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https://iclfi.org/pubs/lb/240/iran-gauche

L’article ci-dessous a été publié originellement en anglais le 1er juillet comme supplément de Spartacist.

Depuis le 7 octobre 2023, Israël est à l’offensive pour écraser les Palestiniens et paralyser toute résistance dans la région au génocide sioniste. En attaquant l’Iran, Nétanyahou s’en est pris au principal contre-poids à Israël. L’Iran est une épine dans le pied de l’impérialisme américain depuis longtemps. En se joignant aux bombardements, les États-Unis ont mis tout leur poids militaire derrière l’attaque de leur pitbull israélien. L’agression américaine visait non seulement à renforcer la mainmise des États-Unis sur le Moyen-Orient, mais aussi, au moment où l’empire américain est en déclin, à envoyer un message au reste du monde : toute résistance sera écrasée par la force.

De la part d’Israël et des États-Unis, c’était une guerre d’agression réactionnaire, un prolongement de l’offensive meurtrière de Nétanyahou contre Gaza ; elle a pour objectif de donner le champ libre dans la région aux bouchers sionistes et de désarmer et réduire à l’impuissance l’Iran face aux impérialistes. L’Iran, de son côté, ne se battait pas pour opprimer qui que ce soit. Il a mené une guerre juste et nécessaire pour défendre le pays contre l’attaque des puissances oppressives qui dominent la région. Une victoire de l’Iran aurait enrayé le massacre des Palestiniens par Israël et desserré l’étau des États-Unis et d’Israël sur le Moyen-Orient. Elle aurait été un formidable encouragement aux luttes des opprimés dans le monde entier, et notamment à celles des travailleurs aux États-Unis.

Un cessez-le-feu instable est maintenant en vigueur ; les deux camps revendiquent la victoire et aucun des conflits sous-jacents n’est résolu. Il semble qu’Israël ait infligé davantage de dommages à l’Iran, mais sans réussir à éliminer l’Iran comme puissance régionale. Les États-Unis ont fait une démonstration de force, cherchant à obliger l’Iran à accepter un accord de paix humiliant qui désarmerait le pays et discréditerait le régime. Mais l’Iran n’a pas capitulé. Il a infligé des dommages à Israël mais n’a pas modifié le rapport des forces dans la région. La situation est bloquée.

Une chose est claire : nulle part dans le monde le mouvement ouvrier n’a été un facteur dans ce conflit. Il est significatif que l’opposition venant du mouvement trumpiste « MAGA » ait pesé davantage. En Israël et aux États-Unis, soit les directions syndicales ont soutenu la guerre menée par leur gouvernement, soit elles n’ont rien dit. Le peu d’opposition qui s’est manifestée dans différents pays était dominée par le pacifisme. C’est un vrai signe de faiblesse que le mouvement ouvrier soit resté aux abonnés absents alors que les impérialistes américains partaient en guerre.

Dans ces circonstances, qu’auraient dû faire les marxistes pour faire avancer la cause de la révolution ? Il fallait se battre pour que la classe ouvrière joue un rôle. En premier lieu, cela voulait dire prendre une position correcte sur la guerre. Le marxisme révolutionnaire a toujours pris le côté des nations opprimées contre les grandes puissances prédatrices. Dans cette guerre, se prononcer pour la victoire de l’Iran et la défaite des États-Unis et d’Israël était évidemment le point de départ incontournable, y compris en défendant le droit de l’Iran à l’arme nucléaire, une mesure élémentaire d’autodéfense pour les pays opprimés. Mais il fallait aussi lutter pour que la classe ouvrière se mobilise de façon indépendante, contre l’illusion que les BRICS, le régime iranien ou toute autre force capitaliste allait combattre l’impérialisme.

Dans son écrasante majorité, la gauche marxiste a raté l’épreuve. Certaines tendances, comme l’Alternative socialiste internationale (ASI), ont directement capitulé devant l’impérialisme en tirant un trait d’égalité entre les États-Unis et leur victime. D’autres, comme la Tendance communiste internationale, sont arrivées à la même conclusion avec l’argument gauchiste qu’on ne peut pas prendre le côté d’un État bourgeois, niant ainsi la distinction fondamentale entre nations opprimées et nations oppressives. La plupart des groupes marxistes n’ont pas été ouvertement sociaux-chauvins : ils se sont opposés à la guerre et ont dénoncé Israël et les États-Unis, mais ils ont quand même refusé de défendre l’Iran. Certaines organisations se sont rangées du côté de l’Iran, mais en soutenant aussi son régime réactionnaire.

Au niveau international, seules quelques tendances ont adopté une position juste pour une défense lutte de classe de l’Iran. Mais la plupart l’ont fait seulement sur le papier. Pour faire en sorte que la classe ouvrière devienne un facteur dans la situation actuelle, il ne suffisait pas d’adopter une position formellement orthodoxe. Il était nécessaire de se battre pour que le mouvement ouvrier passe à l’action sur la base de cette position.

Les tâches des marxistes en Iran

Le principal argument avancé dans la gauche internationale pour refuser de défendre l’Iran dans cette guerre était de dire que le régime opprime de façon brutale sa population. Bien sûr c’est vrai. D’abord et avant tout, c’est un problème pour la gauche iranienne, qui pouvait faire deux erreurs et a fait soit l’une soit l’autre. La première est de refuser de défendre l’Iran dans cette guerre parce que le régime est réactionnaire et oppressif et qu’une victoire le renforcerait. C’est cette erreur qu’ont faite les communistes du groupe Manjanigh. Une défaite de l’Iran face aux États-Unis et à Israël ne serait pas juste une défaite pour le régime mais aussi un coup ayant des conséquences catastrophiques pour tous ceux qui vivent en Iran – il suffit de regarder ce que le changement de régime manigancé par les États-Unis a signifié en Irak, en Afghanistan, en Libye et en Syrie. Une victoire américano-sioniste rendrait beaucoup plus difficile toute lutte du mouvement ouvrier.

Est-ce qu’une victoire de l’Iran renforcerait le régime ? Cela dépend de la gauche marxiste elle-même. Ce qui renforce le plus le pouvoir iranien, c’est que la gauche reste les bras croisés sans rien faire quand le pays est attaqué – le régime des mollahs apparaît alors comme la seule force anti-impérialiste. Effectivement, si la gauche abandonnait son drapeau pour acclamer le régime, cela le renforcerait. Pour vraiment saper la popularité du régime, la gauche marxiste devait mettre en avant sa propre stratégie pour défendre le pays, en montrant à chaque étape combien le caractère réactionnaire du régime était un obstacle à cette défense.

L’autorité du régime iranien repose sur son opposition à l’impérialisme et sur sa posture de défenseur des chiites, une minorité opprimée dans l’ensemble de la région. Depuis 1979 et le renversement du shah, ce fantoche des États-Unis, le régime n’a cessé de contester les intérêts américains et sionistes. La vague d’unité nationale qui a submergé l’Iran après les attaques israéliennes et américaines montre que ce sentiment est profondément ancré. En refusant de se prononcer pour la défense de l’Iran, la gauche ne fait que s’isoler, et c’est à juste titre qu’elle s’attire le mépris des masses.

La faillite de cette position se révèle clairement quand la question est posée concrètement. Qu’est-ce que cela voudrait dire pour les travailleurs iraniens d’être contre la guerre ? Cela voudrait dire qu’ils devraient activement essayer de stopper les activités militaires du gouvernement, par exemple en stoppant la production et le transport des armes. Ce serait une réponse totalement réactionnaire. Cela ne ferait qu’aider les Israéliens et les Américains à dominer le pays. À l’inverse, aux États-Unis et en Israël, des actions ouvrières pour stopper les livraisons d’armes seraient des actions progressistes.

La deuxième erreur que fait la gauche iranienne, c’est d’abandonner son opposition au régime pendant la guerre. En fait, il est suicidaire de compter sur le régime pour défendre le pays, comme le montre ce qui s’est passé depuis le 7 Octobre. Téhéran n’a pas organisé d’opposition sérieuse aux dévastations israéliennes à Gaza et en Cisjordanie, ni à la décapitation du Hezbollah ni à l’invasion israélienne en Syrie. Cela a accru l’isolement de l’Iran et l’a affaibli face à l’attaque américaine et israélienne.

La nature réactionnaire du régime iranien sape et amoindrit son opposition à l’impérialisme. Comme sa base se trouve parmi les élites iraniennes, appeler les masses défavorisées à la lutte menacerait leurs privilèges matériels. Son communautarisme chiite est un repoussoir pour les femmes et les minorités religieuses, et son nationalisme perse en fait l’ennemi des peuples kurde, baloutche et azéri qui sont maintenus de force dans l’État iranien. Cela a poussé beaucoup de groupes kurdes ou féministes soit à soutenir Israël dans la guerre soit, comme le groupe Komala/Parti communiste d’Iran et l’organisation socialiste-féministe Frieda Afary, à refuser de défendre l’Iran contre cette attaque.

Dans le contexte actuel, les marxistes iraniens doivent se battre pour mobiliser les travailleurs et les paysans perses, les femmes et les minorités nationales et religieuses pour défendre le pays en se basant sur des mesures qui renforceront les opprimés. Toutes les mesures les plus efficaces pour défendre le pays nécessitent de lutter contre le régime. Défendre le droit des Kurdes et des autres minorités nationales à former des États séparés est la voie la plus sûre pour forger une alliance avec les combattants kurdes, baloutches et azéris qui sont profondément dévoués à la cause de la libération de leur peuple. Exiger la fin de la religion d’État et la liberté de ne pas porter le voile couperait l’herbe sous le pied des forces pro-impérialistes dans le mouvement des femmes et encouragerait les travailleuses à rejoindre la lutte anti-impérialiste. Le contrôle ouvrier des usines et de la terre et l’annulation des dettes des paysans donnerait un puissant élan à la défense du pays. Ces mesures seraient une inspiration pour les peuples du Moyen-Orient ainsi que pour les travailleurs du monde impérialiste.

Le Parti Toudeh iranien a échoué aux deux épreuves de la défense du pays et de la défense des opprimés. Il a publié des déclarations appelant à la défense de l’Iran – mais aussi une déclaration commune avec le Parti communiste d’Israël qui ne prenait même pas un côté dans la guerre et condamnait les actions militaires et les armes nucléaires des deux côtés (« Halte aux tueries ! Arrêtons la guerre immédiatement ! », solidnet.org, 17 juin). Au lieu d’arracher les masses iraniennes à l’emprise du régime, le Toudeh a abandonné aux mollahs la direction de la lutte anti-impérialiste. En même temps, il insiste qu’il faut défendre « l’intégrité territoriale de la patrie » et capitule ainsi devant le chauvinisme perse du régime en soutenant le maintien par la force des minorités nationales au sein de l’État iranien. La gauche iranienne doit emprunter un cours nouveau !

Capitulation social-chauvine en Occident

Quand l’administration Trump est entrée en guerre contre l’Iran, elle n’a rencontré que très peu d’opposition aux États-Unis mêmes. Le principal problème qu’avait le Parti démocrate avec le bombardement de l’Iran, c’est qu’il n’avait pas été dûment autorisé par le Congrès. Les politiciens libéraux comme Bernie Sanders et Alexandria Ocasio-Cortez ont fait cause commune avec l’opposition au sein de la mouvance MAGA pour argumenter qu’une nouvelle et coûteuse « guerre sans fin » serait contraire aux intérêts américains bien compris. Les directions syndicales soit ont soutenu les bombardements – comme Harold Daggett, le chef du syndicat des dockers ILA – soit n’ont rien dit, comme Shawn Fain pour le syndicat de l’automobile UAW. Le problème est au fond celui-ci : tous ces gens soutiennent l’empire américain et sont d’accord qu’il faut désarmer et asservir l’Iran.

Dans ce contexte, la tâche des révolutionnaires aux États-Unis était de lutter contre cette attaque : se prononcer pour la défense de l’Iran et la défaite de « leur » gouvernement impérialiste. Comme l’expliquait déjà Lénine pendant la Première Guerre mondiale :

« Dans une guerre réactionnaire, la classe révolutionnaire ne peut pas ne pas souhaiter la défaite de son gouvernement ; elle ne peut manquer de voir le lien entre les échecs militaires de ce dernier et les facilités qui en résultent pour le renverser. […]

« [Les socialistes] doivent expliquer aux masses qu’il n’est point de salut pour elles hors du renversement révolutionnaire de “leurs” gouvernements respectifs, et que les difficultés rencontrées par ces gouvernements dans la guerre actuelle doivent être exploitées précisément à cette fin. »

« [Les socialistes] doivent expliquer aux masses qu’il n’est point de salut pour elles hors du renversement révolutionnaire de “leurs” gouvernements respectifs, et que les difficultés rencontrées par ces gouvernements dans la guerre actuelle doivent être exploitées précisément à cette fin. »

 Le socialisme et la guerre, 1915

Pour que la classe ouvrière joue un rôle dans ce conflit, il fallait enfoncer un coin entre d’un côté les dirigeants syndicaux, les libéraux et les sociaux-démocrates qui soutiennent l’ordre impérialiste dominé par les États-Unis, et de l’autre les travailleurs qui sont pressurés pour payer les frais du maintien de la botte américaine sur la planète.

Qu’a fait l’extrême gauche ? Voici ce qu’a écrit l’Alternative socialiste internationale :

« La seule voie pour aller de l’avant, c’est une lutte de classe massive contre le capitalisme israélien et l’impérialisme américain, et contre les régimes capitalistes qui exploitent et répriment les travailleurs, les femmes et les nationalités et minorités opprimées dans toute la région. »

– « Escalade de la guerre contre l’Iran – Trump prêt à intervenir », internationalsocialist.net, 18 juin

Derrière l’affirmation que la lutte de classe ouvrière massive est la seule solution – une platitude incontestable –, l’ASI tire un trait d’égalité entre les États-Unis, la puissance impérialiste dominante, et l’Iran, un pays ravagé par l’impérialisme américain. La conclusion de cette analyse, c’est que l’ASI ne choisit pas son camp.

L’ASI continue sur sa lancée avec de belles phrases sur l’unité internationale de la classe ouvrière :

« Les organisations ouvrières doivent s’unir dans la lutte au-delà des frontières et des communautés, pour se battre pour un avenir partagé de liberté sans occupation ni impérialisme, pour les pleins droits démocratiques et nationaux, la propriété publique et le contrôle démocratique des richesses et des ressources. »

En réalité, les organisations ouvrières ne s’uniront jamais « au-delà des frontières et des communautés, pour se battre pour un avenir partagé » si dans les pays impérialistes le mouvement ouvrier ne se mobilise pas contre les déprédations de sa « propre » classe dirigeante et contre l’asservissement du Sud global.

Quand les pacifistes noient le poisson

En menaçant d’entraîner le Moyen-Orient dans une guerre régionale, les attaques israélienne et américaine contre l’Iran ont été un choc déstabilisateur pour les gouvernements des autres pays impérialistes en Occident et au Japon. Ils ont fait des déclarations grandiloquentes appelant à la paix, à la désescalade et à des négociations. Mais comme ces puissances impérialistes sont des laquais des États-Unis dont elles dépendent totalement pour garder une place à la table des grands, elles sont comme des toutous à qui on dit « va chercher ». C’est pourquoi, après s’être d’abord opposées à la guerre contre l’Iran, elles ont finalement applaudi les bombardements américains comme un acte de « paix ».

Dans ces pays, le courant pacifiste au sein des directions syndicales et parmi les libéraux reflétait la posture hypocrite de la classe dirigeante. Pour les impérialistes, choisir le côté de l’Iran est une ligne rouge. Le mouvement propalestinien et les manifestations contre la guerre en Iran ont soigneusement évité de la franchir. Qu’a fait l’extrême gauche dans ces pays ? Dans la plupart des cas, elle a avancé exactement les mêmes mots d’ordre que les libéraux : « Halte à la guerre », « Bas les pattes devant l’Iran » et le désarmement nucléaire. C’était une manière de masquer la question fondamentale : il fallait choisir son camp.

L’Internationale communiste révolutionnaire (ICR) se présente comme vouée corps et âme à la lutte pour la révolution. Comment a-t-elle donc réagi face au test de la guerre ? Après avoir publié plusieurs longs articles d’analyse qui escamotaient soigneusement les enjeux de la guerre, l’ICR a finalement sorti un communiqué dix jours après le début du conflit où elle reconnaissait ceci :

« Le véritable objectif de cette guerre n’est pas la stabilité, la paix, la démocratie ou la destruction des armes nucléaires. Il s’agit pour la classe dirigeante israélienne et ses partenaires occidentaux de se réserver le droit incontesté de faire ce qu’ils veulent dans la région : intimider, bombarder et envahir n’importe qui, n’importe où, n’importe quand, sans rencontrer la moindre opposition. »

– « Non à la guerre contre l’Iran ! À bas l’impérialisme américain ! », marxist.com, 24 juin

À partir de là, ils aboutissaient à cette conclusion correcte : « notre ennemi principal est chez nous, et la lutte pour la libération des nations opprimées est indissociable de la lutte contre la classe capitaliste en Occident. » Mais l’ICR évitait toujours de tirer la conclusion découlant de cette analyse, à savoir qu’il fallait prendre le côté de l’Iran dans cette guerre. C’est seulement le 30 juin – presque une semaine après le cessez-le-feu – que l’ICR a annoncé que « les communistes révolutionnaires sont pleinement du côté de l’Iran, même si nous n’avons aucune sympathie pour le régime politique des ayatollahs, qui est un régime réactionnaire et anti-ouvrier » (déclaration en anglais, traduite par nos soins).

Pendant toute la durée de la guerre menée par les États-Unis et Israël, l’ICR n’a pas pris le côté de l’Iran. Il ne s’agit pas là d’une question de langage. Dans les pays occidentaux où l’ICR a son implantation principale, une aile de la bourgeoisie impérialiste a cherché à utiliser les aspirations pacifistes légitimes des masses pour les mobiliser derrière ses propres intérêts prédateurs. Intervenir en tant que révolutionnaire signifie démasquer le pacifisme hypocrite de la classe dirigeante et montrer aux masses que la voie de la paix passe par une opposition à son « propre » gouvernement. Cela pouvait signifier uniquement la victoire de l’Iran et la défaite des États-Unis et d’Israël.

Les principaux mots d’ordre de l’ICR pendant la guerre étaient « Bas les pattes devant l’Iran » et « À bas les fauteurs de guerre », des slogans qui permettent de nager avec le courant du pacifisme pro-impérialiste, avec la bureaucratie syndicale britannique et avec Bernie Sanders et Alexandria Ocasio-Cortez aux États-Unis. L’ICR était prolixe contre Trump, Nétanyahou et les fauteurs de guerre mais elle n’avait rien à dire contre les illusions trompeuses du pacifisme bourgeois. Ajouter des mots d’ordre comme « À bas l’impérialisme américain » et « Révolution contre la classe des milliardaires » ne traçait pas une ligne de démarcation car ces slogans étaient totalement abstraits et sans aucune conséquence pratique. Ce qu’a fait l’ICR, c’était de jeter une passerelle entre l’aile de la bourgeoisie opposée à la guerre et la gauche radicale.

Ce qui aurait constitué une intervention révolutionnaire dans cette guerre, ce n’était pas d’appeler à la révolution ou de brandir des drapeaux rouges, mais de lutter pour briser l’emprise des défenseurs de l’impérialisme sur le mouvement ouvrier, et d’arracher aux libéraux la direction du mouvement propalestinien. L’intervention de l’ICR pendant cette guerre n’était pas révolutionnaire – elle n’a fait que créer de la confusion.

Le Sud global

Une défaite décisive de l’attaque américano-israélienne contre l’Iran aurait directement profité à la lutte de libération nationale dans l’ensemble du Sud global. Dans ces pays, la tâche des marxistes était de mobiliser les masses sur cette base. Un des principaux obstacles était le double jeu des dirigeants des pays dépendants. Dans le monde arabe ou en Amérique latine, la plupart des gouvernements ont dénoncé la guerre. Mais en même temps, la plupart d’entre eux sont des alliés fidèles des impérialistes américains, et ils ont à peine levé le petit doigt contre l’offensive américano-sioniste.

Dans tout le Sud global, beaucoup de militants de gauche regardent du côté des BRICS, qui sont dominés par ces mêmes dirigeants, pour trouver une alternative à la domination américaine. Si dans cette guerre la Russie ou la Chine étaient venues au secours de leur allié iranien, par exemple en protégeant l’Iran sous leur parapluie nucléaire, cela aurait pu avoir un impact décisif sur le rapport des forces dans la région en arrêtant l’offensive de Nétanyahou, en affaiblissant son régime et aussi en portant un coup à la puissance américaine. Mais la Russie de Poutine et la Chine de Xi Jinping n’ont rien fait de tel. Poutine en a au contraire profité pour intensifier son offensive réactionnaire en Ukraine, tandis que Xi Jinping négociait de nouveaux accords commerciaux tout en promettant de ne pas intervenir dans les affaires des autres pays.

Poutine et Xi Jinping ont tous les deux refusé de faire quoi que ce soit pour défendre l’Iran. Au lieu de cela, ils ont appelé à la paix, à la désescalade et au respect du droit international. Cette capitulation en rase campagne devant l’impérialisme américain montre que les BRICS sont totalement incapables de constituer une alternative. À chaque étape, ce bloc est paralysé parce que ses dirigeants défendent leurs propres intérêts étroits et réactionnaires, et par leur désir de ne pas s’attirer l’hostilité des États-Unis.

Le Parti communiste des Philippines (PCP) a donné un autre exemple de cette foi aveugle dans la communauté internationale. Reflétant les justes aspirations de sa base, le PCP écrivait :

« Les peuples du monde entier, y compris le peuple philippin, doivent être aux côtés du peuple iranien, comme aussi du peuple palestinien, pour lutter contre la machine de guerre américano-israélienne au moment où celle-ci multiplie les déprédations dans tout le Moyen-Orient pour obliger les nations à s’incliner devant son pouvoir et à abandonner leur liberté […].

« Ils doivent résolument lutter contre les guerres de l’impérialisme américain et rester fermes et unis pour exiger la fin de l’intervention et de la présence militaire américaine dans le pays. »

« Ils doivent résolument lutter contre les guerres de l’impérialisme américain et rester fermes et unis pour exiger la fin de l’intervention et de la présence militaire américaine dans le pays. »

– « S’unir et condamner fermement les bombardements américains en Iran », 22 juin

Il était juste d’appeler les masses à venir en aide à l’Iran en luttant contre les impérialistes et le gouvernement philippin. Mais le PCP affaiblit la portée de cet appel en présentant une image fausse de la situation, qui laisse entendre qu’une issue progressiste à cette guerre serait possible sans la participation des masses :

« Israël et les États-Unis sont de plus en plus isolés de la communauté internationale des nations. En Europe et en Asie s’élève un appel unanime pour qu’Israël stoppe ses attaques contre l’Iran. Face à une opposition massive, au niveau international et aux États-Unis mêmes, Trump revient maintenant en arrière sur ses plans pour intervenir directement dans la guerre et larguer des bombes de 15 tonnes sur l’Iran. »

– « Condamner la guerre d’agression américano-israélienne contre l’Iran », 21 juin

Le lendemain même de la publication de cet article, Trump lançait ses bombes de 15 tonnes. L’erreur du PCP n’était pas simplement une fausse analyse. Le contenu politique de sa déclaration était de calmer les masses au lieu de les pousser à la lutte, avec l’illusion que Trump pourrait être contraint de reculer sous la pression de la « communauté internationale des nations » – une communauté composée des puissances occidentales réactionnaires qui finalement ont soutenu Trump et des dirigeants du Sud global qui ont capitulé devant lui.

Quoi que puisse dire aujourd’hui la direction du PCP sur la mobilisation des masses pour lutter contre l’impérialisme, sa politique, depuis la fondation du parti, a toujours été de soutenir l’aile libérale de la bourgeoisie philippine, où l’on trouve les partisans les plus dévoués de l’impérialisme américain. Cette stratégie a mené le mouvement anti-impérialiste dans une impasse, aux Philippines et dans beaucoup de pays du Sud global. Pour aller de l’avant, il faut rompre l’alliance entre les masses et les laquais de l’impérialisme. Comme l’expliquaient les « Thèses sur la question d’Orient » du Comintern en 1922, « seule, une ligne révolutionnaire conséquente, basée sur la participation des grandes masses à la lutte active et la rupture sans réserve avec ceux qui cherchent à collaborer avec l’impérialisme pour préserver leur propre domination de classe peut amener les masses opprimées à la victoire » (traduction revue par nos soins).

En réaction aux partis dans le Sud global qui comme le PCP capitulent devant la bourgeoisie, plusieurs tendances, comme le Forum marxiste à Manille, rejettent la défense de l’Iran comme constituant en soi une capitulation nationaliste. Cela les fait s’opposer aux justes aspirations des masses à lutter contre l’impérialisme et ses agents sionistes. Là encore, les Thèses du Comintern insistaient que « le refus des communistes des colonies de prendre part à la lutte contre l’oppression impérialiste sous le prétexte de “défense” exclusive des intérêts de classe, est le fait d’un opportunisme du plus mauvais aloi qui ne peut que discréditer la révolution prolétarienne en Orient ».

Centrisme contre lutte révolutionnaire

Un petit nombre de tendances internationales ont adopté sur le papier une position révolutionnaire sur la guerre. Même si nous avons d’importantes divergences avec le Courant communiste révolutionnaire international, il se démarque par sa lutte pour une position de principe sur la guerre au sein de la gauche et du mouvement ouvrier. La plupart des autres groupes n’ont pas réussi à franchir le pas entre commentaire abstrait et intervention active pour réorienter le mouvement ouvrier et la gauche.

La Fraction trotskyste (FT, dont la section en France est Révolution permanente) en est un exemple. Cette tendance a d’abord adopté une position de neutralité dans la guerre ; elle a capitulé devant l’impérialisme en présentant « Israël, le régime iranien, les puissances impérialistes » comme également réactionnaires (« Israël attaque l’Iran : Le Moyen-Orient au bord d’une guerre totale », leftvoice.org, 15 juin – traduit par nos soins). Ce n’est que le lendemain que la section française de la FT a publié une déclaration prenant le côté de l’Iran.

C’est une bonne chose que la FT ait changé de position et pris le côté de l’Iran – c’était un progrès. Mais qu’a-t-elle fait pour transcrire cette position dans la réalité ? Jusqu’à présent sa section américaine n’a pas émis la moindre critique à l’encontre des bureaucrates syndicaux, des libéraux ou des militants de gauche qui refusent de défendre l’Iran. Le refus de la FT de se battre pour la défense de l’Iran a en réalité vidé de tout contenu cette position.


La confrontation d’Israël et des États-Unis avec l’Iran n’est pas terminée. Rien n’est résolu. Il faut s’attendre à davantage de chaos, pour la région et le reste du monde. Les dirigeants américains sont déterminés à maintenir leur empire chancelant, et pour cela ils serrent la vis à toute la planète ; leur guerre en Iran est un avertissement de ce qui nous attend. Le fait que le mouvement ouvrier n’ait pas été un facteur significatif contre la guerre américano-israélienne doit être un signal d’alarme pour la gauche marxiste. Il est urgent d’en tirer les leçons – et de le faire rapidement.

Dans le monde entier, il faut se battre pour que le mouvement ouvrier rompe avec les éléments pro-impérialistes et ceux qui prêchent la conciliation avec eux. C’est une condition essentielle pour que le prolétariat s’affirme comme force révolutionnaire. En luttant pour construire une Internationale révolutionnaire, Lénine insistait que « l’unité avec les social-chauvins, c’est l’unité avec “sa propre” bourgeoisie nationale qui exploite d’autres nations ; c’est la division du prolétariat international » (« L’opportunisme et la faillite de la IIe Internationale », janvier 1916).