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Nous avons le chagrin de faire part à nos lecteurs du décès de notre camarade Roselyne Duverger. Elle fut membre de notre organisation en France de 1976 à 1990. Après s’être retirée pour raisons de santé, elle était restée une sympathisante loyale, contribuant à la production de nos journaux jusqu’à la fin de sa vie. Roselyne a toujours vécu la politique comme une affaire personnelle, humaine. Plus que tout, elle était motivée par le combat contre l’oppression des femmes.

Roselyne était de la génération de Mai 68. Elle était alors au collège. Sa grande sœur militait dans le mouvement maoïste, prenant une part active à l’occupation de leur lycée. Roselyne fut entraînée dans le tourbillon. Dans les années qui suivirent, elle fut de toutes les expériences de la contre-culture des années 60.

C’est ainsi qu’elle rencontra un jeune Irakien dans la famille duquel ils décidèrent d’aller vivre. Elle avait grandi dans une famille assez conservatrice et catholique où elle avait été marquée par l’oppression des femmes, en commençant par celle de sa mère. En vivant pendant deux ans la vie quotidienne d’une femme au sein d’une famille en Irak, elle fit l’expérience intime de cette oppression dans un pays opprimé par l’impérialisme.

Son plus jeune frère et sa petite sœur racontent comment, après n’avoir pas eu de nouvelles pendant ces deux ans, ils la virent débarquer un beau jour à Paris. Elle commença alors à s’intéresser de plus près à la politique. Elle rencontra un jeune Chilien exilé après le coup d’État de Pinochet en 1973 et vécut avec lui en banlieue parisienne dans une commune de réfugiés chiliens, militants d’extrême gauche. Ces militants appartenaient à l’Organización Trotskista Revolucionaria (OTR), une organisation trotskyste composée principalement de militants syndicaux que nous avions rencontrés devant un meeting à La Mutualité à Paris et qui s’étaient battus au Chili contre la politique de collaboration de classe d’Allende. Cette politique de front populaire avait paralysé le mouvement ouvrier chilien et ouvert la route à une défaite ouvrière sanglante, lorsque l’armée chilienne prit le pouvoir en septembre 1973 avec le concours des impérialistes américains pour mettre fin aux grandes luttes du prolétariat de ce pays. Ces camarades, qui avaient eu la chance de pouvoir s’échapper du pays à temps, voulaient continuer la lutte en exil.

En 1977, la plupart des membres de l’OTR fusionnèrent avec la tendance spartaciste internationale (TSI – ancien nom de notre organisation, la LCI). Roselyne avait participé aux longues discussions qui menèrent à cette fusion.

Dans les années qui suivirent, elle eut une vie difficile, travaillant à la Poste, au guichet, et élevant seule ses trois enfants en bas âge. Son appartement dans le 13e arrondissement de Paris n’en était pas moins un lieu de réunions conviviales pour les camarades, souvent aux accents des chansons de Victor Jara. Elle hébergeait aussi avec plaisir nombre de camarades de l’internationale qui passaient par Paris.

Dans le parti, elle participait entre autres, à la production de notre journal, Le Bolchévik. Lorsque nous avons acquis, progrès suprême à l’époque, une machine à écrire qui permettait la justification des colonnes, elle s’en fit l’opératrice spécialisée. Cela nous aida à régulariser notre presse, produisant un mensuel paraissant dix fois par an.

En pleine guerre froide, en avril-mai 1985, elle se rendit pour la seconde fois au Nicaragua qui faisait face aux attaques constantes des États-Unis de Ronald Reagan. La guérilla sandiniste du FSLN (Front sandiniste de libération nationale) avait chassé la dictature de Somoza en 1979, ouvrant la voie à la possibilité d’une révolution sociale. Notre organisation appelait alors à « Défendre, compléter, étendre la révolution ! » Roselyne, qui avait toujours à cœur la révolution en Amérique latine, y avait fait un premier séjour après avoir argumenté à New York auprès du Secrétariat international pour des interventions plus fréquentes dans cette situation fluide. Elle racontait avec fierté comment Jim Robertson, le dirigeant central de l’organisation, lui avait apporté son soutien après l’avoir écoutée.

Le compte rendu de ce second voyage et de celui d’autres camarades américains fut publié dans Workers Vanguard, le journal de la Spartacist League/U.S. (partiellement traduit dans Le Bolchévik no 56, juillet-août 1985). L’oppression des femmes et l’Église catholique étaient des thèmes que Roselyne abordait avec tout le monde. Une des camarades qui était avec elle se souvient d’une soirée passée chez une militante sandiniste dont Roselyne avait fait la connaissance. Malgré une immense pauvreté, causée par l’embargo américain, cette femme qui se levait à l’aube pour pouvoir nourrir ses six enfants prenait, après son travail, une part active aux meetings du FSLN et des comités de quartier. Cette ardente combattante pour la révolution et Roselyne avaient immédiatement sympathisé en se reconnaissant comme des camarades luttant pour les mêmes objectifs.

Fin mars 1986, elle participa à une délégation de la TSI en solidarité avec la Libye attaquée par les impérialistes américains. Quelques semaines plus tard, un bombardement qui visait à assassiner Mouammar Kadhafi fit plus d’une centaine de victimes, dont la fille de celui-ci, âgée de 15 mois. En plus de Roselyne, cette délégation était composée d’un camarade italien et d’un camarade américain, représentant des communistes des pays impérialistes oppresseurs historiques de la Libye.

Le reportage ramené par notre délégation note : « La camarade de la délégation avait déjà fait partie d’une délégation de la TSI au Nicaragua en guerre. Elle a fait remarquer à quel point les deux pays apparaissaient différents : “Entre le Nicaragua et la Libye il y a vraiment d’énormes différences, deux pays sur deux voies complètement différentes. Quand j’étais au Nicaragua, un pays très pauvre, on avait sans cesse des contacts avec la population parce qu’il y a là-bas une situation révolutionnaire. Les gens étaient politiquement mobilisés à la fois contre l’impérialisme US et pour construire quelque chose. En Libye, alors qu’il y a le même esprit de lutte contre l’impérialisme US, ce n’est pas une situation révolutionnaire. J’ai été impressionnée par le niveau de développement du pays – beaucoup de complexes immobiliers ont été construits, beaucoup de quartiers pauvres sont en train d’être rasés. Mais on peut voir clairement qu’ici la religion et l’État vont ensemble, et on le sent particulièrement profondément autour de la question femmes…” » (Le Bolchévik no 63, mai 1986).

Après des années de lutte contre l’hépatite C, elle parvint à s’en débarrasser. Mais son état de santé ne lui permettait plus de militer au sein de l’organisation et elle se résigna à en devenir sympathisante. Quand sa santé le lui permettait, elle était un pilier de la production de nos journaux, Le Bolchévik et Spartacist (édition en français), y travaillant parfois jusque tard dans la nuit.

Elle fit un dernier voyage à New York en octobre 2019 pour assister au meeting en mémoire de Jim Robertson, le fondateur et dirigeant historique de notre tendance pour lequel elle avait une profonde amitié. Cela lui permit de revoir de nombreux vieux amis.

Dans les dernières années de sa vie, elle eut le bonheur de voir grandir ses petites-filles, auprès de ses fils avec qui elle continuait de débattre et de défendre ses idéaux. Roselyne a été inhumée au cimetière du Père Lachaise à Paris le 13 septembre 2025 en présence de sa famille et de ses camarades et amis.