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L'article suivant a été présenté par la LCI pour la Rencontre des forces internationalistes à Paris de mai 2025.
Le mouvement révolutionnaire international traverse depuis plusieurs années une crise profonde. Cette crise n’est pas fondamentalement le produit de circonstances objectives, encore moins de conflits personnels ou de méthodes organisationnelles. S’il y a crise c’est que le mouvement marxiste n’a pas correctement posé ses tâches en fonction des réalités de la situation internationale.
Après la chute de l’URSS la position internationale des États-Unis est devenue hégémonique. Mondialisation, Union européenne, libre-échange, privatisations : tout a évolué sous l’égide des USA, au détriment des travailleurs et sous la couverture idéologique du libéralisme. Il fallait donc lutter contre l’impérialisme américain et l’influence du libéralisme. Si la gauche révolutionnaire est faible c’est qu’elle n’a même pas posé cette tâche.
La LCI n’a pas été épargnée par la désorientation politique postsoviétique. Notre organisation a été secouée par des crises internes successives, et ses interventions dans la lutte de classe étaient stériles et sectaires. Ce qui nous démarque aujourd’hui c’est que nous avons cherché à comprendre les origines de notre crise et que nous cherchons à mettre en pratique les leçons que nous en avons tirées.
Aujourd’hui la situation mondiale évolue à pas de géant. Trump s’est débarrassé du masque libéral et poursuit une politique agressive et ouvertement réactionnaire pour contrer le déclin relatif des États-Unis. Il incombe aux révolutionnaires d’apporter des réponses claires aux grands problèmes de l’époque.
Marxisme contre dogmatisme
Trop souvent la pensée marxiste est remplacée par des formules abstraites totalement déconnectées du développement historique et des dynamiques de la lutte de classe. C’est particulièrement le cas lorsqu’il s’agit des grands conflits mondiaux.
On sélectionne une série de faits arbitraires et on détermine si l’on a devant soi un « État impérialiste », un « État non impérialiste » ou alors un « État ouvrier ». Une fois l’étiquette sélectionnée, plus besoin de penser, on sort une petite formule mathématique : État impérialiste + État non impérialiste = défaitisme. Et voilà qui passe pour du marxisme !
Beaucoup se réclament de Lénine tout en oubliant les considérations politiques derrière son analyse. S’il insistait sur le caractère inter-impérialiste de la Première Guerre mondiale ce n’était pas par dogmatisme mais pour avancer l’unité politique du prolétariat. À l’époque de Lénine le monde était divisé entre une poignée d’empires coloniaux qui opprimaient la majorité des peuples et des nations. L’unité des opprimés était impossible tant que les travailleurs des pays impérialistes luttaient aux côtés de leur propre bourgeoisie pour défendre son droit d’opprimer d’autres nations.
Aujourd’hui comme hier, l’unité de la classe ouvrière contre la bourgeoisie doit être la considération première d’une analyse marxiste du monde. C’est d’ailleurs cette même considération qui permettra à l’avant-garde révolutionnaire internationale de mettre fin à ses divisions. La vérité est toujours concrète, mettons de côté les formules vides et les abstractions et posons les tâches du prolétariat en fonction du développement historique de l’impérialisme.
L’impérialisme depuis 1945
Sur les décombres de la Deuxième Guerre mondiale les États-Unis ont forgé un nouvel ordre mondial. Rapidement les vieilles puissances coloniales ont cessé de jouer un rôle véritablement indépendant sur la scène internationale et sont devenues des partenaires de deuxième ordre dans un monde capitaliste dominé par le géant nord-américain.
La destruction de l’URSS en 1991 a fondamentalement changé l’équilibre des forces internationales, mais elle n’a pas changé l’alliance des puissances impérialistes. L’UE a été fondée avec l’accord et l’aide des États-Unis pour favoriser l’expansion vers l’Est du capital financier. En Asie, le Japon, l’Australie et les USA ont de même travaillé ensemble pour exploiter le continent.
Aujourd’hui encore le monde est régi par l’Empire américain et ses institutions de l’après-guerre. Les pays néocoloniaux sont pillés par des dettes en dollars américains garanties par l’armée états-unienne. L’équilibre des forces internationales a certainement changé. Mais le monde n’a pas été redivisé. Il n’y a pas de nouvelles puissances impérialistes. Nous sommes toujours dans un monde façonné par l’après-guerre et la chute de l’URSS.
Tous les jours Trump montre que les États-Unis ne vont pas abandonner leur position dominante sans mener une lutte sans merci contre leurs rivaux et les opprimés du monde. De penser que l’hégémonie américaine a déjà été brisée, sans guerre, sans crise, reflète une conception libérale pacifiste de l’histoire. Le développement économique « pacifique » modifie constamment l’équilibre international, mais un ordre impérialiste naît et meurt par le fer et par le sang.
La guerre en Ukraine
La guerre en Ukraine est le résultat d’une surextension des États-Unis. Depuis 1991 c’est l’OTAN qui est en expansion constante, pas la Russie.
Cela ne signifie en aucun cas que la Russie mène une guerre juste en Ukraine. La Russie cherche à dominer l’Ukraine et l’oppression nationale qui en résulte ne peut qu’empoisonner les relations entre travailleurs russes et ukrainiens. Il est vrai que la défaite de l’Ukraine représentera une défaite pour les États-Unis. Mais il s’agit d’une défaite qui n’engage pas directement l’armée états-unienne. Les États-Unis montrent déjà qu’ils sont prêts à abandonner l’Ukraine, trouver un accord avec les Russes et concentrer leurs ressources contre la Chine ; ce sont des évolutions prévisibles et réactionnaires.
Il est totalement légitime pour les Ukrainiens de défendre leur indépendance. Mais il n’est pas légitime de lutter pour que les régions pro-russes retournent sous le joug de Kyiv. L’unité nationale autour de ce but chauvin, et l’alliance avec l’impérialisme occidental donnent un caractère réactionnaire à l’effort de guerre ukrainien. D’ailleurs cette stratégie mine la défense nationale ukrainienne.
L’unité internationaliste requiert :
- Le rejet de l’impérialisme occidental
- La garantie mutuelle du droit d’autodétermination
- L’opposition aux bourgeoisies russe et ukrainienne
- La fraternisation et le défaitisme révolutionnaire
La Chine
Beaucoup considèrent la Chine comme une puissance impérialiste. Mais la Chine n’opprime aucune nation en dehors de ses frontières ! Ses investissements à l’étranger sont entièrement dépendants des institutions mises en place par les États-Unis. Que ce soit en Ukraine, en Palestine ou dans les divers conflits africains, la Chine joue un rôle conservateur. L’instabilité politique sur la scène internationale ne provient pas de l’expansionnisme chinois, mais de l’impérialisme américain qui cherche à maintenir sa domination en étouffant la Chine.
Certains partis révolutionnaires pensent que le capitalisme n’a jamais été aboli en Chine, d’autres pensent qu’il y a eu une restauration graduelle du capitalisme, sans contre-révolution. Oublions les catégories un instant, et regardons les faits :
- En 1949 une insurrection paysanne a libéré la Chine de l’oppression impérialiste et a chassé la bourgeoisie chinoise à Taiwan.
- Le Parti communiste chinois (PCC) a dirigé la révolution avec un programme bureaucratique stalinien.
- Après la chute de l’URSS le PCC a entamé une politique de libéralisation économique tout en gardant la structure étatique et politique intacte.
- – Les travailleurs devaient-ils défendre les acquis de la Révolution chinoise de 1949 ? Oui !
- – Devaient-ils soutenir la politique du PCC ? Non !
- – Y a-t-il quelque chose à défendre en Chine aujourd’hui ? Oui !
Les travailleurs chinois ont tout à fait intérêt à lutter contre les États-Unis qui cherchent à asservir la Chine et détruire son économie. Ils ont aussi intérêt à défendre l’État chinois forgé dans la révolution qui a permis un développement économique inégalé dans l’histoire. Mais ils doivent aussi s’opposer au PCC qui concilie les capitalistes et mine les acquis de la révolution.
L’exemple de l’URSS montre le désastre que représente une contre-révolution capitaliste. On ne peut se permettre de répéter cette catastrophe !
Libération palestinienne
La guerre génocidaire d’Israël est une guerre d’oppression nationale. La lutte de libération nationale palestinienne est une lutte juste. Le rejeter, c’est capituler grossièrement devant l’impérialisme et le sionisme.
Cela dit, la libération palestinienne ne peut être gagnée avec une stratégie nationaliste bourgeoise. Les tactiques et la politique du Hamas sont contre-productives pour la libération nationale palestinienne.
Il faut un programme unissant libération nationale et internationalisme prolétarien, en d’autres termes, le programme de la révolution permanente.
- L’impérialisme américain est la principale force réactionnaire dans la région.
- Il ne peut y avoir de libération nationale palestinienne sans destruction de l’État sioniste.
- L’oppression des travailleurs israéliens est renforcée par l’oppression des Palestiniens.
- L’unité prolétarienne ne peut être forgée qu’avec le respect mutuel des droits nationaux.
- Le nationalisme bourgeois est un obstacle à la lutte anti-impérialiste.
Analyse et programme
Les débats d’analyse reflètent les rapports de classe. La principale erreur des analyses marxistes contemporaines reflète la principale erreur politique : une conciliation de l’impérialisme américain sous sa forme libérale. Il est tout aussi problématique de donner un caractère progressiste aux actions de la Russie, du PCC ou du nationalisme.
Contre ces deux pôles il faut une voie prolétarienne indépendante. Cette alternative doit être forgée en lutte contre les dirigeants actuels du mouvement ouvrier qui partout mènent les travailleurs à la défaite et défendent les intérêts de « leur » bourgeoisie nationale.