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21 octobre – Encore une fois, le PS vient de sauver la macronie en refusant de voter la motion de censure visant le gouvernement Lecornu. Ils se sont vendus cette fois-ci même pas pour un plat de lentilles, puisque le « décalage d’une échéance » (dixit Macron) de la réforme des retraites fait partie d’un plan d’austérité sauvage visant surtout la Sécu y compris le niveau des retraites. Que le PS soit une bande de sociaux-traîtres, ce n’est pas nouveau, mais qui leur a permis de jouer à nouveau ce rôle ? C’est la France insoumise à travers le NFP, sans lequel il n’aurait pas eu un tel pouvoir de nuisance au parlement.

Et comme en 2024, c’est le RN qui ressort gagnant de ce vaudeville grotesque. D’ailleurs c’est son représentant Jean-Philippe Tanguy qui peut se permettre de traiter publiquement de « social-traître » le PS pendant que LFI continue désespérément de chercher le moyen de ressusciter l’ « unité de la gauche ». Et c’est ainsi que LFI pave la voie du pouvoir à Le Pen. Cette trahison ne risque de prolonger Macron que le temps de voter ce budget et que la bourgeoisie prenne ses dernières garanties que le RN va bien faire l’affaire : de nouvelles élections seront alors à l’ordre du jour, peut-être dans les mois qui viennent.

Face au danger imminent de l’arrivée de l’extrême droite, l’extrême gauche est aujourd’hui placée devant des choix urgents et cruciaux. Elle doit se ressaisir et former immédiatement un pôle des révolutionnaires pour offrir une alternative aux travailleurs et aux opprimés en opposition au mélenchonisme.

Élections 2024 : NFP et LFI mettent Macron sous respirateur artificiel

Il faut d’abord faire un bref retour sur les élections de l’année dernière pour en tirer les leçons correctes. Il y a un an et demi, dans la foulée de la victoire du RN aux Européennes, Macron avait dissous le parlement. Il espérait mettre le RN au gouvernement pour qu’il se mouille en faisant le sale boulot et pour qu’ensuite le centre libéral puisse renaître de ses cendres, comme le relate Wally Bordas dans son livre qui vient de sortir, Palais Bourbier. Mais le plan a échoué car le front populaire s’est recréé en quelques jours et Attal, principal lieutenant de Macron, s’est rebiffé en appelant au front républicain contre le RN. Macron était dans l’impossibilité de s’y opposer publiquement même s’il a fait tout son possible jusqu’au bout pour offrir la victoire au RN en insistant que le danger principal était un gouvernement mélenchoniste.

Comme le disait un député macroniste : « La dissolution était un suicide raté. On s’est jetés du camion mais malheureusement, on n’est pas morts ». Le principal coupable du prolongement de l’agonie macroniste c’est Mélenchon avec son NFP avec Hollande et Tondelier, et ses désistements républicains pour Borne et Darmanin. Alors que l’année dernière RP et les NPA se réjouissaient de la « défaite » du RN, nous mettions en garde que le résultat préparait encore plus sûrement une solide victoire du RN en démoralisant les travailleurs. Nous sommes maintenant face à cette échéance. Le sentiment va croissant dans toutes les couches de la population qu’il faut en finir une bonne fois pour toutes avec ce spectacle grotesque, y compris si c’est avec Le Pen.

Quel avait été le rôle de l’extrême gauche dans les élections de l’année dernière ? Trois groupes ont fait campagne au premier tour en déclarant leur indépendance face au front populaire : LO, RP et le NPA-R. Le NPA-R faisait remarquer à juste titre que 40 ans de front populaire avaient mené à 40 % pour l’extrême droite. Nous les avons donc appelés à former un bloc pour présenter dans tout le pays des candidats de l’un ou l’autre de ces groupes pour dire aux travailleurs qu’ils ne sont pas condamnés pour l’éternité au cycle infernal du front populaire et de la réaction.

Un tel bloc n’a pas vu le jour en grande partie du fait du sectarisme de LO, qui refusait de considérer la possibilité de faire autre chose qu’une candidature de témoignage pour dire aux travailleurs que la guerre approche et qu’il faudra bien un jour faire la révolution socialiste. C’était refuser d’offrir une perspective concrète et immédiate en opposition aux mélenchonistes, LO arguant qu’elle était trop petite pour être un facteur quelconque, et renonçant ainsi à proposer une direction révolutionnaire dans la lutte électorale.

La fin a été pitoyable. Entre les deux tours de l’élection, RP et NPA-R ont appelé à voter pour LFI voire d’autres partis du front populaire, et LO a dit à ses lecteurs qu’ils n’avaient pas à se sentir gênés s’ils voulaient voter pour le front populaire. En résultat on s’est retrouvé avec LFI, qui avait sorti des poubelles Hollande et compagnie, lesquels ont sauvé le budget 2025 (et peut-être même celui de 2026) de Macron, ce qui a ouvert encore plus grand le boulevard qui s’offre au RN aujourd’hui.

Conclusion : ces trois groupes n’ont cessé de dire que la gauche institutionnelle pave la voie à l’extrême droite, mais ils refusent de voir que leur incapacité à présenter une opposition ouvrière solide et cohérente à l’aile gauche de cette gauche institutionnelle, c’est-à-dire la France insoumise, a contribué à la démoralisation des travailleurs et à la montée du RN. Les tâches qui se posent aujourd’hui à l’extrême gauche en découlent. Pour un bloc ouvrier anti-RN opposé à LFI aux prochaines élections !

Un programme pour le bloc ouvrier anti-RN

Dans tous les cas, les attaques contre les travailleurs vont encore s’intensifier. La tâche centrale pour les trotskystes est de mettre le mouvement ouvrier en ordre de bataille pour se défendre. Il faut reconstruire les syndicats et réunifier les travailleurs en se battant pour une nouvelle direction dans les luttes défensives partielles que mènent aujourd’hui les travailleurs. Voici quelques axes que nous proposons pour structurer le bloc ouvrier :

  • Aucun soutien à LFI (ou au successeur du NFP s’il y en a un) !
  • À bas l’UE et l’OTAN ! Stoppez les livraisons d’armes et de biens stratégiques à Israël, et à l’Ukraine aussi !
  • Chassez les bureaucrates ! Unification syndicale !
  • Embauche au statut et à plein temps de tous les travailleurs précaires et sous-traitants, y compris les « auto-entrepreneurs » !
  • Préparez d’ores et déjà des caisses de grève ! Dans chaque grève pour repousser les attaques des patrons : rétablissons la tradition des piquets de grève non filtrants !
  • Défense des musulmans et des jeunes des quartiers !
  • Levée des poursuites contre tous les militants pro-Palestine et les militants kanak !
  • Indépendance pour Kanaky et toutes les colonies !

Sans doute pour la grande majorité des militants ces mots d’ordre paraissent-ils évidents, et totalement opposés aux bureaucrates et aux mélenchonistes. Mais il va falloir une lutte avec les directions de LO, du NPA-R et de RP pour les mettre en avant ! Et même le premier mot d’ordre : l’année dernière, ni le « camp des travailleurs » de LO, ni le « pôle des révolutionnaires » du NPA-R, ni la « candidature indépendante » de RP n’ont survécu au premier tour et se sont tous accommodés d’un vote pour LFI. Le NPA-R vient d’annoncer dans son journal qu’il va se présenter aux élections municipales l’année prochaine, et il critique les mairies tenues par le PS et EELV, sans dire un seul mot contre LFI (Révolutionnaires, 2 octobre) !

Quant à l’UE, face au souverainisme de l’extrême droite, ces groupes sont incapables de présenter une opposition prolétarienne à ce cartel impérialiste et s’y adaptent au nom de l’ « ouverture des frontières ». Exemple : le NPA-R avance de façon récurrente le mot d’ordre « Pour un monde sans frontières ni patrons » ; au mieux c’est un mot d’ordre pour le communisme intégral dans un avenir lointain qui ne s’adresse pas à la situation actuelle des travailleurs, au pire c’est une défense à peine voilée de l’espace Schengen.

Nos mots d’ordre ne sont peut-être pas les plus radicaux du monde, ni tous réalisables du jour au lendemain, mais ils ont pour but de donner un cadre politique large pour faire avancer la rupture avec les mélenchonistes et les bureaucraties syndicales en s’adressant aux besoins urgents des travailleurs, dans les situations concrètes auxquelles font face les ouvriers sur leur lieu de travail et dans leur quartier. En continuant à agiter pour la grève générale politique (contre Macron ou pour la Palestine), en continuant à défendre l’UE, en faisant (pour RP) de l’abolition du Sénat et de la figure présidentielle l’axe de la lutte, l’extrême gauche ne fait que s’isoler davantage du gros de la classe ouvrière. Il faut au contraire combler ce gouffre ! Camarades, descendez de votre nuage !

Dans la mesure où RP et le NPA-R ont des arguments contre les mélenchonistes, ils sont incapables de traiter avec la radicalité de leurs mots d’ordre. Que demande RP de plus ? Mélenchon dit littéralement qu’il faut tout bloquer, qu’il faut dégager Macron par une révolution citoyenne et qu’il faut lutter contre la terreur raciste des flics dans les quartiers. C’est ce genre de radicalité verbale qui donne son autorité à Mélenchon. Il faut s’y adresser si l’on veut détruire son influence parmi les secteurs avancés de la classe ouvrière, des opprimés et de la jeunesse.

Les appels de Mélenchon à tout bloquer s’accompagnent d’appels aux syndicats pour qu’ils prennent les choses en main, autrement dit « tout bloquer », dans la version mélenchoniste, c’est-à-dire celle qui compte dans le monde réel, cela veut dire que Binet et SUD organisent avec la CFDT une journée d’action réussie. Ce n’est pas du tout la même chose qu’une grève générale et c’est en réalité un obstacle sur la voie de victoires même partielles. Celle-ci implique de faire exploser le carcan des bureaucrates. RP critique Binet et compagnie mais au fond elle reste dans le cadre, défini par les bureaucrates, des journées d’action ponctuées d’hypothétiques grèves reconductibles dans des secteurs isolés, en espérant que par miracle et contrairement à 2023 cela se transformera en grève générale.

Révolution permanente ou révolution démocratique ?

RP a finalement capté que la grève générale n’était pas pour le 2 octobre (passé en faisant pschitt), mais elle continue d’insister sur la crise politique sans en voir l’origine ni la direction véritable. La crise politique en France reflète de façon particulièrement aiguë la crise terminale du libéralisme qu’on voit à l’échelle internationale. Sous le poids des trahisons de la gauche, du refus de l’extrême gauche de rompre avec le libéralisme, et des défaites successives du mouvement ouvrier, c’est l’extrême droite qui profite de l’effondrement du centre politique. RP est consciente qu’en cas de nouvelles élections c’est le RN qui va gagner. D’où son tour de passe-passe : y a qu’à en finir avec la Ve République par une grève générale qui abolira le Sénat, et tant qu’on y est la Présidence de la République aussi. Et le tour est joué, il suffisait d’y penser pour empêcher Le Pen de se faire élire. Camarades de RP, vous croyez que les ouvriers vont vous prendre au sérieux ?

La moitié de travailleurs encore intéressés aux élections veulent voter Marine. La réponse de RP d’abolir la Présidence dès à présent est une façon complètement lunaire d’éviter le problème au lieu de le confronter. Elle ne peut que renforcer le discrédit de l’extrême gauche parmi les travailleurs, qu’ils votent RN ou Mélenchon (ces derniers pensent qu’il faut justement d’abord l’élire pour pouvoir accéder à la révolution citoyenne). Il faut regagner au moins une partie de ces travailleurs, ainsi que ceux qui aujourd’hui sombrent dans l’apathie, à une perspective prolétarienne. Cela exige de confronter le fait que les libéraux de gauche et de droite ont donné depuis 40 ans une enveloppe antiraciste, féministe, laïque à leurs attaques contre les travailleurs, les minorités, les femmes et les musulmans.

Non seulement une grève générale pour dégager Macron n’est pas à l’ordre du jour, la question c’est de savoir si RP va être capable de s’opposer à Mélenchon au deuxième tour des prochaines élections. Or la « grève générale » de RP se donne pour but ni plus ni moins… de réaliser la révolution citoyenne et la VIe République de Mélenchon. En effet la révolution démocratique qu’appelle RP de ses vœux revient à la suppression du Sénat et de la Présidence de la République, en précisant que les élus seront payés « comme des infirmières » (édito de Paul Morao, 6 octobre).

Ce n’est pas une telle révolution démocratique qui va résoudre la crise du capitalisme français. Mélenchon veut faire croire que ça va faire l’affaire, mais comment des trotskystes peuvent-ils adhérer à ça ? Comment des gens qui se réclament du trotskysme peuvent-ils avoir oublié que depuis plus de 150 ans les marxistes insistent que la seule manière de résoudre la crise du capitalisme dans l’intérêt des travailleurs c’est la révolution ouvrière, la dictature du prolétariat, pas la démocratie citoyenne avec des députés payés 2 500 euros ? Même des réformes démocratiques substantielles, comme celles que revendiquent RP et LFI, on ne les obtiendra en France que comme une concession de la bourgeoisie pour empêcher une révolution prolétarienne. Toute l’expérience historique du mouvement ouvrier français rappelle cette leçon élémentaire du marxisme. Et c’est pourquoi même pour arracher une république démocratique le rôle des marxistes est d’expliquer qu’il faut lutter pour une confrontation avec la bourgeoisie qui pose la question du pouvoir ouvrier.

Pour avancer vers la prise du pouvoir par le prolétariat, il faut d’abord faire avancer les luttes partielles pour les intérêts des travailleurs qui ont lieu aujourd’hui en montrant dans la pratique qu’il faut pour cela une direction révolutionnaire.

LO : Syndicalisme ou trotskysme ?

Évidemment LO se refuse à juste titre à clamer partout « grève générale », mais ses militants s’offusquent lorsque nous affirmons qu’elle n’a rien d’autre de concret à proposer que de discuter les idées communistes pour élargir le niveau de conscience des travailleurs en attendant la guerre et la révolution. Elle met en avant certaines luttes partielles qu’elle a menées contre des fermetures d’usine, notamment à PSA Aulnay en 2013 et à Michelin Cholet récemment.

Oui, les révolutionnaires doivent jouer un rôle dans les luttes syndicales pour faire avancer la conscience des travailleurs. C’est effectivement en ce moment dans le cadre de luttes défensives, comme le dit LO, que les comités de lutte auxquels elle fait appel peuvent faire partie d’un arsenal pour faire sauter l’étau des bureaucrates grâce à l’intervention de militants révolutionnaires. Mais les comités de lutte ne sont pas en soi la solution magique, il faut une perspective politique large visant à lutter contre les obstacles mélenchonistes dans le mouvement ouvrier, y compris au sein de l’extrême gauche.

Ses militants peuvent être de bons militants syndicaux, mais LO refuse de lutter pour une direction révolutionnaire maintenant. Ainsi ces dernières semaines, là où LO était directement confrontée à l’aventurisme insensé de RP et du NPA-R sur la « grève générale », comme à la gare du Nord, elle s’est refusée à mener cette lutte politique. Elle a permis sans combat à RP de mener les jeunes et quelques cheminots derrière des banderoles et des mots d’ordre totalement irréalistes, sur la base d’un programme indistinguable du mélenchonisme, qui ne font qu’accroître le gouffre béant entre la masse des travailleurs et l’extrême gauche.

Camarades, ce n’est pas comme ça que nous allons réduire ce gouffre ni donc préparer les travailleurs à la guerre et à la révolution ! Commençons par un plan concret pour les prochaines élections en luttant pour des listes communes de l’extrême gauche dans le plus grand nombre possible de municipalités. Au lieu d’être de simples candidatures « de témoignage » elles peuvent servir d’embryon à un véritable pôle des révolutionnaires qui soit vu comme une alternative crédible à LFI. Ce serait un grand pas en avant pour préparer les luttes qui vont s’imposer aux travailleurs et aux opprimés dans la période qui vient.