indépendance de classe, toute mesure progressiste allant dans le sens de la souveraineté et du développement des pays opprimés, et ils doivent chercher à mobiliser les masses de manière indépendante pour mettre en œuvre ces mesures. Le soulèvement des ouvriers et des paysans ne manquera pas de montrer au grand jour que des nationalistes comme Cárdenas, ou López Obrador aujourd’hui, sont en fait des ennemis de la libération nationale des néocolonies et que pour répondre aux aspirations des masses il faut absolument que ce soient des communistes qui dirigent la lutte anti-impérialiste.

Les trotskystes sont les meilleurs combattants pour la démocratie

L’un des exemples les plus flagrants où nous avons opposé la lutte pour le socialisme à celle pour la démocratie est la ligne adoptée par notre tendance en 2011, lorsque nous avons déclaré qu’il ne serait jamais correct d’appeler à une assemblée constituante (voir « Pourquoi nous rejetons l’appel à une “assemblée constituante” », Spartacist édition en français no 41, été 2013). Cette position a été adoptée dans la foulée du Printemps arabe, où des millions de personnes s’étaient révoltées contre des régimes dictatoriaux en place depuis des décennies, et où de nombreux groupes de gauche avaient appelé à la convocation d’assemblées constituantes sur une base opportuniste. De manière rigide et sectaire, nous avons cherché à compenser notre manque de perspective pour les masses arabes en dénonçant catégoriquement tout appel à une assemblée constituante et en lui opposant… la révolution socialiste.

Pour comprendre le révisionnisme profond de cette ligne, il faut comprendre ce qu’est l’appel à une assemblée constituante. Il s’agit d’un appel à un organe dont le but est de mettre en place une nouvelle constitution. Comme l’indiquait notre article, cela remonte à la Révolution française où l’Assemblée nationale avait résolu les tâches démocratiques centrales : abolition de la monarchie, abolition du féodalisme, redistribution des terres et élargissement du suffrage masculin. Il s’agit donc d’une revendication démocratique. Dans des pays à développement capitaliste retardataire sans démocratie formelle, où les masses sont privées de leurs droits et souffrent continuellement de régimes dictatoriaux ou bonapartistes, comme c’est le cas dans de vastes régions du Proche-Orient, d’Afrique et d’Amérique latine, cette revendication inspire des millions de personnes.

Néanmoins, nous l’avons rejetée en utilisant l’argument suivant :

« Contrairement à des revendications comme l’autodétermination nationale, l’égalité des femmes, la terre à celui qui la travaille, le suffrage universel ou l’opposition à la monarchie – qui toutes peuvent jouer un rôle crucial pour rallier les masses derrière les luttes du prolétariat – l’assemblée constituante n’est pas une revendication démocratique mais un appel à un nouveau gouvernement capitaliste. Étant donné le caractère réactionnaire de la bourgeoisie, dans le monde semi-colonial comme dans les États capitalistes avancés, il ne peut y avoir de parlement bourgeois révolutionnaire. C’est pourquoi appeler à une assemblée constituante va à l’encontre de la perspective de la révolution permanente. »

C’est là faire preuve de rationalisme bourgeois. Partant de la prémisse correcte que la bourgeoisie est une classe réactionnaire du point de vue de l’histoire mondiale, nous en avons déduit que l’assemblée constituante a systématiquement un caractère contre-révolutionnaire. C’est précisément en raison du caractère réactionnaire de la bourgeoisie que les communistes doivent prendre la tête de la lutte pour les aspirations démocratiques des masses afin de les faire aboutir. Tant que les masses se tournent vers le parlementarisme bourgeois et voient dans une assemblée constituante la possibilité de faire avancer leurs aspirations, le devoir des révolutionnaires est de se jeter dans la mêlée et de s’imposer comme les combattants les plus intransigeants pour la démocratie, tout en montrant aux masses la faillite du parlementarisme bourgeois et en expliquant qu’il faut un régime basé sur les soviets. Rejeter l’appel à une assemblée constituante, c’est laisser la révolution démocratique entre les mains de la bourgeoisie, qui utilisera les sentiments démocratiques des masses pour les subordonner à ses propres intérêts de classe. Comme l’explique le Programme de transition, le programme de la IVe Internationale :

« Il est impossible de rejeter purement et simplement le programme démocratique : il faut que les masses elles-mêmes dépassent ce programme dans la lutte. Le mot d’ordre de l’ASSEMBLÉE NATIONALE (ou CONSTITUANTE) conserve toute sa valeur dans des pays comme la Chine ou l’Inde. Il faut lier indissolublement ce mot d’ordre aux tâches de l’émancipation nationale et de la réforme agraire. Il faut, avant tout, armer les ouvriers de ce programme démocratique. Eux seuls peuvent soulever et rassembler les paysans. Sur la base du programme démocratique révolutionnaire, il faut opposer les ouvriers à la bourgeoisie “nationale”.

Mais les spartacistes voulaient aller directement aux soviets, oubliant au passage qu’il faut unir les ouvriers et les paysans et les opposer à la bourgeoisie nationale !

L’argument le plus fort contre ce rejet de l’appel à une assemblée constituante est la Révolution d’octobre 1917 elle-même. Selon la logique de notre argument, les bolchéviks auraient mené la première révolution ouvrière victorieuse de l’histoire malgré leur appel à la création d’un « nouveau gouvernement capitaliste ». Nous considérions la dissolution de l’assemblée constituante par les bolchéviks après l’instauration du pouvoir soviétique comme la « preuve » qu’ils n’auraient jamais dû appeler à sa convocation. En fait, l’appel à une assemblée constituante a joué un rôle central dans l’arrivée au pouvoir des bolchéviks. Ils ont utilisé cet appel pour mobiliser la paysannerie et dénoncer le Gouvernement provisoire qui n’arrêtait pas de retarder sa convocation. Il suffit de citer le premier point des « Thèses sur l’Assemblée constituante », rédigées par Lénine en décembre 1917 :

« Il était parfaitement légitime que la social-démocratie révolutionnaire inscrivît à son programme la convocation de l’Assemblée constituante, parce qu’elle est, en république bourgeoise, la forme supérieure de la démocratie, et parce que la république impérialiste dirigée par Kérenski, en créant le préparlement, préparait une falsification des élections et une série d’atteintes à la démocratie. »

Il faut être formaliste pour considérer que l’appel à une assemblée constituante s’oppose diamétralement aux soviets en tout temps et en tout lieu. L’appel à une assemblée constituante permet au contraire d’enfoncer un coin entre les masses et leurs dirigeants traîtres afin de les gagner à la perspective du pouvoir soviétique. Les bolchéviks n’ont dissous l’assemblée constituante qu’après l’établissement du pouvoir soviétique, c’est-à-dire au moment seulement où les masses avaient dépassé dans la lutte le programme démocratique et où l’assemblée était devenue un outil contre-révolutionnaire.

L’argument central de l’article de Spartacist concernant l’expérience de la Chine et l’appel à une assemblée constituante revient à une compilation de calomnies à différents degrés. Nous disons que les écrits de Trotsky entre 1928 et 1932 – lorsqu’il a de nouveau avancé le mot d’ordre d’une assemblée constituante – sont « confus et contradictoires », qu’il a lancé ce mot d’ordre de façon « mal avisée », qu’il s’est livré à des « spéculations » et qu’il « ne tient pas compte des nombreux exemples historiques où la bourgeoisie et ses agents réformistes se sont servis d’une assemblée élue comme d’un instrument contre le prolétariat insurgé ». Trotsky a lancé cet appel en Chine après la défaite de la Révolution de 1925-1927, contre la voie sectaire suivie par Staline et le Comintern. C’était un moyen crucial pour rétablir l’autorité du Parti communiste chinois parmi les masses laborieuses pendant la période de dictature militaire contre-révolutionnaire du Guomindang. Trotsky n’était pas « confus ». Ses écrits sur la question sont clairs comme de l’eau de roche. En fait notre ligne faisait écho à celle du Comintern de Staline en 1928, qui qualifiait cette revendication d’opportuniste et refusait de l’avancer.

Notre conférence réaffirme que l’appel à une assemblée constituante est conforme aux principes marxistes. Bien sûr, de nombreux réformistes abusent de cet appel en l’utilisant pour créer des illusions dans la démocratie bourgeoise. Cet appel pris isolément n’est pas révolutionnaire. Il doit être lancé en liaison avec un programme révolutionnaire abordant l’émancipation nationale et la question agraire d’une manière qui unisse les masses et les oppose à la bourgeoisie.

La question nationale et l’oppression stalinienne

La tendance spartaciste fut confrontée de plein fouet à la question nationale dans la lutte pour stopper la contre-révolution capitaliste dans le bloc soviétique, lorsque les impérialistes utilisèrent l’oppression des nations non russes par la bureaucratie de Moscou pour mobiliser toute une série de forces qui cherchaient à rétablir le capitalisme. La LCI s’est distinguée par sa défense inconditionnelle des États ouvriers dégénéré et déformés. Cependant, notre propre programme minait cette bataille dans la mesure où nous refusions de reconnaître que la lutte contre l’oppression nationale est une force motrice pour la révolution politique prolétarienne, laissant cette arme aux mains des impérialistes et de leurs agents sur le terrain. Le premier et le plus clair exemple de ce problème était la lutte dans les années 1980 contre le mouvement contre-révolutionnaire Solidarność en Pologne, qui était apparu et avait consolidé un soutien dans la classe ouvrière en grande partie parce que les masses ressentaient profondément l’oppression nationale imposée par la domination du Kremlin.

La Pologne avait subi des siècles d’oppression nationale lorsque l’armée soviétique entra dans le pays et créa d’en haut un État ouvrier en expropriant la bourgeoisie après la Deuxième Guerre mondiale. Ce bouleversement social fut pour les travailleurs polonais et soviétiques une victoire majeure qu’il fallait défendre inconditionnellement contre l’impérialisme et la contre-révolution. Cependant, tout comme en Allemagne de l’Est et dans toute l’Europe de l’Est, l’État ouvrier polonais était né déformé bureaucratiquement sous la domination de la bureaucratie stalinienne russe, qui perpétua l’oppression nationale de la Pologne dans de nouvelles conditions sociales. La raison à cela est à chercher au cœur même du programme stalinien du « socialisme dans un seul pays ». La révolution prolétarienne dans un pays donné, ou même dans plusieurs pays, ouvre la voie à une véritable égalité nationale et à l’assimilation des nations. Mais on ne peut y parvenir que si l’on construit et développe un système économique socialiste mondial qui triomphe enfin du problème de la pénurie. Les régimes staliniens, de Moscou à Beijing, sont opposés à la lutte pour la révolution mondiale, qui est le seul moyen d’atteindre ce stade ; ils défendent la position privilégiée de la nation dominante dans leur propre société.

Quand le régime stalinien fut étendu à l’Europe de l’Est après la guerre, ce furent désormais les « communistes » qui piétinaient les Polonais, les Hongrois et d’autres. Dès le départ, les trotskystes devaient placer la lutte pour les droits nationaux et la démocratie prolétarienne au centre de leur programme pour le pouvoir politique de la classe ouvrière afin de défendre les acquis de la révolution sociale et de les étendre à l’échelle internationale. Mais c’est précisément ce que la LCI a rejeté. Au lieu d’utiliser le sentiment existant d’oppression nationale pour motiver la nécessité d’une révolution politique, nous l’avons traité comme s’il était systématiquement contre-révolutionnaire, qualifiant toute expression de nationalisme par les opprimés d’antisémite, de clérical, d’anti-femmes, de pronazi, etc. Cette attitude était en contradiction flagrante avec les leçons de la Hongrie en 1956, où une révolution politique ouvrière s’était développée sous la forme d’un soulèvement national contre le stalinisme.

Le document de la Conférence internationale de 1992 résumait ainsi la perspective de la LCI à la lumière de la chute de l’Union soviétique : « L’effondrement de l’ordre stalinien pouvait conduire soit à une révolution politique prolétarienne, soit à une contre-révolution capitaliste, et ce en fonction de la conscience politique du moment de la classe ouvrière – la force relative des aspirations socialistes par opposition aux illusions démocratiques bourgeoises et au nationalisme antisoviétique » (Spartacist édition en français no 27, été 1993). Cette déclaration prenait une vérité essentielle pour ensuite établir une opposition complète entre la conscience socialiste et les aspirations nationales et démocratiques. Lorsque les contre-révolutionnaires polonais tentèrent de prendre le pouvoir en 1981, la tendance spartaciste eut raison d’appeler à « stopper la contre-révolution de Solidarność ! » La question était de savoir comment le faire.

Ce qu’il fallait c’était fusionner les aspirations socialistes des travailleurs et la défense de leurs droits nationaux contre les nationalistes contre-révolutionnaires et les staliniens. Pour arracher les travailleurs à Solidarność, les trotskystes devaient expliquer que son programme les conduirait tout droit à la servitude impérialiste, aggraverait leur oppression nationale, détruirait les acquis sociaux résultant du renversement du capitalisme et anéantirait également la perspective d’unir les travailleurs polonais et russes dans une lutte commune contre la tyrannie stalinienne. Les trotskystes devaient lui opposer un programme révolutionnaire internationaliste liant l’appel à une république ouvrière polonaise indépendante à des revendications pour chasser Jaruzelski et les bureaucrates du Kremlin et pour unir les travailleurs polonais et soviétiques dans la lutte contre l’impérialisme.

En refusant de s’engager dans la lutte contre l’oppression nationale, la tendance spartaciste a été incapable de proposer une telle perspective de défense révolutionnaire. Tout ce qu’elle pouvait offrir aux masses qu’indignait la domination de Moscou, c’était de vains appels à « l’unité historique » des travailleurs polonais et russes, tout en déléguant à la caste bureaucratique ossifiée du Kremlin la défense de l’État ouvrier. Quand les régimes staliniens polonais et soviétique passèrent à l’action pour stopper Solidarność, la tendance spartaciste mit cul par-dessus tête le défensisme trotskyste en déclarant :

« Si les staliniens du Kremlin, à leur manière nécessairement brutale et stupide, interviennent militairement pour l’arrêter, nous soutiendrons cette action. Et nous en prenons à l’avance la responsabilité ; quelles que soient les stupidités et atrocités qu’ils commettront, nous ne flancherons pas devant la nécessité de défendre l’écrasement de la contre-révolution de Solidarité. »

– « Halte à la contre-révolution en Pologne ! », Spartacist en français no 18-19, hiver 1981-1982

Il s’agissait là d’une déclaration de soutien politique à la bureaucratie stalinienne allant totalement à l’encontre d’une mobilisation des travailleurs en URSS et en Pologne pour arracher le pouvoir politique aux staliniens, dont tout le programme sapait la défense des deux États ouvriers.

En guise de justification « théorique » pour sa capitulation devant le stalinisme sur la question nationale, la LCI a déclaré de façon répétée que l’autodétermination et autres questions démocratiques étaient subordonnées à la défense des États ouvriers, une « question de classe ». Certes, il existe de nombreux exemples historiques où des forces soutenues par l’impérialisme ont brandi l’étendard national-démocratique pour servir de point de ralliement à la contre-révolution, comme le firent les menchéviks en Géorgie pendant la Guerre civile russe. Dans de tels cas, la défense de l’État ouvrier est la première nécessité du moment, même si cela n’efface pas la réalité de l’oppression nationale ni la nécessité de la combattre. Cependant, la LCI a abusé de tels exemples pour rejeter catégoriquement la lutte pour les droits démocratiques et nationaux dans les États ouvriers. C’était contredire de façon flagrante la lutte de Lénine pour éliminer toute trace de chauvinisme grand-russe dans l’État ouvrier soviétique. C’est sur la Géorgie, peu après la défaite des menchéviks, que Lénine mena son « dernier combat », contre Staline et ses acolytes qui piétinaient avec brutalité les griefs profondément ancrés des Géorgiens vis-à-vis de l’oppression russe. Comme s’il polémiquait contre la LCI, Lénine écrivit :

« Il faut distinguer entre le nationalisme de la nation qui opprime et celui de la nation opprimée, entre le nationalisme d’une grande nation et celui d’une petite nation. […]

« Le Géorgien [une référence à Staline et Ordjonikidzé] qui considère avec dédain ce côté de l’affaire, qui lance dédaigneusement des accusations de “social-nationalisme” (alors qu’il est lui-même non seulement un vrai, un authentique “social-national”, mais encore un brutal argousin grand-russe), ce Géorgien-là porte en réalité atteinte à la solidarité prolétarienne de classe, car il n’est rien qui en retarde le développement et la consolidation comme l’injustice nationale ; il n’est rien qui soit plus sensible aux nationaux “offensés” que le sentiment d’égalité et la violation de cette égalité, fût-ce par négligence ou plaisanterie, par leurs camarades prolétaires. Voilà pourquoi, dans le cas considéré, il vaut mieux forcer la note dans le sens de l’esprit d’accommodement et de la douceur à l’égard des minorités nationales que faire l’inverse. Voilà pourquoi, dans le cas considéré, l’intérêt fondamental de la solidarité prolétarienne, et donc de la lutte de classe prolétarienne, exige que nous n’observions jamais une attitude purement formelle envers la question nationale, mais que nous tenions toujours compte de la différence obligatoire dans le comportement du prolétaire d’une nation opprimée (ou petite) envers la nation qui opprime (ou grande). »

– « La question des nationalités ou de l’“autonomie” », décembre 1922

À l’opposé du combat de Lénine, la leçon que la LCI a tirée de la contre-révolution a été de redoubler de condamnations à l’égard de toute expression de sentiment national dans les États ouvriers en traitant ces sentiments de contre-révolutionnaires. C’est dans ce contexte que le Comité exécutif international (CEI) adopta en octobre 1993 un document répudiant l’appel de Trotsky à l’indépendance de l’Ukraine soviétique (voir « À propos de la prise de position de Trotsky en faveur d’une Ukraine soviétique indépendante », Spartacist édition en français no 28, hiver 1994-1995). Trotsky avait lancé cet appel urgent à l’approche de la Deuxième Guerre mondiale dans le but de canaliser les sentiments nationaux légitimes des masses ukrainiennes, victimes d’une oppression brutale sous la botte de Staline, vers à la fois une révolution politique en Union soviétique et une révolution socialiste dans les régions occidentales de l’Ukraine, alors sous domination capitaliste. Il exhortait explicitement les bolchéviks-léninistes (trotskystes) à soutenir cette cause essentielle pour défendre et étendre les acquis d’Octobre contre les hitlériens et autres partisans contre-révolutionnaires du nationalisme ukrainien.

La LCI ne l’entendait pas de cette oreille. Le document du CEI justifie notre rejet de l’appel de Trotsky de manière hypocrite, invoquant une évaluation empirique de la situation en 1939 différente de la sienne – par exemple, Trotsky « surestimait les sentiments antisoviétiques des masses ukrainiennes », tandis que les nationalistes ukrainiens pronazis « ne réussirent jamais à acquérir un soutien de masse ». La LCI falsifia également la position de Trotsky de manière flagrante en faisant entendre qu’il préconisait une révolution politique « nationalement limitée à l’Ukraine » alors qu’elle « aurait eu besoin dès les tout premiers instants de s’étendre, conduisant à un combat décisif contre la bureaucratie stalinienne dans toute l’URSS ». Mais c’était précisément pour promouvoir la révolution politique en URSS et la révolution socialiste à l’Ouest que Trotsky appelait à une Ukraine soviétique indépendante !

La partie finale du document montre clairement que l’objectif de nos arguments tendancieux était de nous opposer à toute revendication d’autodétermination dirigée contre l’oppression stalinienne. Nous faisions remarquer que les mouvements nationaux qui ont éclaté dans les dernières années de l’Union soviétique étaient « dès le début organisés, encouragés et dirigés par des forces ouvertement procapitalistes et pro-impérialistes » et que l’indépendance de ces pays était « universellement vue comme un moyen de réaliser la restauration du capitalisme et l’intégration dans l’ordre impérialiste occidental ». Mais c’est pour cette raison que les trotskystes avaient le devoir de mener une lutte communiste pour les droits nationaux des peuples d’Europe de l’Est et des républiques constitutives de l’Union soviétique, en encourageant les masses à rompre avec toutes les forces pro-impérialistes et à les gagner à un programme prolétarien internationaliste.

Il est capital que la LCI revienne sur sa répudiation de l’appel de Trotsky en faveur d’une Ukraine soviétique indépendante. Il ne s’agit pas seulement d’une rectification historique. En Chine, les impérialistes exploitent depuis longtemps l’oppression par le PCC, basée sur le chauvinisme han, des Tibétains, des Ouïgours et d’autres pour promouvoir le renversement de cet État ouvrier. L’approche programmatique de Trotsky est nécessaire et urgente pour intervenir afin de détourner des réactionnaires les griefs nationaux tibétains et ouïgours et de les canaliser dans le puissant courant de l’opposition prolétarienne au régime stalinien, en défendant le droit à l’autodétermination comme levier de la révolution politique pour défendre et étendre les acquis de la Révolution de 1949.

D’un autre côté, il ne suffit pas de simplement dénoncer les staliniens en les traitant de « nationalistes », comme le faisait souvent notre propagande dans le passé. Il faut montrer que seule une direction trotskyste peut unifier les populations majoritaires et minoritaires dans une lutte commune contre l’oppression nationale, le stalinisme, la contre-révolution et l’impérialisme. Les masses chinoises, tout comme celles des autres États ouvriers déformés qui subsistent, sont économiquement asservies et menacées militairement par l’impérialisme, et leur nationalisme constitue une réaction contre cette oppression. Dans ces sociétés, les staliniens se présentent comme les défenseurs de la nation contre l’impérialisme. Mais, bien que la création d’États ouvriers ait constitué un pas en avant qualitatif pour jeter les bases d’une véritable libération nationale, celle-ci est entravée à chaque étape par les bureaucraties staliniennes qui tablent sur la « coexistence pacifique » avec l’impérialisme. Bref, le stalinisme n’est pas un programme pour la libération nationale.


Au milieu des années 1970, Edmund Samarakkody du Parti ouvrier révolutionnaire (RWP) du Sri Lanka remit en cause le programme de la tendance spartaciste sur la question nationale et l’impérialisme. Samarakkody écrivit des lettres substantielles qui identifiaient correctement des lacunes cruciales de notre programme et soulignaient notre refus de distinguer entre les nations opprimées et les nations oppressives, notre « perception unilatérale d’une identité d’intérêts entre les impérialistes et la bourgeoisie nationale » et notre refus de reconnaître que l’impérialisme est « l’ennemi principal de la classe ouvrière mondiale ». Sa lettre de 1975 expliquait :

« À partir de la position léniniste-trotskyste correcte selon laquelle la bourgeoisie nationale est un agent de l’impérialisme, la Spartacist League tire la conclusion erronée qu’il n’y a pas de contradiction entre la bourgeoisie nationale, ou les dirigeants féodaux-capitalistes, et les impérialistes. Ainsi, la SL conclut que l’agent de l’impérialisme dans un pays opprimé – la bourgeoisie nationale – c’est l’impérialisme lui-même et que dans les pays coloniaux et semi-coloniaux, il n’y a que la lutte anticapitaliste et il n’y a pas de lutte anti-impérialiste. »

– « Question nationale : divergences RWP-SL/U.S. », 31 octobre 1975, International Discussion Bulletin no 7, mars 1977

Les conclusions politiques qu’en tirait Samarakkody sur l’Irlande, Israël, Chypre ou le Québec étaient erronées et nous avions d’autres désaccords avec le RWP. Néanmoins, il avait fondamentalement raison dans sa critique de notre méthode sur cette question. Sa remise en cause était l’occasion pour la tendance spartaciste de se réorienter radicalement, mais au lieu de cela nous avons persisté et signé dans notre démarche révisionniste, ce qui nous a privés d’une fusion potentielle avec ce groupe et nous a coupés du monde néocolonial lui-même.

Ce n’est qu’avec la lutte sur la question nationale en 2017 que ce cadre a été attaqué pour la première fois (voir Spartacist édition en français no 43, été 2017). Cette lutte a renversé des décennies de propagande chauvine au Québec et ailleurs, et pour la première fois nous avons mis en avant la notion cruciale que la lutte pour la libération nationale est une force motrice pour la révolution. Mais le contenu politique de la lutte de 2017 était fondamentalement défectueux. Premièrement, elle était façonnée par l’illusion que Jim Robertson, le dirigeant historique de notre tendance, avait une approche correcte de la question nationale et nous avons de ce fait maintenu de nombreuses positions contraires à la révolution permanente. Deuxièmement, on ne peut parler de « léninisme sur la question nationale » sans mettre en avant la nécessité d’une direction communiste de la lutte pour la libération nationale. Et comme cette question n’a joué aucun rôle dans la bataille de 2017, l’ancien programme fut simplement remplacé par une variante du libéralisme plus favorable aux nations opprimées. Enfin, et surtout, les discussions qui avaient secoué le parti pendant plus de six mois étaient totalement déconnectées de tout ce qui se passait dans le monde à l’époque. La Septième Conférence internationale de la LCI n’a donc rien fait pour guider le parti dans ses interventions dans le monde.

La révision de la révolution permanente par la tendance spartaciste a entravé tout notre travail en direction des pays opprimés. Si nous avons revu et corrigé une si grande partie de notre histoire, c’est parce que c’est une condition nécessaire à la lutte pour forger une direction révolutionnaire dans la plus grande partie du monde. Nous nous débarrassons de notre lame sectaire émoussée et la remplaçons par le programme tranchant du léninisme. Il s’agit maintenant de le manier. Trotsky mettait en garde :

« On peut cependant considérer ceci comme une loi : l’organisation “révolutionnaire” qui, dans notre époque impérialiste, n’est pas capable d’étendre ses racines dans les colonies est vouée à végéter misérablement. »

– « Une leçon toute fraîche », octobre 1938