https://iclfi.org/pubs/ro/2025-tarifs
Initialement publié en anglais le 6 février 2025 comme supplément à Workers Tribune.
La menace de Trump d’imposer de lourds tarifs douaniers a peut-être été mise en veilleuse pour l’instant, mais on ne peut pas s’y tromper : elle marque un changement radical dans les relations entre le mastodonte impérialiste américain et son partenaire junior canadien. Trump vise à consolider la domination mondiale déclinante des États-Unis en affrontant la Chine, en s’immisçant davantage dans les néo-colonies comme le Mexique et en mettant la pression sur ses alliés, dont le Canada. Quels que soient les flux et reflux temporaires, l’objectif à long terme d’exiger la soumission et des concessions de la part du Canada et du Mexique (et bientôt de l’UE) ne changera pas.
En réponse, Trudeau et les premiers ministres rallient la population pour « défendre le Canada » et menacent de prendre des mesures de rétorsion. Mais, torses bombés mis à part, la classe dirigeante canadienne pliera devant Trump pour une raison simple : elle n’a pas le choix — ses intérêts sont liés à l’impérialisme américain. Seule la classe ouvrière agissant comme force indépendante peut mener une lutte contre Trump.
C’est l’hégémonie américaine qui sous-tend l’alliance entre les États-Unis et le Canada, permettant à ce dernier de se pavaner sur la scène mondiale comme pays impérialiste de troisième ordre. Trudeau supplie Trump d’honorer les conditions actuelles de cette relation « historique », mais ses fondements sont balayés par les États-Unis qui exigent de nouvelles conditions. Les dirigeants canadiens feront tout ce qu’il faut pour défendre le « partenariat économique, militaire et sécuritaire le plus fructueux que le monde ait jamais connu. »
Que le gouvernement soit libéral ou conservateur, il cédera et suivra la voie ruineuse tracée par Trump dès qu’il le pourra. Et puis il ne s’agit pas simplement des tarifs douaniers : en capitulant devant Trump la classe dirigeante canadienne devra aussi s’aligner sur les politiques étrangères et intérieures plus agressives et plus conflictuelles de l’impérialisme américain, tout en spoliant encore davantage la classe ouvrière au Canada même.
La classe ouvrière au Canada a de nombreuses raisons de détester ce que fait Trump. Ses politiques se traduiront par des licenciements massifs, des fermetures d’usines, de l’inflation et encore plus de coupes dans les programmes sociaux à mesure que l’économie s’effondrera. Mais la réponse des dirigeants syndicaux et du NPD à cette crise est une mauvaise blague. Ils se sont alliés au gouvernement Trudeau et aux premiers ministres provinciaux dans une croisade pour l’unité nationale canadienne, applaudissant les tarifs douaniers de rétorsion d’Ottawa au nom de la « défense du Canada ». De tels tarifs ne feraient qu’intensifier le mouvement vers une guerre commerciale catastrophique, alimentant l’inflation à l’intérieur du pays et nuisant également aux travailleurs et travailleuses américains. Les barrières commerciales soutenues par l’impérialisme sont un frein aux forces productives internationales et ne peuvent que renforcer la nature parasitaire de l’économie américaine et de celle de son laquais canadien. Non aux tarifs douaniers de rétorsion !
Trudeau, Doug Ford, Jagmeet Singh et les autres clament haut et fort que « nous sommes tous dans le même bateau » et que « le Canada n’est pas à vendre ». Mais le gouvernement libéral en fin de vie est déjà en train de sabrer dans les programmes sociaux pour financer le renforcement de la « sécurité frontalière » à la demande de Trump. Dans le cadre de l’accord visant à bloquer les tarifs douaniers, Trudeau a annoncé que près de 10 000 employés de première ligne seraient affectés à la frontière et qu’une nouvelle « force d’intervention conjointe Canada-États-Unis » serait mise en place. Bien d’autres mesures, et de bien pires, suivront.
Face à cette situation, la classe ouvrière doit se battre pour défendre ses propres intérêts. Il faut préparer des actions de grève défensives contre les licenciements à venir et les attaques d’austérité. Il faut profiter du mois de répit pour créer des alliances entre les travailleurs et travailleuses de tout le pays et avec les syndicats au sud de la frontière. Mais cela nécessite une lutte contre les dirigeants syndicaux pro-capitalistes actuels.
Prenons l’exemple de l’industrie automobile, qui risque des licenciements massifs et des fermetures d’usines en raison des menaces de droits de douane. Les travailleurs devront se battre pour défendre leurs emplois, y compris par la grève. Mais au lieu de montrer la voie d’une lutte commune avec les travailleurs de l’automobile aux États-Unis et au Mexique, la direction d’Unifor s’est alliée aux patrons de l’automobile et au gouvernement Trudeau. Avec la présidente du syndicat, Lana Payne, qui représente le gouvernement dans des organes tels que le Conseil commercial Canada-États-Unis, Unifor attend d’Ottawa qu’il « riposte vite et fort » contre les tarifs douaniers de Trump.
La classe ouvrière ne peut pas faire un seul pas en avant si elle reste liée aux capitalistes canadiens, qui ne sont pas des alliés contre Trump mais des ennemis de classe qui capituleront à Washington à la première occasion. Au lieu de cela, les travailleurs et travailleuses doivent lutter contre les impérialistes américains et canadiens, en forgeant une alliance de combat des travailleurs canadiens et québécois avec les classes ouvrières mexicaine et américaine. Le rejet de l’unité nationale canadienne est essentiel pour que la classe ouvrière du Canada anglais s’unisse à la classe ouvrière du Québec, notamment en luttant pour la libération nationale des Québécois. Et si le Québec doit effectivement être indépendant, il est illusoire de penser que cela rendrait les capitalistes québécois eux-mêmes indépendants du géant américain. Le sort de la classe ouvrière québécoise, comme celui de la classe ouvrière canadienne anglaise, dépendra de l’organisation d’une véritable opposition à l’impérialisme américain.
Alors que nous entrons dans une nouvelle et dangereuse période politique, la question de la direction de la classe ouvrière se pose avec acuité. Pour aller de l’avant, le mouvement ouvrier doit rompre avec les dirigeants pro-impérialistes actuels des syndicats et du NPD et s’engager sur la voie d’une lutte de classe internationaliste.